Dans une rare sortie publique, le président du comité exécutif de Power Corporation, Paul Desmarais, était de passage à l'Université d'Ottawa, mardi, pour inaugurer le pavillon qui porte son nom et pour lequel il a donné 15 millions de dollars. Dans le cadre de cet événement, il a accordé une entrevue exclusive au Droit.

Dans une rare sortie publique, le président du comité exécutif de Power Corporation, Paul Desmarais, était de passage à l'Université d'Ottawa, mardi, pour inaugurer le pavillon qui porte son nom et pour lequel il a donné 15 millions de dollars. Dans le cadre de cet événement, il a accordé une entrevue exclusive au Droit.

«Je me suis esquivé pendant cinq ou six ans, mais le recteur m'a finalement trouvé...»

Pour M. Desmarais, qui est originaire de Sudbury, dans le nord de l'Ontario, et qui a obtenu un baccalauréat en commerce à l'Université d'Ottawa, c'était un retour aux sources et à ses racines.

Mais il en a fallu du temps avant qu'il accepte de participer financièrement à la construction de ce pavillon qui abrite l'École de gestion de l'université de la capitale nationale.

Dans un discours empreint d'humour, M. Desmarais a démontré comment ses apparitions publiques sont comptées au compte-gouttes en expliquant la façon avec laquelle il s'est littéralement caché pendant plusieurs années avant d'accepter une rencontre avec le recteur de l'Université d'Ottawa, Gilles Patry.

«Quand j'ai quitté l'Université, en 1951, j'avais mon bac en commerce mais je venais de perdre une compagnie fictive que je gérais dans le cadre d'un exercice scolaire», a-t-il raconté.

«Je suis donc rentré chez moi à Sudbury en faillite et en me disant: Il faut que je fasse un turn around».

«Et avec le temps, je suis devenu expert en turn around. Mais quand les gens venaient me voir pour un don, je leur répondais que mon turn around n'était pas fini.»

«Alors le bon recteur m'a couru après pendant cinq ou six ans, mais avec l'aide de ma secrétaire, je disparaissais. On disait au recteur: M. Desmarais ne peut pas vous voir ce mois-ci, il est en Europe. Il ne peut pas vous voir ce mois-ci, il est malade. Il ne peut pas vous voir ce mois-ci, il est à Shanghai. En tout cas, je me suis esquivé pendant cinq ou six ans, mais le recteur m'a finalement trouvé et m'a persuadé que je devrais donner un tel montant.»

«À ce moment-là, j'étais prêt. Le turn around était complété», a lancé M. Desmarais aux rires de la foule, lui dont la fortune personnelle est estimée à quelque 4 milliards de dollars.

Mais malgré ses succès phénoménaux en affaires, M. Desmarais est d'une simplicité et d'une générosité déconcertantes. Même la pièce choisie à la hâte pour tenir notre entretien - une étroite remise de meubles usagés de l'Université d'Ottawa - n'a pas semblé le contraindre.

Fier de se dire canadien-français, M. Desmarais a expliqué au cours de cette entrevue exclusive accordée au Droit pourquoi il est important pour lui de redonner et de ne jamais oublier ses racines.

«Il est important de redonner parce qu'il faut maintenir nos institutions et surtout des institutions bilingues et canadiennes françaises», a-t-il dit.

«L'Université d'Ottawa est l'une de ces institutions et je tiens beaucoup à ce qu'elle ait du succès. Dans le monde d'aujourd'hui, il faut avoir des jeunes prêts à faire des affaires. Je voudrais dans cette nouvelle École de gestion qu'on soit capable de former des gens qui pourront aller partout dans le monde pour faire des affaires.»

«Parce qu'aujourd'hui, ce n'est pas vrai qu'on fait seulement des affaires dans une paroisse, ou dans un comté, ou dans une province, ou dans un pays, ou même dans un continent. Le monde s'ouvre tellement. Et sur tous les continents. Il y a des opportunités partout au monde et ces gens-là ont hâte de venir faire des affaires ici et ils ont hâte d'accueillir des jeunes d'ici pour que leurs affaires marchent mieux.»

«Et il ne faut pas être gêné de parler le français, peu importe où l'on fait des affaires, d'insister M. Desmarais. Quand on arrive quelque part, qu'on parle le français et que le bonhomme ne comprend pas, c'est son problème. Il n'a qu'à trouver un interprète.»

«Moi, ça ne me gêne pas du tout de parler français, on m'accommode. Des gens partout dans le monde parlent deux ou trois langues. Bon, il serait peut-être mieux de parler le chinois en Chine, mais c'est plus difficile à apprendre à mon âge», a-t-il lancé en souriant, lui qui célébrera ses 81 ans en janvier prochain.

De Gatineau à Sudbury

Quand on demande à M. Desmarais s'il se considère aujourd'hui franco-ontarien ou québécois, il répond promptement qu'il est d'abord et avant tout canadien-français.

Et le fédéraliste convaincu en lui profite de la question pour donner sa vision du Québec d'aujourd'hui.

«Je suis un Canadien français né en Ontario et maintenant je suis un canadien-français québécois, tranche-t-il. Mes deux grands-pères, qui étaient marchands de bois, sont partis de Gatineau en 1905 pour aller s'établir à Sudbury et ses environs. Comme eux, je suis canadien-français.»

«Naturellement, il y a des nationalistes québécois, poursuit-il en s'éloignant de la question. Et moi, je suis très attentif aux intérêts de la province de Québec. Mais je pense que les intérêts de la province de Québec sont réellement à l'intérieur du Canada. On n'a pas besoin, comme (feu) Daniel Johnson a dit, «d'ériger un mur de Chine autour de la province de Québec».

«J'étais l'ami de M. Johnson et j'ai toujours pensé ça et je le pense encore. Et je pense aussi que les jeunes dans la province de Québec réalisent que nous ne sommes pas enfermés et qu'il y a des chances et des opportunités pour tout le monde, partout au monde.»

«Si quelqu'un arrivait demain matin et te disait: J'ai une compagnie à te vendre aux États-Unis, dirais-tu: Je ne veux pas y aller parce que je suis francophone? Ce serait stupide. C'est aux jeunes de la province de Québec de conquérir le reste du pays. On ne se sert pas de ça pour se séparer.»