L'entreprise sherbrookoise Teknika HBA, la deuxième entreprise de génie-conseil fondée au Québec (95 ans), a remporté de très nombreux prix au Québec et au Canada, aussi bien pour son expertise en génie que pour la qualité de sa gestion des ressources humaines.

L'entreprise sherbrookoise Teknika HBA, la deuxième entreprise de génie-conseil fondée au Québec (95 ans), a remporté de très nombreux prix au Québec et au Canada, aussi bien pour son expertise en génie que pour la qualité de sa gestion des ressources humaines.

Teknika s'est dotée d'une structure originale pour une entreprise privée: ses employés détiennent le plus fort volume d'actions au sein d'une coopérative.

«Quand les personnes trouvent leur épanouissement, les profits suivent tout naturellement», explique son président-directeur général, Wilfrid Morin, ingénieur, qui travaille pour l'entreprise depuis 35 ans.

Q À quoi attribuez-vous vous prix et vos succès ?

R C'est le ref let du dynamisme de notre personnel. Nous avons fondé la coopérative des employés en 1998, et elle regroupe aujourd'hui environ 300 des 700 membres du personnel.

La coopérative est ouverte à tous sans discrimination de sexe, d'origine ou de poste. Le président de la coopérative siège au conseil d'administration de l'entreprise. C'est lui qui détient le plus fort volume d'actions autour de la table son vote a beaucoup de poids.

Le reste de l'actionnariat est entre les mains de quelque 80 professionnels. Cette structure est née de notre désir d'accroître l'éthique, l'équité et la transparence dans l'entreprise. Tous les trois mois, comme une entreprise publique, nous communiquons à nos actionnaires nos états financiers comparés à notre budget annuel et au trimestre de l'année précédente.

Les employés sont donc copropriétaires de l'entreprise grâce à la coopérative, et cela ajoute beaucoup à leur sentiment d'appartenance. Cette organisation oblige à une gestion plus collégiale.

Dans une entreprise plus traditionnelle, les cadres prennent des décisions et essayent ensuite de convaincre le personnel de les suivre. Notre processus ralentit probablement la prise de décision, mais nous sommes plus rapides dans l'exécution, car nos décisions sont partagées et soutenues par l'ensemble du personnel.

Q Qu'est-ce qui vous a amené à opter pour ce mode de gestion?

R J'attache une extrême importance à la qualité des relations interpersonnelles. On ne peut l'accroître que si l'on développe des valeurs de haut niveau. Or tout commence par le respect des personnes.

Respecter un collègue ou un employé, c'est lui offrir un milieu sain et serein dans lequel il peut se réaliser, se développer, trouver un réel bien-être. C'est respecter sa dignité en entretenant un climat de confiance qui le responsabilise. Cela donne des résultats non seulement au plan humain, mais aussi dans les performances de l'entreprise.

Q Ces valeurs de haut niveau, comment les transmettez-vous dans une entreprise de 700 personnes, avec une vingtaine d'établissements différents ?

R Nous avons des programmes de formation et de suivi, ainsi qu'un programme de qualité de vie au travail. Mais l'exemple doit d'abord venir d'en haut. Prêcher par des actes, c'est la clef du succès pour un gestionnaire. Si le discours n'est pas vrai, l'employé ne suivra pas.

Pour moi-même, je m'efforce de rester cordial, de ne pas porter de jugement, d'agir pour aider ceux qui viennent me voir, de souligner leurs bons coups. C'est une discipline à se donner. Je suis très à l'écoute des personnes.

Nous avons aussi instauré les dîners avec le président. J'essaye de rencontrer tout le personnel trois ou quatre fois par an, parce que la communication régulière et continue, c'est 80 % du succès d'une organisation.

Je vais m'asseoir avec les gens, nous les tenons au courant de nos réalisations, des projets et des objectifs.

Les questions des employés sont souvent directes et je réponds sans détour. Nous invitons aussi les employés à s'exprimer en toute franchise avec leurs collègues lors d'une difficulté.

