C.I. Financial, Precision Drilling, Transforce... Plus de 50 entreprises inscrites à la Bourse canadienne se sont transformées en fiducies, depuis quatre ans. Et la liste n'en finit plus d'allonger.

C.I. Financial, Precision Drilling, Transforce... Plus de 50 entreprises inscrites à la Bourse canadienne se sont transformées en fiducies, depuis quatre ans. Et la liste n'en finit plus d'allonger.

Il y a 10 jours, c'était au tour de Telus d'annoncer la métamorphose de ses actions en unités de fiducie de revenus. Une économie d'impôts prévue de 700 millions de dollars par année pour le numéro 2 canadien des télécoms. Le pactole! Sous le coup de la nouvelle, le titre a gagné 19 %. Même le titre de BCE (Bell Canada Entreprises) a été propulsé de 14 % par les rumeurs voulant que l'entreprise soit aussi convertie pour profiter de ce bon bon fiscal.

Ces dernières années, la Banque Royale, le Groupe CGI, le Groupe Jean Coutu, Metro, Alcan, pour n'en nommer que quelques-uns, ont fait l'objet de spéculations sur une éventuelle conversion. Cette semaine, c'est le gouvernement fédéral qui songeait à placer dans une fiducie une trentaine de ses immeubles.

À ce compte, toutes les entreprises inscrites en Bourse ne devraient-elles pas se convertir en fiducie?

Non! Certainement pas! D'abord, la fiducie n'est pas un moule qui convient à toutes les entreprises. La fiducie redistribue la majeure partie de ses profits aux investisseurs qui peuvent utiliser ses entrées de fonds à leur guise. La fiducie impose une discipline de fer aux dirigeants qui doivent générer le maximum de profits. Mais à l'inverse, la formule peut nuire à la croissance de l'entreprise qui n'a plus les moyens financiers de réinvestir pour le futur.

Ainsi, les fiducies conviennent aux industries matures qui ont des revenus stables, plutôt qu'à des secteurs à forte croissance. En théorie, donc, il est impensable que les fiducies s'étendent tout azimuts à la Bourse.

Que fera Ottawa?

De toute façon, " ça n'arrivera pas parce que le gouvernement va réagir si les pertes fiscales sont trop importantes ", prévient Michel Tessier, analyste financier chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Les fiducies de revenus ne paient pratiquement pas d'impôts car elles distribuent presque tout l'argent qu'elles font aux détenteurs de leurs unités. Les profits sont donc imposés entre les mains des investisseurs. Mais si les unités de fiducies se trouvent dans des comptes enregistrés (ex: REER), l'impôt est reporté au moment de la retraite.

Moins d'impôts sur le coup, moins de revenus pour l'État. Pour l'instant, l'économie canadienne roule à fond et les coffres de l'État sont bien garnis. Mais une détérioration des finances publiques mettrait de la pression sur les fiducies, estime Moïse Falcao, vice-président adjoint pour les titres à revenus variables chez Optimum.

Le ministère des Finances vient justement d'amorcer une réflexion sur les fiducies, après avoir constaté qu'il a laissé filé 300 millions de dollars l'an dernier, du fait que les fiducies sont moins imposées.

La préoccupation ne date pas d'hier. L'ancien gouvernement libéral avait déjà imposé un moratoire sur les fiducies de revenus. Finalement, à la veille des élections, les libéraux avaient plutôt choisi de réduire le fardeau fiscal des dividendes, afin de réduire l'attrait des fiducies.

Mais depuis, les rangs des fiducies ont continué de gonfler. Et les investisseurs en sont toujours aussi friands. C'est le rendement élevé que procurent les distributions régulières qui les attirent.

" C'est un bon véhicule à ajouter à sa stratégie de placement ", estime André D'Amours, gestionnaire de portefeuille chez MacDougall, MacDougall, MacTier. Les fiducies ont l'avantage de ne pas fluctuer exactement dans le même sens que les actions, ce qui accroît la diversification d'un portefeuille et en réduit le risque.

