Le gouvernement du Québec vient de découvrir une échappatoire qui lui a fait perdre des millions de dollars d'impôts, a appris La Presse Affaires.

Le gouvernement du Québec vient de découvrir une échappatoire qui lui a fait perdre des millions de dollars d'impôts, a appris La Presse Affaires.

Le stratagème fiscal a été utilisé pendant plusieurs années par des entrepreneurs qui ont fait un gain en capital en vendant leur entreprise. Le ministère des Finances du Québec a découvert le pot aux roses à l'automne, après discussion avec le ministère du Revenu.

«Il s'agit d'une formule fiscale pour vendre des entreprises sans payer le gain en capital au Québec. On a su que ça s'utilisait de façon régulière», a expliqué à La Presse Affaires Réal Tremblay, sous-ministre responsable de la fiscalité au ministère des Finances.

Pour fermer l'échappatoire, le ministère des Finances a publié un bulletin, juste avant les Fêtes, annonçant des modifications significatives à la loi sur l'impôt.

Essentiellement, le stratagème fiscal était possible parce qu'un contribuable pouvait faire traiter ses gains de façon différente au fédéral et au provincial. Dans le cas d'une vente d'entreprise, par exemple, le contribuable pouvait déclarer un dividende au provincial, mais un gain en capital au fédéral. Ces choix distincts permettaient d'éviter de payer environ la moitié de l'impôt sur le gain en capital au Québec.

«Inacceptable»

«Cette situation est inacceptable. En effet, ces différents choix dans la loi n'ont pas pour but de permettre d'éviter le paiement d'un impôt, mais de conférer une certaine flexibilité aux contribuables en ce qui a trait au traitement fiscal qui leur est applicable», est-il écrit dans le bulletin du 20 décembre.

Dans certaines situations, par exemple, un entrepreneur qui faisait un gain d'un million de dollars en vendant son entreprise pouvait réduire sa facture d'impôts de moitié au Québec, soit d'environ 60 000 $.

L'estimation vient du fiscaliste Stéphane Leblanc, l'un des associés de la firme Ernst & Young, à Montréal. «Cette planification fiscale pouvait être utilisée assez couramment depuis 10 ans. L'économie d'impôts varie selon les situations», a expliqué M. Leblanc.

Le bulletin du 20 décembre ferme désormais la porte au stratagème. Québec abolit même carrément la possibilité de faire des choix fiscaux distincts entre le provincial et le fédéral, vente d'entreprises ou non.

Grâce aux fiducies

Le gouvernement a eu la puce à l'oreille avec l'affaire des fiducies, le printemps dernier. Le ministère du Revenu avait découvert qu'environ 150 fiducies québécoises ont été créé par des entreprises pour éviter l'impôt à payer au Québec.

Globalement, ces entreprises ont ainsi économisé 500 millions de dollars ces dernières années. Parmi les entreprises, on retrouve Reitmans (17 millions), Transcontinental (8,6 millions) et Couche-Tard (9,8 millions US).

Les fiducies profitaient elles aussi de la possibilité de faire des choix distincts entre le fédéral et le Québec. Le gouvernement a adopté la Loi 15 pour récupérer les impôts impayés. À l'automne, on a poussé plus loin l'analyse, ce qui a permis de découvrir le nouveau stratagème impliquant des transactions d'entreprises.

Cette fois, le ministère des Finances n'est pas en mesure de chiffrer les montants perdus en impôts, mais tout indique qu'il s'agit de plusieurs millions de dollars. Revenu Québec est en train d'identifier des cas.

Les sommes seront vraisemblablement moindres, croit Stéphane Leblanc, de Ernst & Young. «Je ne pense pas qu'on voit de grosses surprises dans les rapports annuels des entreprises en Bourse comme ce fut le cas avec les fiducies. C'est moins répandu», dit-il.

Il faut dire qu'à la différence du stratagème des fiducies, le gouvernement ne pourra faire une loi rétroactive pour cotiser les contribuables fautifs. En effet, dans le cas des fiducies, Québec avait déjà publié un bulletin d'information en 1998 pour indiquer son intention, ce qui ne fut pas le cas du stratagème des transactions d'entreprises.

Pour cotiser, Québec devra donc s'en remettre à sa règle générale antiévitement (RGAE), une règle qui permet de cotiser les contribuables qui respectent la lettre de la loi, mais non l'esprit.

Compte tenu de la prescription, néanmoins, la règle antiévitement permet seulement de cotiser depuis 2003 les contribuables qui auraient utilisé le stratagème, pas avant.

Fait étonnant, Stéphane Leblanc soutient que le gouvernement était au courant depuis 2002 de telles stratégies fiscales. Le sujet avait été abordé publiquement au congrès de l'Association québécoise de la planification fiscale (APFF).

«En réponse à des questions des fiscalistes, le ministère avait ni plus ni moins donner son aval», soutient M. Leblanc.

«C'est tout à fait faux, réplique Alain Ross, fiscaliste au ministère des Finances. À l'époque, on nous avait posé une question sur un seul volet du stratagème et non sur le stratagème au complet. La situation soumise ne nous agressait pas», dit M. Ross.

Une histoire qui sera probablement à suivre... devant les tribunaux.

IMPÔT: UN AUTRE TROU DANS LA LOI

«L'existence d'un choix québécois distinct du choix fédéral correspondant peut donner lieu à des transactions d'évitement de l'impôt provincial qui vont clairement à l'encontre de la politique fiscale. Cette situation est inacceptable.»

«Ces différents choix n'ont pas pour but de permettre d'éviter le paiement d'un impôt, mais plutôt de conférer une certaine flexibilité aux contribuables .»

«Certaines restrictions spécifiques ont été apportées dans le passé afin d'empêcher ce type d'abus. Il semble toutefois que ces ajustements ponctuels ne soient pas suffisants.» - MICHEL AUDET, MINISTRE DES FINANCES DU QUÉBEC