Avec son service dévastateur, son coup droit menaçant et l'énergie de ses 22 ans, Frank Dancevic possède l'arsenal rêvé de tout joueur de tennis.

Avec son service dévastateur, son coup droit menaçant et l'énergie de ses 22 ans, Frank Dancevic possède l'arsenal rêvé de tout joueur de tennis.

Il ne lui manque plus qu'une chose afin de connaître une belle carrière chez les pros: des billets verts.

L'athlète de Niagara Falls a beau être l'un des meilleurs joueurs de tennis au monde – il est présentement 92e au classement de l'ATP –, il commence à peine à boucler son budget.

Étonnant? Bienvenue dans l'univers du tennis professionnel, qui offre le gros lot à ses vedettes pendant que les autres se serrent la ceinture. «Les joueurs de tennis ne sont pas des athlètes multimillionnaires comme dans les autres sports», dit Michael Downey, PDG de Tennis Canada.

L'an dernier, l'ATP comptait 14 millionnaires, dont le numéro un mondial Roger Federer, qui a gagné 8,34 M$ US en bourses.

«Federer, Nadal et les autres joueurs du top 5 ont des habiletés uniques au monde, dit Frank Dancevic. C'est normal qu'ils soient récompensés. Mais le reste des joueurs de tennis ne font pas beaucoup d'argent comparativement aux autres sports professionnels. Le 100e meilleur joueur de hockey au monde fait des millions. Au tennis, il est chanceux de faire 30 000 $ après avoir payé ses dépenses.»

«Les salaires descendent plus vite que le calibre de jeu», reconnaît Eugène Lapierre, le directeur de la Coupe Rogers, qui octroiera 2,45 M$ US en bourses cette semaine à Montréal.

À première vue, les bourses accordées aux joueurs semblent alléchantes. Frank Dancevic a d'ailleurs amassé 148 585 $US en bourses l'an dernier – une marque qu'il a déjà dépassée cette année (165 445 $US avant la Coupe Rogers).

Mais les dépenses d'un joueur de tennis professionnel sont nombreuses: les impôts étrangers prélevés à la source, le salaire et les dépenses de son entraîneur, les billets d'avion, les hôtels, les factures salées de téléphone cellulaire.

Depuis l'an dernier, Tennis Canada débourse tous les frais d'entraînement de ses meilleurs joueurs, dont Frank Dancevic. «Nous tentons de ne pas se contenter de signer des chèques aux athlètes, dit le PDG Michael Downey. Nous voulons plutôt leur fournir des services qui amélioreront leurs performances.»

Sans l'aide de Tennis Canada, Frank Dancevic serait forcé de congédier son entraîneur. Et encore, il ne bouclerait pas son budget. Son entraîneur Martin Laurendeau – un ancien joueur qui a atteint le 90e rang mondial en 1988 – est bien conscient de l'état précaire des finances de son protégé, le plus bel espoir du tennis canadien depuis l'époque des Lareau, LeBlanc et Rusedski.

«Les bourses sont ridicules pour un sport aussi populaire à l'échelle internationale, dit-il. Les gens s'emballent quand ils voient un joueur faire 10 000 $ dans un tournoi du Grand Chelem mais ce dernier ne dépose pas ce montant directement dans son compte de banque.»

Selon Martin Laurendeau, les joueurs de tennis canadiens subissent davantage de pressions financières que les Européens.

«Les Européens pensent moins aux considérations financières parce qu'ils ont des bourses qui leur permettent de se payer un entraîneur, dit-il. Ils ne sont pas stressés quand ils doivent payer une chambre d'hôtel à 250$ la nuit pendant cinq jours avant le début du tournoi. Ils peuvent jouer au tennis sans se préoccuper de leur situation financière. Les Canadiens doivent faire leur horaire en fonction de leurs dépenses. Ils choisissent des tournois rapprochés géographiquement afin de diminuer les frais de déplacement.»

Injuste, le tennis professionnel? Peut-être. Mais les joueurs comme Frank Dancevic sont aussi impuissants devant le système de bourses de l'ATP que devant un service de Roger Federer ou un coup droit de Rafael Nadal.

«Les joueurs comme moi n'ont pas vraiment leur mot à dire, dit Frank Dancevic. Mais si la majorité des joueurs ne font presque pas d'argent, il doit bien y avoir quelqu'un quelque part qui ne fait pas son travail correctement. Nous devrions faire au moins le double de nos salaires actuels.»

L'écart salarial entre l'élite mondiale et le reste du circuit ne date pourtant pas d'hier. «Quand je jouais, certains voulaient augmenter les bourses pour ceux qui perdent en première ronde lors des tournois du Grand Chelem, dit l'ancien joueur professionnel Sébastien Lareau. Ça aurait garanti un revenu minimum aux 125 meilleurs joueurs au monde. Mais il faudrait soit piger dans les bourses consacrées au double, soit trouver de nouveaux commanditaires.»

L'ATP est consciente des difficultés financières de plusieurs de ses joueurs. Le circuit entend remédier à la situation en 2009. «Nous allons annoncer une série de mesures cet été en vue de la saison 2009, dit le chef de l'exploitation Flip Galloway. Nous voulons augmenter les bourses de 30% à 40%.»

«Mais nous sommes aussi prisonniers par les principes du marché. Nos meilleurs joueurs gagnent très bien leur vie, mais nous voulons mieux redistribuer la richesse. Sauf que ce n'est pas aussi facile que ça en a l'air.»

Surtout que ce sont les têtes d'affiche du circuit – Federer, Nadal, Roddick, Djokovic, pour ne nommer que celles-là – qui rempliront les gradins du stade Uniprix cette semaine. Et au fond, le système n'est pas aussi inéquitable qu'il n'en a l'air. «Tous les joueurs ont la même chance de gagner le tournoi», dit Martin Laurendeau.

Telle est la devise du tennis professionnel: que le meilleur gagne – les trophées autant que les billets verts.