Mais présentement, M. D'Amours sélectionne les fiducies avec prudence. Il ne faut pas gérer ses placements en regardant dans le rétroviseur, dit-il. Depuis cinq ans, les fiducies ont encaissé des rendements supérieurs aux actions, notamment à cause de leur présence dans le secteur pétrolier. Mais ce ne sera pas le cas cette année, selon lui. Il s'attend à une performance de 5 à 7 % d'ici 12 mois, soit un peu moins que les actions.

CINQ QUESTIONS AVANT D'INVESTIR DANS UNE FIDUCIE

1

LE RENDEMENT EST- IL TROP BEAU POUR DURER?

Trop d'investisseurs se laissent hypnotiser par le rendement élevé que procurent les fiducies de revenus. Ils perçoivent les fiducies comme des obligations. Dans une fiducie, rien n'est garanti: ni la distribution qui procure un rendement régulier, ni le prix de l'unité. Bien sûr, un rendement très élevé (10 à 12 %) est alléchant. Mais c'est peut-être aussi un signe que le marché s'attend à une réduction de la distribution aux investisseurs. Il est alors important de vérifier le ratio de distribution, c'est-à-dire le pourcentage des flux monétaires (cash flow) que l'entreprise remet aux investisseurs. Si le ratio est supérieur à 85 %, la distribution est plus à risque. " Il y a un danger de coupure de la distribution ", dit M. Amours.

Plusieurs fiducies ont sabré leurs distributions depuis le début de l'année, notamment celles qui étaient actives dans le gaz naturel dont les cours ont chuté, comme Paramount Energy, PrimeWest Energy et Focus Energy. Quand les distributions sont réduites, le cours de l'unité plonge, si bien que les investisseurs souffrent sur les deux fronts.

2

EST-CE QU'ON MANGE LES POMMES OU LE POMMIER?

Il ne faut pas mettre toutes les fiducies dans le même sac. Elles sont aussi variées que les actions. D'où l'importance de les analyser une à une. " Il y a des fiducies où les investisseurs cueillent les pommes, mais l'arbre reste là. Il y en d'autres où on coupe aussi les branches et le tronc du pommier ", illustre M. D'Amours.

Exemple: le pétrole. Si l'entreprise remet tous ses profits aux détenteurs d'unités et n'investit pas dans l'exploration, ses réserves seront éventuellement à sec.

Les fiducies pétrolières forment en ce moment presque la moitié des fiducies. Avec l'explosion des prix du pétrole, elles n'ont eu aucune difficulté à verser de généreuses distributions. Mais les investisseurs qui craignent une chute de prix devraient rester sur leurs gardes.

Présentement, M. D'Amours préfère les fiducies qui oeuvrent dans des secteurs plus défensifs, comme le transport. Entre autres, le chef de file québécois du camionnage, Transforce, sera favorisé si le prix du pétrole recule.

3

CYCLIQUE OU STABLE?

Si les conditions économiques se détériorent, comme plusieurs l'entrevoient, les fiducies dont les produits sont plus cycliques auront plus de difficulté à maintenir leur distribution.

Alors, vaut mieux viser celles qui ont des revenus stables, avec des perspectives de croissance. M. Tessier pointe Riocan Real Estate qui loue des édifices à de grands détaillants, comme des chaînes d'alimentation. L'entreprise est protégée par des baux à long terme qui comportent des clauses d'ajustement à l'inflation. D'autres idées: Boralex et Great Lakes Hydro qui ont des contrats à long terme avec de gros clients.

De son côté, M. D'Amours cite Pages Jaunes qui distribuent des annuaires téléphoniques, Newalta qui gère des lieux d'enfouissement de déchets, et Aéroplan qui gère le système de fidélisation d'Air Canada, notamment.

4

OÙ S'EN VONT LES TAUX D'INTÉRÊT?

