La Presse Affaires a un nouveau collaborateur: Henry Mintzberg.

La Presse Affaires a un nouveau collaborateur: Henry Mintzberg.

Cet universitaire de haut calibre, professeur à l'Université McGill, est considéré comme l'un des plus grands penseurs du management. Figurant au Who's Who mondial depuis 1999, M. Mintzberg est titulaire de 13 doctorats honorifiques, décernés dans huit pays.

Son best-seller Des managers, des vrais, pas des MBA a jeté un pavé dans la mare de l'enseignement traditionnel dans les écoles de gestion. Ses propos, recueillis sous forme d'entrevue, vous seront livrés sur une base régulière.

Henry Mintzberg nous amène souvent là où on ne s'y attend pas.

Pour cette première entrevue, nous avions prévu aborder avec ce grand penseur du leadership les leçons du congédiement du président de Home Depot, Robert Nardelli, «remercié» au début de janvier pour la contre-performance des actions par une prime de départ de 210 millions de dollars américains. Ce sera pour une prochaine fois

Car la conversation a rapidement bifurqué sur la contre-performance de la productivité québécoise.

Diagnostic du professeur Mintzberg: «C'est peut-être une bonne nouvelle.»

Q: Selon Statistique Canada, le Québec arrive à l'avant-dernier rang parmi les provinces canadiennes pour ses gains de productivité entre 1997 et 2005. Faut-il s'inquiéter?

R: Non. Je crois même que c'est une bonne nouvelle. Ça signifie que le Québec n'a pas encore sombré dans la folie qui est en train de tuer les États-Unis.

Q: Que voulez-vous dire?

R: Un article publié en décembre 2005 dans le International Herald Tribune sur la hausse de la productivité aux États-Unis en donnait l'explication suivante en sous-titre: «Les coûts de main-d'oeuvre diminuent et les ventes augmentent.»

Voilà le moyen utilisé par les grandes entreprises américaines cotées en Bourse pour atteindre des niveaux records de productivité.

Depuis 2001, la majorité des PDG de ces entreprises poursuivent deux objectifs : maximiser le rendement de l'avoir des actionnaires et encaisser au passage des millions de dollars en options sur ces actions.

Pour y parvenir, ils ont licencié des milliers de travailleurs, accru les pressions sur les cadres intermédiaires, affaibli sinon cassé les syndicats, en plus de réduire la qualité des produits et du service à la clientèle.

On détruit les entreprises mais on est incroyablement productifs!

Ces gains de productivité sont des pertes. Car une fois les produits écoulés pour gonfler le «stock» et le savoir-faire des travailleurs et des cadres disparu, ces entreprises risquent de se retrouver sans «stock».

Ça, c'est beaucoup plus inquiétant que les statistiques récentes sur la productivité québécoise.

Q: Faut-il cesser de rechercher une plus grande productivité?

R: Ce n'est pas ce que je dis. Je dis simplement que la productivité n'est pas la seule mesure pour évaluer la santé d'une entreprise, d'une économie et d'une société.

Si c'était le cas, le grand modèle à imiter serait Wal-Mart. Avec ses salaires, son antisyndicalisme et les économies de bout de chandelles qu'elle réalise aux États-Unis dans l'assurance santé de ses employés.

On ne construit pas une économie saine et équilibrée de cette façon. Tout ce que l'on réussit à faire, c'est de gonfler la richesse de quelques-uns et augmentant le nombre de laissés pour compte. Malheureusement, le modèle Wal-Mart, son organisation «lean and mean» fait des ravages.

Dans un rapport publié en 2005, l'OCDE notait une réduction significative des investissements en recherche et développement aux États-Unis. La grande capacité d'innovation des ingénieurs américains, celle qui a permis de bâtir l'économie américaine, n'est plus au coeur des stratégies des entreprises.

Ça, c'est aussi c'est très inquiétant.

Q: Comment va le Québec alors?

R: Le Québec possède l'une des économies les plus saines en Amérique du Nord, notamment parce qu'il a su préserver l'équilibre entre les secteurs public, privé et communautaire.

C'est aussi un des endroits où il fait bon vivre en Amérique du Nord.

Cela dit, le Québec doit faire face à d'énormes défis, notamment en raison de la mondialisation de l'économie et de la stagnation de sa démographie.

La pire réponse à ces défis serait de copier nos voisins du Sud pour demeurer compétitifs et plus productifs.

La meilleure compétition consiste à ne pas entrer en compétition, mais à plutôt miser sur ce qui nous distingue, sur nos forces.

C'est parmi les organisations nées ici que grandiront nos prochains Cirque du Soleil, une entreprise qui a littéralement créé son propre marché, comme Bombardier à l'époque de l'invention de la motoneige.

Il faut cesser de se mettre à genoux et d'investir des millions de dollars de fonds publics pour attirer ici des investissements blockbuster de grandes entreprises multinationales qui elles, sont en compétition avec le monde entier.

Q: Quelles sont les avenues de développement pour le Québec?

R: Je pense d'abord à nos PME. Le Québec en compte un très grand nombre, fondées et dirigées par des entrepreneurs locaux.

Elles sont le moteur de la création d'emplois mais elles peuvent aller encore plus loin, grâce à l'appui notamment de nos grandes institutions comme la Caisse de dépôt et de placement. Certains doutent de la possibilité de faire reposer la croissance économique sur les PME. Or, le nord de l'Italie, qui a adopté cette approche, prouve le contraire.

C'est un des endroits les plus florissants en Europe. Les coopératives de travailleurs sont également une avenue à explorer.

Ces entreprises sont fortement enracinées dans leurs communautés et l'engagement des travailleurs y est très fort. Nous pouvons aussi miser davantage sur les impacts de notre style de vie, sur le contenu et notre façon d'innover.

Le Québec a su, jusqu'à maintenant, concilier et intégrer le développement économique avec le développement social et culturel. Le Cirque du Soleil et Softimage constituent parmi les meilleurs exemples de cette caractéristique du Québec. Nous devrions l'utiliser encore plus.