Le 22 juillet 1998, Benjamin Falardeau monte en voiture avec un sac de plastique contenant 139 550 $ de billets de banque.

Le 22 juillet 1998, Benjamin Falardeau monte en voiture avec un sac de plastique contenant 139 550 $ de billets de banque.

De sa maison de la Rive-Sud, il file vers le centre-ville de Montréal jusqu'à la Tour IBM-Marathon, boulevard René-Lévesque. Son objectif: investir ses économies dans le paradis fiscal des Bahamas.

Comme convenu, deux conseillers en placement l'attendent, Marc Beauchamp et Marc Beaudoin, de la firme Midland Walwyn (devenue Merrill Lynch). Sur place, les courtiers font le décompte et gardent au passage une commission de 6500 $. Des documents unilingues anglais sont signés à la hâte, langue que Falardeau maîtrise mal.

Les deux courtiers conservent les papiers, mais Falardeau exige un reçu. «Tu devrais le détruire, lui aurait conseillé Beaudoin, parce que s'il arrive quelque chose, tu vas être dans la marde.»

C'est l'enquête de La Presse Affaires sur Martin Tremblay et son partenaire Marc Beaudoin qui a incité Benjamin Falardeau à appeler La Presse, à la mi-novembre.

Pour faire connaître son histoire, l'entrepreneur a demandé qu'on modifie son nom dans le journal, mais a consenti à ce qu'on l'identifie dans nos entretiens avec les personnes impliquées et les autorités réglementaires. Sa véritable identité nous a permis de vérifier ses dires.

À l'époque, le plombier à son compte sort d'un coûteux litige avec le fisc. Sur les conseils de son comptable, soutient-il, il décide alors d'investir aux Bahamas.

«C'est tout à fait légal», lui aurait dit le comptable, qui le réfère au conseiller en placements Marc Beauchamp. Ce dernier fait notamment équipe avec Marc Beaudoin, l'expert des transactions offshore de Midland Walwyn.

Le manège du 22 juillet se répète à cinq reprises jusqu'en août 1999. Les sommes versées en petites coupures totalisent 336 400 $. À l'été 1999, Falardeau dit même avoir remis 100 000 $ de billets de banque dans la BMW de Beauchamp, à Mont-Royal.

«Surtout pas de chèques, lui avait-on dit, seulement de l'argent liquide. Les chèques, ça laisse des traces».

Benjamin Falardeau nous a donné copie de tous les reçus, qu'il n'a jamais détruits. Ces reçus portent l'en-tête de Midland Walwyn, de Merrill Lynch ou de Dominion Investments; ils sont signés de la main de Marc Beaudoin ou de Marc Beauchamp.

«Aujourd'hui, je regarde ça et je constate comment je me suis fait embobiner. Je trouve que j'ai été épais», dit-il dans un rire gêné.

À sa décharge, Benjamin Falardeau ne connaît rien aux placements, lui qui n'a pas terminé sa deuxième année du secondaire. Ce n'est pas un ange non plus, faut-il dire: le plombier a eu d'importants problèmes avec le fisc et il admet avoir passé une fin de semaine en prison pour des constats impayées d'infractions au Code de la sécurité routière.

Client numéro 158

Quoi qu'il en soit, en 1998, Falardeau devient le client numéro 158 de Marc Beaudoin et de la Ansbacher Bank, des Bahamas. Les fonds de Falardeau y sont transférés, mais n'y restent que quelques minutes, le temps d'être retransférés, par voie électronique, chez Midland Walwyn/Merrill Lynch, à Mont-réal.

Le nom de Falardeau n'apparaît nulle part à Montréal, de sorte que le fisc et les autorités n'en savent rien. Seul apparaît le compte numéro 158.

À Montréal, Marc Beauchamp place l'argent du compte 158 dans des fonds communs, essentiellement. Mais voilà, au fil des versements comptant, Beauchamp conseille à Falardeau d'investir en Bourse dans des titres à plus fort potentiel d'appréciation, donc plus risqués, ce à quoi le plombier dit n'avoir que partiellement consenti.

Les deux tiers de ses économies, soit environ 200 000 $, sont ainsi investis dans trois titres hautement spéculatifs, des sociétés minières ou des entreprises technos en démarrage.

Les trois PME accumulent d'énormes pertes. Pire: des trois entreprises, deux ont comme vérificateur officiel le même comptable qui a recommandé le courtier Beauchamp!

Falardeau suit l'évolution de ses titres boursiers dans le journal sans se plaindre jusqu'au printemps 2000. Survient alors le krach boursier. Les titres technos dégringolent et Falardeau tente de reprendre contact avec Beauchamp, mais en vain.

«J'ai appelé, j'ai appelé, mais il ne retournait pas mes appels ou reportait nos rencontres. Finalement, par l'entremise du comptable, on a fini par se rencontrer, mais il ne m'a pas donné de réponses satisfaisantes», soutient M. Falardeau.

Des investissements hautement spéculatifs

De peine et de misère, le plombier réussit à obtenir des états de compte, en août 2000. Ces relevés, il n'en avait pas vu la couleur depuis deux ans, stratagème fiscal oblige. Falardeau constate alors les dégâts et veut ravoir son argent, investi dans divers titres boursiers sans son consentement.

Entre autres, le tandem Beauchamp/Beaudoin a acheté plus de 120 000 $ d'actions de la société Vogue Ressources, devenue Gear-Unlimited.com. Cette PME avait comme vérificateur externe en 1999 le comptable de Falardeau, comptable dont le courtier personnel est Marc Beauchamp.

En 2000, les résultats de GearUnlimited sont catastrophiques: l'entreprise n'a réalisé que 78 000 $ de revenus, mais a accumulé des pertes de 4,8 millions de dollars.

À l'époque, les affaires vont tellement mal que les dirigeants retardent la publication des états financiers, jusqu'à se faire interdire par les autorités boursières de négocier sur le titre en Bourse au printemps 2000, puis à l'automne. L'entreprise finit par se saborder.

Quoi qu'il en soit, Falardeau réussit à faire transférer au compte- gouttes ses fonds de la Ansbacher Bank vers une succursale de la Banque Nationale, aux Bahamas. Il finit par récupérer une partie de son argent (180 000 $), mais les pertes se chiffrent à quelque156 000 $. Il embauche un avocat, en février 2001, puis un détective, qui peinent à comprendre les transactions et la circulation des fonds.

Avec son avocat, Falardeau envisage d'intenter des poursuites, mais les importants frais juridiques le font hésiter. Le dossier s'embourbe et le délai légal pour poursuivre vient à échéance: il est maintenant trop tard..