Des revenus liés au pétrole qui caracolent. Une devise qui fluctue au gré du baril d'or noir et des revenus gouvernementaux instables, imprévisibles. Ottawa? Plutôt Oslo à la fin des années 90.

Des revenus liés au pétrole qui caracolent. Une devise qui fluctue au gré du baril d'or noir et des revenus gouvernementaux instables, imprévisibles. Ottawa? Plutôt Oslo à la fin des années 90.

À cette époque, l'économie norvégienne est malade, se rappelle Martin Skancke, aujourd'hui directeur du ministère des Finances à Oslo.

«On devait se remettre de la période qui a vu les prix du pétrole descendre énormément.»

Le secteur manufacturier en arrachait, poursuit-il au bout du fil, le chômage était élevé.

M. Skancke a l'habitude de ce genre d'explication. Depuis que le gouvernement mis sur pied un fonds qui l'aide à avoir une devise plus stable (et des revenus pour l'avenir), plusieurs délégations de pays exportateurs de ressources se sont pointées à Oslo.

Officiellement, le fonds des revenus pétroliers a été créé en 1990, même s'il n'a reçu ses premières couronnes norvégiennes qu'en 1996. Aujourd'hui le fonds fait quelque 2000 milliards de couronnes, soit 345 milliards de dollars canadiens.

Tout cet argent est investi à l'étranger, ce qui a permis de réduire les fortes pressions à la hausse sur la couronne norvégienne. Le gouvernement se permet de piger des revenus de 4% par année dans le fonds, une somme qui est ajoutée à ses autres revenus.

Est-ce que la recette norvégienne a fonctionné? M. Skancke n'hésite pas une seconde. «La couronne norvégienne est beaucoup plus stable que la devise d'autres pays avec une économie ouverte, comparable à la nôtre.»

Il ne va pas jusqu'à chiffrer l'effet de ce fonds sur la stabilité de la devise. «Si vous êtes capable de produire un tel modèle, vous serez très riche», lance-t-il.

Évidemment, la situation économique de la Norvège il y a 20 ans n'est pas identique à celle du Canada actuel.

Au pays, même si le huard s'envole, le taux de chômage reste historiquement bas. Et cela, même au Québec où, à quelques barils près en Gaspésie, on ne produit ni gaz naturel ni pétrole.

N'empêche. L'économiste en chef d'Exportation et Développement Canada est revenu à la charge cette semaine avec un concept qu'il aiguise depuis quelques années: celui d'une économie à deux vitesses, tant au Canada que dans reste du monde.

Il y a ceux qui exploitent des ressources convoitées. Et il y a les autres. «Les ajustements nécessaires sont parfois douloureux, et il n'y a pas de répit en vue», pronostique-t-il.

Pour 2007, EDC prévoit une croissance en dollars de 3,7% des exportations canadiennes. Une hausse qui varie beaucoup selon les secteurs: de 26% pour les engrais à 15% pour l'agroalimentaire, en passant par 20% pour les minerais et les métaux.

Les exportations de biens de consommation seront de leur côté en baisse (-8%), comme les voitures et le matériel de télécommunication (-6% dans les deux cas).

Au total, l'organisme fédéral prévoit que les exportations québécoises et ontariennes reculeront d'environ 1% en 2008.

C'est dans ce contexte que l'économiste et gestionnaire de portefeuille Jean-Luc Landry, de la firme Landry Morin, s'est remis la tête dans les livres. Depuis six mois, il regarde ce que d'autres pays ont fait pour venir en aide à leurs entreprises quand leur devise s'est mise à caracoler.

L'exemple norvégien le séduit. D'autant plus qu'il ne croit pas qu'une baisse des taux d'intérêt aura un impact positif à long terme sur l'économie.

«Il n'y a pas grand-chose que la politique monétaire puisse faire. Abaisser les taux va tout simplement stimuler l'économie domestique. Donc, on va créer de l'inflation domestique.»

Il propose donc la mise sur pied d'un fonds qui forcera l'épargne collective. Sans avoir fait de calculs précis, il songe à une cagnotte fédérale qui grossirait de quelque 10 milliards par année, pour atteindre les 100 milliards dans dix ans.

Cet argent serait transféré à létranger, comme le font les Norvégiens, ce qui réduirait d'autant la demande internationale pour le huard canadien. Moins de demande signifie moins de pression à la hausse sur la devise.

L'Alberta a déjà son fonds de l'héritage, mais l'objectif n'est pas d'investir à l'étranger pour faire baisser le huard. C'est plutôt pour assurer les vieux jours des Albertains, quand les pétrolières auront fini d'exploiter leurs ressources.

M. Landry ne se contente pas de vouloir sortir une partie de l'argent du pays. Il prône aussi des baisses d'impôt aux entreprises pour les inciter à investir.

Et il propose qu'une partie des sommes du fonds pétrolier servent à aider les entreprises à moderniser leur équipement. «On est en train de perdre notre base industrielle si on ne fait rien», déplore-t-il.

Or, il y a un hic, que M. Landry est le premier à constater: les fonds de capital de risque, qui sont censés jouer ce rôle, ont des rendements très faibles au Canada comparativement à ceux des États-Unis.

«Je pense que ce n'est pas une raison de ne pas le faire.»

Au Conference Board du Canada, le directeur des prévisions nationales et provinciales, Pedro Antunez, ne dit pas non à un fonds à la norvégienne.

Mais il souligne que malgré ses quelque 300 000 emplois perdus depuis 2002, le secteur manufacturier canadien compte encore pour 16% de l'économie. «On a été épaté de voir le secteur manufacturier continuer à produire.»

L'économiste en chef de Desjardins, François Dupuis, n'est pas contre l'idée d'un fonds non plus. Mais, ajoute-t-il, le dollar américain va se mettre à remonter avant qu'on n'ait réussi à le mettre sur pied.

Le billet vert n'attend qu'un signal clair de la communauté internationale avant de repartir - un peu - vers le haut. «Je verrais plus une intervention concertée des membres du G-8 pour freiner la baisse du dollar américain», dit-il.

La baisse des dernières semaines est alimentée, selon lui, par «un pessimisme à l'extrême».