Devant la difficulté croissante d'alimenter leurs pipelines, les grandes pharmas refilent maintenant une partie de leur risque aux petites biotechs.

Devant la difficulté croissante d'alimenter leurs pipelines, les grandes pharmas refilent maintenant une partie de leur risque aux petites biotechs.

Le défi ne se résume plus à découvrir la molécule miracle. Il faut aussi dénicher la bonne entreprise... et allonger l'argent au bon moment.

Chez Merck, on appelait ça le " syndrome NIH ". Pour Not Invented Here. " Si ce n'était pas fait maison, on n'était pas intéressé ", résume Jean-Luc Blais, directeur des relations publiques chez Merck Frosst Canada.

La société a changé son fusil d'épaule. Pourquoi, en effet, miser uniquement sur ses propres chercheurs pour découvrir des médicaments alors que d'autres s'activent au sein des petites entreprises de biotechnologies qui pullulent autour ?

" Depuis deux ou trois ans, on a une équipe de recruteurs qui font le tour et qui rencontrent les gens des biotechs ", dit M. Blais. Selon Pierre MacNeil, directeur, politiques et remboursement, au même endroit, Merck fait maintenant une cinquantaine d'acquisitions notables par année à l'échelle de la planète.

" C'est une tendance lourde, et qui s'accélère ", dit M. MacNeil. Un exemple de cette nouvelle façon de faire est l'entente que Merck a conclue avec Ambrilia cet automne. La firme de biotechnologie de l'Île-des-Soeurs a cédé au géant pharmaceutique ses droits mondiaux sur le PPL-100, un composé prometteur dans le traitement du sida. En retour, Ambrilia a encaissé sur le coup 17 millions de dollars US, et obtiendra des redevances sur d'éventuelles ventes du produit qui pourraient lui rapporter jusqu'à 215 $ US.

Bref, que ce soit en s'entendant avec elles ou en les avalant tout simplement, les grandes pharmas ont maintenant les yeux braqués sur les petites biotechs. Pour Michel Leblanc, ancien vice-président, Sciences de la vie, chez Montréal International, et désormais chez Génome Québec, elles n'ont tout simplement pas le choix. " C'est loin d'être clair que les grandes pharmas vont trouver le moyen de s'organiser elles-mêmes pour remplir leurs pipelines ", dit-il.

Il compare la situation à une équipe de hockey de la Ligue Nationale. Impossible, aujourd'hui, de compter uniquement sur le club école pour remplir les rangs de bons hockeyeurs. Il faut des recruteurs pour aller dénicher le talent là où il se trouve.

C'est donc une nouvelle partie qui se dessine dans le monde de l'industrie pharmaceutique. Pour les grandes pharmas, les dépenses ne pourront plus être entièrement consacrées à faire fonctionner les laboratoires. " Le modèle d'affaires va reposer sur la capacité d'accumuler du gros cash, de faire un bon travail de dépistage et de saisir la bonne molécule ", dit M. Leblanc.

Et pour jouer dans ce nouveau monde, il faudra savoir abattre ses cartes au bon moment. Parce qu'acheter une biotech trop tôt, c'est investir dans un produit qui n'a pas encore fait ses preuves et qui risque d'échouer avant de rapporter un cent. Mais attendre trop signifie qu'il faudra payer plus cher, sans compter le risque de se faire devancer par un concurrent plus audacieux.

Quant aux petites biotechs, dit Michel Leblanc, leur rôle sera d'inventer de nouvelles molécules, et de réduire leur risque d'échec en conduisant les premières étapes de recherche. " En caricaturant à peine, tout ce que je fais, si je suis une biotech, c'est de dire : "il est plus probable que ça marche". Et j'essaie de faire valoir aux pharmas que j'ai assez réduit le risque pour que ça vaille la peine, pour elles, de prendre le relais. "

En viendrons-nous à voir les grandes sociétés pharmaceutiques délaisser la science pour devenir de pures entreprises financières, laissant aux autres le risque de développer les médicaments ? Les principales intéressées jurent que non. Michel Leblanc les croit.

" Pour être en mesure de détecter la bonne science à l'externe, il va falloir garder une bonne ligne de science à l'interne. Ça prend des hommes de hockey pour détecter les bons hockeyeurs. "