La découverte du plus important traitement contre l'asthme à ce jour a fait la fortune de Merck Frosst et a permis à sa division montréalaise de briller sur la scène médicale internationale. Stratégie pure ou hasard dirigé? Le parcours de la molécule qui deviendra le convoité Singulair en dit long sur les défis auxquels font face les multinationales pharmaceutiques.

La découverte du plus important traitement contre l'asthme à ce jour a fait la fortune de Merck Frosst et a permis à sa division montréalaise de briller sur la scène médicale internationale. Stratégie pure ou hasard dirigé? Le parcours de la molécule qui deviendra le convoité Singulair en dit long sur les défis auxquels font face les multinationales pharmaceutiques.

Jacques-Yves Gauthier travaille chez Merck Frosst à Kirkland, sur l'île de Montréal, depuis 23 ans. Assis dans la spacieuse bibliothèque privée de son centre de recherche, le spécialiste en chimie médicinale se rappelle des débuts modestes du projet Singulair, le premier auquel il a collaboré au commencement de sa carrière.

«Dans les premières années, nous remplissions notre percolateur une fois par jour et il fournissait le café à tous les chercheurs», explique-t-il. Aujourd'hui, l'équipe de recherche montréalaise de Merck Frosst compte plus de 275 scientifiques répartis dans deux édifices, sur quatre étages. Chaque année, elle dépense à elle seule plus de 100 millions $ en recherche et développement. Avec des ventes annuelles de près de 3 milliards de dollars, le succès de Singulair n'est certes pas étranger à leur généreux financement.

Selon le Dr Gauthier, le ferment des idées à succès prolifère lorsque deux ingrédients essentiels sont réunis. Premièrement, il doit exister un besoin médical réel non comblé; 10% de la population âgée entre cinq et quatorze ans ans souffre d'asthme et le traitement se fait principalement avec des pompes et des inhalateurs qui ne s'attaquent pas à la source du mal. «Deuxièmement, nous avons besoin d'une percée scientifique majeure dans le même domaine», explique-t-il.

Dès 1979, les travaux du Suédois Bengt Samuelsson avaient permis de comprendre que de petites molécules que notre corps synthétise, les leukotriènes, étaient responsables de la réponse asthmatique. Trois ans plus tard, il obtint le Prix Nobel de médecine pour sa découverte. Mais dès décembre 1979, les chercheurs de Merck parvenaient à isoler ces molécules et à les produire artificiellement en grandes quantités.

Au début des années 80, le groupe de Montréal dépensait environ 100 000 $ par année en frais d'expédition pour permettre à plusieurs chercheurs universitaires d'avancer l'état de la connaissance sur les leukotriènes. «Tout ce qu'on demandait, c'est qu'ils nous mettent au courant de leurs recherches juste avant de les publier», explique Jacques-Yves Gauthier.

En 1991, après avoir semé dans plusieurs terrains infertiles, le montélukast sodique - qui tire son nom de la ville qui l'a vu naître : Montréal - démontrait finalement sa puissance pour neutraliser l'action des leukotriènes. Après plusieurs années de mise au point et de tests sur des singes et des moutons, la molécule qui allait devenir le Singulair entrait finalement en essais cliniques.

Selon le Dr Gauthier, c'est l'une des étapes où la simple chance joue un rôle crucial. «Quand tu entres en clinique, tu n'as aucune idée si le médicament sur lequel tu as travaillé pendant des années sur des animaux agit de la même manière chez l'homme. Il se peut que ça ne marche pas ou qu'il y ait un effet secondaire jamais observé qui apparaisse», lance-t-il. Un médicament sur deux échoue à cette étape cruciale. Et il n'y a toujours pas de marché pour l'asthme chez les moutons.

Très souvent, les échecs sont causés par une mauvaise assimilation du médicament par le corps. Celui-ci peut-être éliminé trop rapidement par le foie, ou il peut demeurer trop longtemps dans le corps humain et s'accumuler. L'étude de la durée de vie active du médicament dans le corps s'appelle la pharmacocinétique. Et l'équipe de Merck à Montréal s'en est fait une spécialité.

C'est en maîtrisant la pharmacocinétique qu'on peut créer un médicament pris oralement une fois par jour plutôt que plusieurs fois par jour à des doses irrégulières, explique le Dr Gauthier. «Et c'est souvent ça qui distingue un succès commercial d'un échec.»

En 1998, après près de sept années de tests cliniques, la Food and drug administration (FDA) américaine approuvait le Singulair, suivi de près par Santé Canada. Ses effets secondaires s'étaient avérés négligeables. On pouvait même le prescrire à des enfants de six mois.

Avec un travail soutenu et une dose de chance, le centre de recherche de Merck à Montréal est maintenant le plus important au Canada et l'un des principaux de la multinationale. «Si on avait échoué avec le Singulair, on serait probablement encore avec le même percolateur dans notre petit édifice, confie Jacques-Yves Gauthier. Mais l'expertise qu'on a gagnée dans le processus, la compréhension de ce qu'il faut faire pour mettre au point un médicament inoffensif et efficace fait que nous sommes maintenant devenu un modèle pour les autres laboratoires de Merck à l'échelle mondiale.»