Même si les fiducies s'apparentent plutôt à des actions, elles restent en concurrence avec les obligations dans le coeur des investisseurs à l'affût de rendement. Ainsi, une bonne hausse des taux d'intérêt ramènerait bien des épargnants vers les obligations, dont le capital est garanti. Cela ferait perdre du lustre aux rendements des fiducies et le cours des unités plongerait.

5

AVEZ-VOUS SAISI LES SUBTILITÉS FISCALES?

Souvent, une partie de la distribution versée par la fiducie est considérée comme un " retour de capital " qui correspond à la dépréciation des actifs de l'entreprise. Cette portion de la distribution n'est pas imposable... sur le coup.

En fait, le contribuable ne l'ajoute pas à ses revenus de l'année courante. Mais lorsqu'il revend sa fiducie, le retour de capital vient réduire son prix d'achat, ce qui augmente le gain en capital qu'il aura à payer sur la progression du titre.

Un exemple: un investisseur achète une unité à 10 $ et la revend à 12 $ cinq ans plus tard. Chaque année, il touche une distribution de 1 $, dont 50 cents en retour de capital. Chaque année, il paie l'impôt sur seulement 50 cents. Au bout de cinq ans, il doit réduire son prix d'achat de 2,50 $ (5 fois 50 cents), à 7,50 $. Il devra donc payer l'impôt sur un gain en capital de 4,50 $ (prix vendu de 12 $, moins 7,50 $).

Avantageux puisque le gain en capital n'est imposable qu'à moitié.

UN SURVOL DES FIDUCIES DE REVENUSLe portrait

- Une fiducie est une entreprise qui distribue une grande partie de ses profits aux détenteurs de ses unités, plutôt que de les réinvestir dans la croissance de l'entreprise.

- La fiducie a un traitement fiscal différent d'une compagnie. Les bénéfices d'une compagnie sont imposés à deux paliers, dans les coffres de l'entreprise, puis dans le portefeuille de l'investisseur lorsqu'il reçoit des dividendes. Les profits de la fiducie, eux, sont imposés uniquement entre les mains des détenteurs d'unités

- Les fiducies sont concentrées dans les secteurs du pétrole (45% en valeur boursière), de l'immobilier (12%) et de la production d'énergie et les pipelines (9%). Mais on en trouve un nombre grandissant dans des secteurs aussi variés que la restauration, les services financiers et le transport.

La popularité

- Uniquement en 2005, 41 nouvelles fiducies sont apparues à la Bourse de Toronto (TSX)

- On dénombre 247 fiducies de revenus, trois fois plus qu'il y a cinq ans

- Leur valeur boursière s'élève à 1,9 billion $ (1900 milliards$), soit 10% du TSX

- Les fiducies ont accaparé 33% de l'argent neuf placé à la Bourse par les investisseurs (émissions publiques, placements privés, nouvelles inscriptions à la Bourse, etc.) durant la première moitié de 2006.

- Surtout réservées aux investisseurs particuliers, au départ, les fiducies séduisent désormais les grands gestionnaires de portefeuilles qui détiennent 40% des unités.

La fiducie parfaite

- Elle occupe une bonne part de marché dans une industrie mature.

- Elle dispose d'avantages concurrentiels imposants, elle évolue dans un secteur où il y a des barrières élevées à l'entrée pour de nouveaux acteurs.

- Elle produit des revenus et des flux de trésorerie (cash flow) stables ou en croissance.

- Ses revenus découlent de sources variées (plusieurs clients, plusieurs créneaux).

- Ses actifs ne nécessitent pas d'investissements majeurs. Ils sont voués à une longue vie.

- Elle fait seulement des acquisitions qui augmentent immédiatement ses cash flow.

- Elle n'est pas trop endettée.

- Son équipe de gestion a fait ses preuves.

- Les gestionnaires et les détenteurs d'unités ont les mêmes intérêts.

- Ses unités se négocient entre 6 et 7 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement, pas plus.

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