Elles brûlent des dizaines de millions de dollars pendant des années sans générer de revenus. Puis un jour, le verdict tombe. Si leur médicament est approuvé pour la commercialisation, c'est la fortune. Sinon, tout s'écroule.

Elles brûlent des dizaines de millions de dollars pendant des années sans générer de revenus. Puis un jour, le verdict tombe. Si leur médicament est approuvé pour la commercialisation, c'est la fortune. Sinon, tout s'écroule.

Pour Luc Vaugeois, consultant en biotechnologie, le cas Neurochem est symptomatique d'un malaise qui frappe les biotechs québécoises. «La plupart veulent y aller pour le grand chelem et le gros montant d'argent. Une compagnie comme Neurochem, comme bien d'autres d'ailleurs, n'est appuyée que sur une ou deux molécules. Bien sûr qu'on peut faire un gros coup. Sauf que quand on trébuche, ça fait un gros trou. Et ça fait en sorte que les investisseurs, au lieu de se dire qu'on a un beau savoir-faire au Québec, se retirent.»

«Comment est-il possible qu'une telle approche soit encore préconisée après tant d'échecs? Pourquoi les investisseurs institutionnels acceptent encore cette approche? Et comment voulez-vous que les investisseurs aient confiance dans un secteur qui offre autant d'échecs?» M. Vaugeois pose beaucoup de questions. Mais il propose aussi des réponses.

«Comme n'importe quelle entreprise, les biotechs doivent, un jour ou l'autre, générer des revenus, dit-il. Il faut avoir un modèle d'affaires qui génère de l'argent à court, à moyen et à long terme.»

Comment? «Allez voir Aeterna-Zentaris, à l'autre bout de la 40», lance-t-il. L'entreprise a longtemps compté en son sein une division qui fabriquait des cosmétiques, des vitamines et des suppléments nutritionnels. Une division qui rapportait de l'argent pour financer la recherche de médicaments. Et qui vole aujourd'hui de ses propres ailes sous le nom d'Atrium Innovations.

«Le développement d'une molécule à fort potentiel pour la pharmaceutique se fait sur 10 à 15 ans. C'est long. Dans le cosmétique ou le nutraceutique, ça peut être de 12 à 24 mois. C'est sûr que le retour sur l'investissement est moindre que dans le pharma. Mais au moins, ça génère du cash», dit M. Vaugeois.

Il souligne aussi qu'une même molécule possède souvent plusieurs applications potentielles. Ne choisir que celles qui visent les marchés à haut potentiel est, selon lui, une erreur. Bref, dit M. Vaugeois, dans le contexte où le capital-risque public québécois s'est graduellement retiré du secteur des biotechs, l'industrie aurait dû apprendre à frapper des coups sûrs plutôt que de rêver seulement aux coups de circuits.

Tous ne sont pas d'accord. Lorsqu'on lui demande si les biotechs d'ici devraient se mettre à développer des cosmétiques et des vitamines, Claude Bismuth, associé principal, sciences de la vie, chez Ernst & Young, est catégorique. «Non. Ce n'est pas leur vocation.»

Patrick Montpetit, de BioQuébec, pense la même chose. «Les entreprises de biotechnologies ne peuvent pas lancer une panoplie d'essais cliniques en même temps. Elles font des choix et c'est normal. Le modèle d'affaires est comme ça: on a des cibles thérapeutiques, et on pousse les meilleures.»

Il souligne d'ailleurs que le mythe de la biotech qui tente de frapper le grand chelem seule dans son coin est de moins en moins pertinent. «Les modèles d'affaires sont très diversifiés. Il y a des accords de licence, des ententes de collaboration un peu partout, des fusions et des acquisitions.»

Et selon Claude Bismuth, de Ernst & Young, des mauvaises nouvelles comme elles qui viennent de frapper Neurochem risquent justement d'inciter les biotechs à aller cogner à la porte des grandes pharmaceutiques avant de se lancer seules dans de longs et coûteux essais cliniques.

«Une entreprise peut bien dire: Je tiens le coup jusqu'en phase III et ça va me donner une plus grande valorisation. Mais quand elle va voir que d'autres ont connu des échecs et que ça conduit à des situations assez difficiles, elle risque de conclure qu'elle est mieux de faire une alliance plutôt que de parcourir tout le chemin seule et d'être foutue si ça ne marche pas.»