Le fonds d'investissement privé Kohlberg Kravis Roberts (KKR) a un appétit vorace.

Le fonds d'investissement privé Kohlberg Kravis Roberts (KKR) a un appétit vorace.

Depuis 2000, le fonds new-yorkais a racheté trois importantes entreprises canadiennes depuis 2000: Shoppers Drug Mart (2,7 milliards), Groupe Pages Jaunes (3,1 milliards) et Masonite (3,1 milliards). Toujours dans une même optique.

«En gros, ce qu'ils font, c'est qu'ils achètent des entreprises inscrites en Bourse qu'ils peuvent privatiser pour créer de la valeur», explique Lawrence Kryzanowski, professeur de finances à l'École de gestion John Molson de l'Université Concordia.

Et comment les KKR, Bain et autres fonds d'investissement créent-ils cette valeur? En réduisant au maximum les coûts d'exploitation des entreprises rachetées, puis en revendant séparément les différentes divisions.

«Ils ont la perception que si la compagnie est brisée en morceaux, les morceaux peuvent valoir plus que le tout», illustre Lawrence Kryzanowski.

Selon plusieurs experts, le cours de l'action de BCE en Bourse -qui a peu progressé depuis cinq ans- ne reflète pas la valeur réelle de l'entreprise. Car si certains secteurs de Bell sont en déclin, comme la téléphonie résidentielle, d'autres, comme le sans-fil et internet, affichent une bonne croissance.

Une nouvelle entité indépendante, appelée Bell Sans-fil par exemple, pourrait susciter un grand intérêt chez des investisseurs, explique-t-on. Une chose est sûre: si KKR réussit à mettre la main sur une portion de BCE, ce ne sera pas dans le but de la garder longtemps. Le temps de rationaliser, de réorganiser et de morceler. Neuf mois ou un an, peut-être un peu plus.

«Le plus vite ils peuvent le faire, le mieux c'est, explique le professeur Kryzanowski. Parce qu'ils cherchent à obtenir le rendement le plus élevé sur leur investissement.»

Tom Velk, professeur d'économie à l'Université McGill, abonde dans le même sens. «On ne parle pas ici d'une acquisition à long terme, ils ne vont pas diriger Bell. Ce qu'ils feront, c'est de le privatiser pour un temps, en vue de le revendre en pièces détachées.»

Pionnier des rachats

KKR est l'un des plus importants fonds d'investissement privés au monde. Cofondée en 1976 par Henry Kravis et George Roberts, la firme a conclu quelque 145 transactions d'un montant global de 274 milliards US depuis sa création.

L'entreprise emploie 90 professionnels spécialisés dans différentes industries, qui étudient en profondeur chaque cible potentielle avant de faire une offre. «Ils ont fait très peu d'erreurs en carrière», souligne Tom Velk.

Le mois dernier, KKR a fait un coup d'éclat aux États-Unis en annonçant le rachat, avec le partenaire Texas Pacific Group, du groupe énergétique américain TXU Corp. La transaction de 45 milliards US a établi un nouveau record pour une acquisition réalisée par un fonds d'investissement privé.

KKR s'intéresse aussi au secteur des télécommunications. L'an dernier, elle a acheté avec d'autres partenaires une entreprise danoise spécialisée dans la téléphonie et la câblodistribution, TDC, pour 12,3 milliards US.

Le Canada convoité

Au cours des dernières années, les fonds comme KKR ont multiplié les prises de contrôle au Canada. Ces fonds n'hésitent pas à employer des méthodes «brutales» pour améliorer l'efficacité des entreprises qu'ils rachètent, par exemple en coupant massivement les emplois.

Dans le cas de Bell, même si l'équipe du PDG Michael Sabia a déjà lancé un vaste programme de réductions des coûts, un acheteur potentiel comme KKR n'aurait pas le choix d'utiliser des méthodes encore plus musclées, explique le professeur Lawrence Kryzanowski.

«Ils devront être plus brutaux que l'équipe de direction de Bell, sans quoi ils n'ajouteront pas de valeur», dit-il.

Selon M. Kryzanowski, les dirigeants d'entreprises canadiennes sont plus «doux» que leurs homologues américains. Ils prennent moins de mesures pour améliorer l'efficacité de leurs sociétés -et par ricochet leur performance boursière, dit-il. Ce qui explique que le Canada soit une cible alléchante pour les fonds d'investissement.

«Il faudrait être moins doux sinon on continuera à assister à des prises de contrôle, avance le professeur. C'est sûr je me sens mal quand je regarde le coût humain, mais au fur à mesure que les marchés deviennent plus ouverts, ça (le phénomène des rachats par des fonds d'investissement privés) ira en s'amplifiant.»

Selon l'agence Bloomberg, les rachats d'entreprises par des fonds ont atteint un sommet historique en 2006. Le total des acquisitions par emprunt s'est établi à près de 600 milliards US, une hausse de 70 % par rapport à 2005.