Quand les gestionnaires ne sortent pas assez de leur bureau, on peut observer des situations qui frisent l'absurde.

Quand les gestionnaires ne sortent pas assez de leur bureau, on peut observer des situations qui frisent l'absurde.

À titre de conseillère agrée en «RH» (ressources humaines), Cybèle Rioux en a entendu des vertes et des pas mûres.

«On m'a rapporté qu'un gestionnaire avait exigé que tous les nouveaux employés passent un test de lecture/écriture. Or, il ignorait que certains des chefs d'équipe étaient analphabètes et ne pouvaient - et ne voulaient pas - valider les résultats de ce test.»

Autre exemple à l'appui, une entreprise manufacturière avait besoin d'un commis à l'expédition pour l'été. La responsable RH a embauché un étudiant sans vraiment consulter le superviseur de l'expédition. Son raisonnement?

Si l'étudiant était assez brillant pour aller à l'université, sûrement qu'il pouvait faire des boîtes. Hélas, le nouvel employé, les mains pleines de pouces, a dû être mis à pied.

«J'ai alors suggéré d'instaurer un test consistant à monter une boîte de carton depuis le plat, avec du ruban adhésif», se rappelle Cybèle Rioux, présidente d'Alizé ressources humaines.

Comme le propriétaire doutait de la pertinence du test, le superviseur de l'expédition l'a mis au défi de le faire.

«Le patron s'est empêtré dans le ruban adhésif. Maintenant, l'entreprise utilise le test pour tout nouvel employé d'expédition.»

Lorsqu'une PME atteint 50 à 120 employés, elle peut traverser une crise lors de la mise en place d'un deuxième niveau hiérarchique entre la direction et les gens sur le plancher, estime Mme Rioux.

À mesure qu'une entreprise grossit, ses dirigeants ne peuvent plus aller autant sur le terrain. Il peut alors s'installer un clivage entre les exécutifs et les exécutants. Les premiers, confinés dans leurs bureaux, ne perçoivent plus toujours les besoins des derniers.

Robotel est un fabricant de produits électroniques et de logiciels. À ses débuts, presque tout était fait à la main, incluant les tâches les plus fastidieuses. Un jour, une commande urgente a obligé chacun à mettre l'épaule à la roue.

La directrice de production, qui venait de se faire refuser l'achat d'une machine à plier les résistances (petits composants électroniques), a assigné l'ingrate tâche au président, Étienne Bouchard.

En moins d'une demi-heure, ce dernier a compris l'intérêt de la plieuse.

«J'ai dit à la directrice: ça n'a pas de sens, c'est une perte de temps incroyable. Tu achètes cette machine demain!»

Depuis, note M. Bouchard, Robotel évalue ce type d'investissement en considérant aussi le facteur humain dans les tâches.

De nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi les superviseurs ne sont pas enclins à consulter leurs employés avant de prendre des décisions, note Claude Paquet, psychologue et conseiller en relations industrielles agréé. Souvent, il y aura le facteur temps.

Dans le feu de l'action, le gestionnaire considérera qu'il lui appartient de trancher sans aide. S'il n'est pas déjà très au fait de la réalité du terrain, malgré son expérience, il pourra alors faire des choix logiques, mais peu applicables.

Certains gestionnaires sont parfois pressés de faire leurs preuves, observe Claude Paquet, associé chez Dolmen Capital humain. Dès son arrivée dans un nouvel environnement, la personne multiplie les initiatives, sans prendre le pouls des troupes au préalable.

«Je compare ça au fait d'aller trop vite en voiture. Le gestionnaire n'a pas le temps de voir les panneaux sur la route qui pourraient infléchir sa conduite.»

Selon M. Paquet, la gaffe guette également les superviseurs qui, forts de leurs succès passés, tendent à réutiliser sans arrêt la même recette. Incapable de sortir de sa zone de confort, le chef applique ses «bonnes vieilles méthodes» et ne tient pas du tout à être confronté aux nouvelles réalités.

Il y a aussi le cas des «experts». Choisi en fonction de ses connaissances techniques, ce type de gestionnaire aura naturellement tendance à essayer de régler lui-même les problèmes, sans consulter ses subordonnés.