En matière d'abri fiscal, si ça a l'air trop beau pour être vrai, ça risque, justement, de ne pas être pas vrai.

En matière d'abri fiscal, si ça a l'air trop beau pour être vrai, ça risque, justement, de ne pas être pas vrai.

Environ 1250 investisseurs floués dans une arnaque d'abri fiscal bidon en 1992 viennent de se faire rappeler cette dure réalité en remportant une victoire judiciaire au goût amer.

Le promoteur véreux Lucien Roy et d'autres membres de la famille Roy, aujourd'hui tous insolvables, ont été condamnés au civil pour des montages frauduleux offerts en 1992 aux demandeurs, dans le but de les duper.

Mais Revenu Canada et Revenu Québec, les seuls intimés capables de payer, ont été dégagés de toute responsabilité.

Le jugement visant ce recours collectif, prononcé le 7 novembre par le juge Louis Crête, survient au terme d'un parcours de 11 ans devant la Cour supérieure.

"Nous allons en appeler de la décision. Nous avons plaidé que les deux ministères du Revenu ont une responsabilité et nous pensons que le jugement comprend des erreurs qui mènent à une interprétation trop restreinte de la loi et de la preuve devant le juge", a dit hier Me Pierre Sylvestre, l'avocat de la poursuite.

Les demandeurs réclamaient des dommages extracontractuels en rapport avec les pertes financières subies à la suite d'investissements dans des abris fiscaux concoctés il y a une quinzaine d'années par Lucien Roy, le "cerveau" et le "chef d'orchestre" de ces faux abris fiscaux et projets de recherche bidon.

Or, les abris fiscaux en question avaient reçu un numéro d'abri fiscal de Revenu Canada, utilisé pour convaincre les investisseurs que leurs 6400$ leur permettrait d'économiser 20 000 $ en impôts. Mais le fisc, en fin de compte, a découvert qu'il n'y avait pas de recherche et les déductions fiscales ont été refusées.

Les demandeurs poursuivaient les promoteurs de ces abris fiscaux, Lucien Roy, son neuveu Robert, son frère Constantin ainsi que sa fille Colette Roy-Wilson, le comptable Normand Fortin de même que des vendeurs et diverses firmes désormais inactives et vides de tout actif.

La plupart des intimés condamnés sont insolvables ou carrément disparus dans la nature, dit Me Sylvestre.

En fait, les demandeurs poursuivaient surtout Revenu Canada et Revenu Québec, accusant les autorités fiscales de négligence pour leur avoir laissé croire des avantages fiscaux qui ont finalement été refusés.

Et l'enjeu réel du procès était la responsabilité des deux ministères dans l'attribution des numéros d'abris fiscal à une flopée de projets fumeux.

Le juge ne s'est pas gêné pour détailler la responsabilité civile de Lucien Roy et de sa famille, mais tout en attribuant aux demandeurs 50% de la responsabilité de leurs propres dommages.

Les divers membres de la famille Roy sont tenus responsables de la moitié des dommages subis par les 1250 investisseurs, le comptable Fortin étant blâmé pour un pourcentage moins élevé.

Le juge Crête a rappelé la feuille de route de Lucien Roy, son impressionnante collection de 92 condamnations pénales pour des infractions à la Loi sur les valeurs mobilières (son neveu Robert en a 91), ainsi que sa condamnation à des infractions fiscales pour des millions de dollars.

Il a aussi rappelé le rôle du neveu Robert, un biologiste auteur de recherches "peu sérieuses", qui s'est en revanche découvert un talent réel pour rediriger l'argent reçu des investisseurs vers des comptes de banque aux Îles Turquoises, un paradis fiscal.

Le neveu a aussi écopé d'une amende de 500 000 $ -impayée, souligne le juge- pour des déclarations fiscales fausses et trompeuses en 2002.

Par contre, la poursuite est un échec là où ça compte, si on peut dire: les demandeurs ont échoué à démontrer au juge Crête la responsabilité du fisc dans son administration des programmes d'abris fiscal.

Il a rejeté carrément la poursuite des demandeurs contre les percepteurs des deux gouvernements, ce qui les laisse avec un jugement estimé à 8 M$, mais qui n'est percevable auprès de personne.

"Le juge a simplement constaté que les deux ministères du Revenu n'ont fait que leur travail devant des abris fiscaux jugés inadmissibles", a dit Me Claude Joyal, l'avocat du fisc fédéral.

"Il faut retenir du jugement que le chien de garde des investisseurs, ce n'est pas le ministère du Revenu, c'est la Commission des valeurs mobilières du Québec, à l'époque où s'est passée l'affaire, qui a été remplacée par l'Autorité des marchés financiers."

Revenu Québec a refusé les déductions dès 1992, et Revenu Canada les a acceptées, puis annulées. Ottawa a par la suite recotisé les contribuables.

La décision du juge Crête a un impact sur trois autres recours collectifs évoluant en parallèle et mettant en cause d'autres investisseurs-contribuables (tous représentés par Me Sylvestre), ayant investi dans d'autres abris fiscaux du même genre.

Selon la poursuite, toutes les arnaques qui ont été présentées aux investisseurs étaient l'oeuvre de la même mouvance de promoteurs sans scrupules, parmi lesquels on retrouve Laurent Larry Barnabé et d'autres personnes qui ont été condamnées pour des infractions aux lois sur les valeurs mobilières canadiennes.

M. Barnabé, dont le nom est évoqué par le juge Crête, est poursuivi dans un recours collectif connexe au Québec. Il a récemment refait surface aux États-Unis, où il est accusé au criminel pour son rôle dans une fraude offshore commise aux États-Unis et dans les paradis fiscaux des Antilles.