L'offre d'achat de 1,85 milliard $ d'une entreprise de l'Inde pour l'une des dernières aciéries encore sous contrôle canadien, Algoma, du nord de l'Ontario, ravive les préoccupations sur l'avenir de cette industrie.

L'offre d'achat de 1,85 milliard $ d'une entreprise de l'Inde pour l'une des dernières aciéries encore sous contrôle canadien, Algoma, du nord de l'Ontario, ravive les préoccupations sur l'avenir de cette industrie.

«Encore une prise de contrôle dans la sidérurgie canadienne par des capitaux étrangers, qui fera d'abord l'affaire des actionnaires de l'entreprise achetée», constate Michel Arsenault, directeur québécois du syndicat des Métallurgistes d'Amérique, le plus gros de la sidérurgie sur le continent.

«Pour la suite, il faut souhaiter que les auteurs de cette transaction à prix fort, comme les précédentes, auront les reins financiers assez solides en cas de repli du marché de l'acier. Dans le cas contraire, ça risque de compromettre tout avantage que des aciéries canadiennes indépendantes comme Algoma peuvent obtenir de l'appartenance à de grosses entreprises internationales.»

Pour l'acquéreur annoncé d'Algoma, le groupe Essar Global, de Mumbay, en Inde, cette transaction marque en effet son émergence dans la sidérurgie internationale.

«Notre objectif est de grandir sur le marché mondial, en créant une chaîne intégrée d'activités dans l'acier. L'achat d'Algoma s'intègre très bien dans notre plan et il représente un risque d'affaires bien planifié», a soutenu Manish Kedia, vice-président d'Essar Global.

Ce conglomérat d'affaires diversifié a annoncé dimanche une offre d'achat au comptant de 56 $ l'action d'Algoma, un producteur de 2,4 millions de tonnes d'acier en 2006.

Le conglomérat Essar, qui pèse 10 milliards US en chiffre d'affaires, a une filiale sidérurgique qui veut doubler presque sa production annuelle à 8,5 millions de tonnes d'acier d'ici trois ans.

Outre son offre pour Algoma, le plan d'affaires d'Essar Steel pour l'Amérique du Nord comprend déjà le démarrage d'une aciérie de 1,7 milliard US à Trinidad, dans les Antilles.

Chez Algoma, l'offre d'Essar survient au terme de deux mois de rumeurs et de négociations de vente avortées, durant lesquelles ses actions s'étaient appréciées de 26 %.

Mais aussi, il confirme un important revers de fortune pour l'aciérie qui, avec ses 2500 salariés, est le plus gros employeur industriel du nord de l'Ontario. Algoma avait frôlé la faillite il y a quelques années, avant le regain du marché de l'acier.

Et hier, même sa concurrente ontarienne, Stelco, encore affaiblie d'une longue restructuration de faillite achevée en 2006, a profité de l'ampleur de l'offre d'Essar pour Algoma.

Les actions de Stelco ont sursauté de 16 %, à 27 $ lundi, à la Bourse de Toronto, gonflant sa valeur d'entreprise à 730 millions, 50 % de plus qu'il y a un an.

Des investisseurs spéculent que Stelco pourrait être la prochaine cible d'achat par de capitaux étrangers dans le secteur des métaux industriels au Canada.

Entre-temps, l'offre d'achat pour Algoma, si elle prévaut, sera la deuxième transaction milliardaire dans la sidérurgie canadienne en guère plus d'un an.

En mars 2006, le géant européen Arcelor avait payé 5,5 milliards pour l'ontarienne Dofasco, considérée alors l'un des meilleurs producteurs d'acier sur le continent. Cette acquisition comprenait la filiale minière Quebec Cartier Mining (QCM), qui fait des affaires d'or ces années-ci avec son minerai de fer extrait de la Côte-Nord québécoise.

Mais en juin 2006, Arcelor était à son tour gobée par le géant indien Mittal dans une transaction de 38,3 milliards US, créant un nouveau meneur mondial de l'acier.

Pour se défendre de Mittal, Arcelor avait mis Dofasco en fiducie afin de la revendre à son rival ThyssenKrupp, un groupe industriel allemand qui avait aussi ciblé Dofasco.

Depuis, le sort final de la propriété de Dofasco demeure en dispute juridique transatlantique.

Chose certaine, toutefois, Dofasco n'est plus sous contrôle canadien, tout comme le sera bientôt Algoma. Et peut-être Ipsco, un producteur d'acier industriel en Saskatchewan qui est déjà en sollicitation d'offres.

Au Québec, c'est le géant indien Mittal, devenu Arcelor-Mittal, qui contrôle la grosse sidérurgie depuis plusieurs années.

Ce fut d'abord l'ex-société d'État Sidbec à Contrecoeur, privatisée par Québec il y a 12 ans. Puis, à la fin de 2005, Mittal a racheté de l'ontarienne Stelco, alors en protection de faillite, ses filiales industrielles au Québec, dont Norambar à Contrecoeur et Stelfil à Lachine.

Aujourd'hui, Mittal regroupe quelque 2000 salariés au Québec. Et elle bénéficie encore d'une bonne cote relative auprès des dirigeants syndicaux.

«Le niveau d'emplois a été relativement bien préservé. Et Mittal a réalisé les investissements promis au fil des ans», admet Michel Arsenault, directeur des Métallos et vice-président de la FTQ.

«Mais d'autres investissements sont requis pour demeurer concurrentiel, en dépit de la prospérité du marché. En particulier dans l'aciérie de l'ex-Sidbec à Contrecoeur.»