Dès l'automne 2001, l'ancienne Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) a analysé et mis en question des éléments de la comptabilité de Norbourg. Et l'employé qui l'a fait par écrit à Vincent Lacroix était nul autre qu'Éric Asselin, alors enquêteur à la CVMQ.

Dès l'automne 2001, l'ancienne Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) a analysé et mis en question des éléments de la comptabilité de Norbourg. Et l'employé qui l'a fait par écrit à Vincent Lacroix était nul autre qu'Éric Asselin, alors enquêteur à la CVMQ.

C'est ce que dit une lettre de la CVMQ (maintenant renommée Autorité des marchés financiers) datée du 25 septembre 2001 adressée à Norbourg. Rappelons qu'en mars 2002, Éric Asselin allait devenir le bras droit de M. Lacroix chez Norbourg.

La Presse a obtenu cette lettre, mercredi dernier, de Vincent Lacroix. Le président déchu de Norbourg, actuellement accusé de 51 infractions pénales, affirme avoir reçu une copie de cette lettre en avril dernier de l'AMF, dans le cadre de la divulgation avant-procès de la preuve.

L'AMF a confirmé l'authenticité de la lettre.

«Nous avons procédé à l'analyse de vos états financiers vérifiés du 31 juin 2001», commence la lettre de la CVMQ, qui soulève ensuite une série de questions concernant l'exactitude comptable des informations financières fournies par Norbourg en date du 31 juin 2001.

«Selon les montants indiqués dans ces états, vous présentez un excédent du fonds de roulement de 40 881$, alors que selon nos calculs, vous auriez dû présenter un déficit de 459 119$.»

La lettre signée «Éric Asselin, CGA et enquêteur», déclare Norbourg «en situation déficitaire» et conteste la valeur comptable donnée par Norbourg à un placement de 500 000$.

La lettre de la CVMQ exige ensuite 12 précisions comptables à Norbourg.

On comprend l'intérêt de M. Lacroix à révéler aujourd'hui cette lettre: nuire à l'AMF, qui veut l'envoyer en prison. La vieille lettre de M. Asselin ne risque guère d'avoir d'impact sur le procès de M. Lacroix, mais elle frappe où ça peut faire mal.

L'AMF est visée par un recours collectif où des investisseurs floués réclament 130 millions. L'AMF et son ancêtre, la CVMQ, sont poursuivies au civil d'avoir été négligentes dans la surveillance des fonds communs Norbourg depuis leur lancement en 2001.

Si l'enquêteur Asselin s'intéressait à Norbourg dès 2001, les avocats qui poursuivent l'AMF au nom des investisseurs voudront peut-être savoir pourquoi.

Surtout que M. Asselin a reçu un paiement de 120 000$ de M. Lacroix en 2002, alors qu'il n'avait pas encore démissionné de la CVMQ pour se joindre à Norbourg. M. Lacroix affirme maintenant avoir versé des pots-de-vin à M. Asselin quand ce dernier était enquêteur (M. Asselin nie; selon lui, les 120 000$ étaient un boni de signature).

Bien que l'AMF confirme l'authenticité de la lettre signée par Éric Asselin en 2001, l'organisme de réglementation affirme que M. Asselin agissait dans le cadre d'une vérification de routine sur le fonds de roulement de Norbourg, qui devait, en tant que conseiller financier, toujours demeurer au-dessus de 25 000$.

Ces vérifications étaient le plus souvent confiées au personnel des enquêtes et inspection, en raison de leur formation en comptabilité, a dit Frédéric Alberro, porte-parole de l'AMF. Le fait qu'il ait mis son titre d'enquêteur dans sa signature ne veut pas dire qu'il agissait dans le cadre d'une enquête. «Dans ces cas-là, le titre n'avait rien à voir avec le mandat.»

Que cette lettre fasse surface maintenant est un rebondissement bizarre. L'AMF vient tout juste d'obtenir une rétractation d'un ancien employé, Scott Disher, concernant des allégations embarrassantes au sujet de M. Asselin.

Dans une entrevue à La Presse publiée en octobre 2006, M. Disher avait affirmé que M. Asselin enquêtait sur Norbourg juste avant que M. Lacroix l'engage dans sa firme. L'AMF a toujours nié ces allégations. En entrevue récente, M. Disher a indiqué à La Presse qu'il a signé la rétraction parce que l'AMF envisageait une poursuite en dommages de 150 000$.

Dans le document cosigné par M. Disher et l'AMF, on lit que «() à l'époque où il était à l'emploi de la CVMQ, Éric Asselin n'a jamais été mandaté d'effectuer aucune inspection, ni enquête officielle ou non officielle portant sur le fonctionnement ou les opérations d'affaires () du Groupe Norbourg».

Dans son document de cour, l'AMF affirme aussi que les inspections et enquêtes sur Norbourg ont été lancées «bien après» qu'Éric Asselin eut démissionné de la CVMQ et entrepris sa carrière chez Norbourg.

La lettre de M. Asselin à Norbourg, en 2001, ne contredit aucunement cette position, affirme M. Alberro, de l'AMF: «Éric Asselin n'agissait pas à titre d'enquêteur ni même d'inspecteur dans le dossier Norbourg».

«La nature de l'intervention d'Éric Asselin, en 2001, auprès de () Norbourg portait sur la supervision du fonds de roulement», un travail qui relevait de la même direction que les enquêtes et inspections et que M. Asselin a fait dans le cadre régulier «de la supervision courante d'un conseiller en valeurs».