À moitié ouvertes le soir depuis près de 15 ans, les épiceries se préparent à passer à plein régime après 17h00. Implacables lois du marché ou abus de pouvoir de la part du client-roi ?

À moitié ouvertes le soir depuis près de 15 ans, les épiceries se préparent à passer à plein régime après 17h00. Implacables lois du marché ou abus de pouvoir de la part du client-roi ?

Détaillants et syndicats ne s'entendent pas sur la réponse. Pour les premiers, le changement des habitudes de vie des consommateurs impose la levée du quota de quatre employés en soirée.

«Les gens ont des horaires entrecoupés et un mode de vie accéléré, fait valoir Linda Lapointe, porte-parole de la Coalition pour l'élargissement des heures d'affaires. Aujourd'hui, on décide souvent l'après-midi ce qu'on va manger le soir, et on recherche des produits frais comme les fruits ou le poisson.»

La coalition en veut pour preuve les files d'attente qui se forment le soir aux caisses des supermarchés, mettant les employés sous pression. Elle demande de pouvoir fonctionner à pleine capacité jusqu'à 22h00, quitte à fermer ensuite.

Le syndicat des Travailleurs unis de l'alimentation (FTQ) tente de limiter l'heure de fermeture à 21h00 au nom de la qualité de vie des employés, d'où une impasse dans les négociations. Il accuse les détaillants d'abuser de son ouverture à régler le problème des files d'attente.

«Ça n'a aucun sens d'ouvrir si longtemps», soutient le vice-président de la FTQ, Louis Bolduc, selon qui on a surtout affaire, en milieu de soirée, à un «marché de dépannage». Couche-Tard vient d'ailleurs d'entrer dans le débat aux côtés de la FTQ.

Il semble déjà d'une autre époque, le temps pas si lointain où les supermarchés fermaient à 17 h00 la semaine et où leurs clients se heurtaient à des portes closes le dimanche.

C'est en 1992 que Québec a autorisé l'ouverture le soir et la nuit avec un maximum de quatre employés. Un compromis entre les réclamations des détaillants, qui disaient perdre des parts de marché au profit des dépanneurs, les intérêts de ces derniers, et le désir de répit des employés.

Mais pour Louis Bolduc, on a peut-être ouvert cette année-là une boîte de pandore en créant des besoins. Il souligne que les banques et les quincailleries ont habitué les gens à les visiter le jour, et se montre convaincu qu'il est encore temps d'endiguer les attentes de la clientèle.

«L'entente de 1992 était un compromis boiteux, une façon de gagner du temps», renchérit Jean Lortie, président de la Fédération du commerce de la CSN, qui se plaint d'être exclue du débat. Elle n'a pas encore pris position dans les négociations commencées sans elle.

«Avons-nous fait la démonstration que tout ça n'est pas un mouvement d'humeur, qu'on parle vraiment des besoins des consommateurs? » se questionne M. Lortie, qui soupçonne un intense lobby de la part de détaillants avides de profits.

Quand on demande aux commerçants s'ils ont créé les attentes qu'ils disent aujourd'hui vouloir satisfaire, leur réponse est nuancée. «Plusieurs facteurs ont créé des besoins, dit Linda Lapointe. On est rendus à répondre à ces besoins-là, et si on ne le fait pas, d'autres vont le faire à notre place.»

Pour Dalen Bronson, de la firme d'analyse du commerce de détail Williams Group, il ne fait pas de doute que l'extension des heures d'affaires répond à un vrai besoin.

«Les gens sont coincés par un mode de vie de plus en plus chargé, ils n'arrivent pas à tout faire entrer dans leur journée, dit-il. Si ce n'était pas le cas, les épiceries n'auraient pas intérêt à ouvrir plus longtemps.»

En ce sens, M. Bronson trouve significatif que la Coalition accepte de fermer la nuit, durant laquelle les supermarchés sont moins fréquentés, pour pouvoir mieux fonctionner le soir.

Les syndicats invoquent pour leur part la qualité de vie des employés, notamment la conciliation travail-famille et le besoin de repos des étudiants.

Mais selon M. Bronson, tout cela n'est pas incompatible avec l'extension des heures d'affaires. «Il y a plusieurs célibataires auxquels les horaires plus tardifs peuvent convenir, et les gens choisissent leur travail en fonction de leurs besoins», croit-il.

Autre élément du débat: certains aspects des changements pourraient améliorer le sort des travailleurs. Outre la disparition du travail de nuit, le syndicat demande des congés fériés obligatoires pour tous, et non plus laissés à la discrétion de chaque compagnie. La FTQ en réclame sept par année, et la Coalition est prête à en accorder quatre.