Il peut arriver qu'il s'agisse d'un litige délicat avec un supérieur : les employés peuvent alors communiquer avec la haute direction, pour qu'elle puisse intervenir sans blâmer les personnes... car les torts sont rarement d'un seul côté.

Nous tentons d'agir en tant que personnes matures qui sse respectent malgré le stres du travail, de la famille, de la santé... Nous demandons aux gens une dose d'indulgence et de compréhension.

Une personne peut avoir des difficultés momentanées dans la vie. Elle peut aussi connaître des échecs : l'erreur fait partie de l'apprentissage.

Ce qui compte ce n'est pas la perfection mais la progression. L'analyse rétrospective d'une difficulté en entreprise est souvent plus importante pour l'avenir que l'échec ou l'erreur elle-même.

Q En quoi consiste votre programme de qualité de vie au travail ?

R En 2003, nous avons adopté un plan en quatre axes pour approfondir les valeurs de l'entreprise. Le premier, c'est de travailler à la qualité du milieu physique de travail.

On investit des sommes importantes et le personnel le constate de façon physique. Le deuxième axe, c'est d'améliorer les relations interpersonnelles. Le troisième est la valorisation et le développement de l'employé. Une des tentations en gestion, c'est d'imposer les décisions pour aller plus vite. Mais si on confie des responsabilités aux gens, il faut leur faire confiance. C'est comme cela que la personne va grandir.

Enfin, le dernier axe, c'est l'équilibre travail-famille. La gestion des opérations doit faire une place aux nouvelles réalités de la vie. Les jeunes ont de nouvelles contraintes et une approche différente de la vie de travail. On doit en tenir compte. Nous visons à éviter les heures supplémentaires abusives qui empêchent une vie saine en famille.

Q Teknika HBA s'implique aussi beaucoup dans sa communauté. Vous avez, par exemple, présidé le comité des dons majeurs de l'Université de Sherbrooke...

R On doit beaucoup à la société. On a aussi beaucoup reçu de nos parents, qui nous ont permis d'étudier et de vivre dans un beau et grand pays. À nous de soutenir cette communauté, ses hôpitaux, ses universités, ses oeuvres charitables... Dans notre organisation, nous savons que l'argent n'est pas une fin, il y a des choses plus importantes.

Q On imagine souvent, à tort, que les ingénieurs ne font que calculer... Comment faites-vous pour équilibrer la calculette et le coeur ?

R C'est passionnant d'amalgamer une forte compétence technique avec des valeurs humaines exigeantes. Soigner le milieu et la vie de travail s'avère même un avantage concurrentiel, surtout avec la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée que l'on connaît. Parce que du personnel motivé qui fonctionne bien en équipe et qui communique bien est beaucoup plus performant.

Et puis nos employés comprennent que le coeur de notre organisation, ce n'est pas le profit mais les personnes et leur contribution à la société, au-delà même de l'ingénierie. On veut vivre une vie de qualité, et c'est ça qui donne du sens au travail que l'on fait. Si j'ai toujours la flamme après 35 ans dans cette entreprise, c'est que j'ai senti qu'à travers le travail il y a un idéal à atteindre. Le président de l'entreprise de l'époque Jacques Lemieux a été mon mentor et m'a aidé à grandir dans ce sens. J'ai tellement pu approfondir mes valeurs dans cette entreprise que j'ai pu y exprimer une manière de vivre ma foi.

Ce qui me fait le plus plaisir, au-delà des réalisations techniques ou des succès financiers, c'est de voir comment les personnes se sont transformées. C'est ça, notre vraie richesse.

D'après une entrevue radiophonique avec Thierry Pauchant, professeur titulaire, Chaire de management éthique, HEC Montréal (Chaque jeudi, 19 h 30 à 20 h 30, Radio Ville-Marie). Pour écouter la version intégrale de l'entrevue : www.éthiquesautravail.com