Le moment qu'il redoutait vient d'arriver: avec un patrimoine estimé à 59 milliards $ US, le Mexicain Carlos Slim est devenu cette année, selon le magazine Forbes, l'homme le plus riche du monde.

Le moment qu'il redoutait vient d'arriver: avec un patrimoine estimé à 59 milliards $ US, le Mexicain Carlos Slim est devenu cette année, selon le magazine Forbes, l'homme le plus riche du monde.

«Je ne sais pas si je suis le numéro 1, le numéro 20, ou le numéro 2000 le plus important, c'est ma famille», a réagi ce veuf de 67 ans père de six enfants, presque mécontent d'apprendre cette excellente nouvelle.

Entrepreneur multicarte, à la tête d'un empire de 500 000 salariés présent sur tout le continent américain, Carlos Slim entretient une relation à l'argent beaucoup plus complexe que celle du fondateur de Microsoft Bill Gates ou de l'investisseur Warren Buffett, ses deux rivaux au classement mondial des plus grosses fortunes.

Devenir riche, pourtant, a longtemps été sa seule ambition. Son père, un Libanais émigré au Mexique en 1902, l'a initié très tôt aux arcanes du commerce dans la mercerie familiale, baptisée L'étoile de l'Orient.

La famille Slim est alors installée rue des Capucines, au coeur du Mexico colonial. Et très vite elle tente un premier coup de poker: profitant de la panique créée par la Révolution mexicaine, elle investit dans l'immobilier alors que le jeune Carlos, épargnant modèle, achète ses premières actions.

Lorsqu'il décroche son diplôme d'ingénieur, en 1962, c'est déjà un jeune homme prospère, prêt à prendre en main le patrimoine familial.

Devenu un génie de la Bourse, il abat dans les années 80 un second atout: «Les banques venaient d'être nationalisées par le gouvernement et tous les capitaux fuyaient le pays C'est le moment qu'il a choisi pour acheter», explique José Martinez, auteur de l'unique biographie consacrée à Carlos Slim.

Le magnat mexicain commence alors à bâtir son empire autour du groupe Carso. Tabac, pièces automobiles, commerce de proximité Il investit dans tous les secteurs, achetant des sociétés en difficulté avant de les restructurer et d'en retirer infailliblement des bénéfices.

Une stratégie qui le mènera en 1990 à reprendre le monopole mexicain du téléphone, Telmex. Cette entreprise, qui a fait de lui l'homme le plus riche du monde, contrôle aujourd'hui 92% de la communication fixe mexicaine.

Sa jumelle, America Movil, est devenue par ailleurs la plus grande compagnie de téléphonie mobile d'Amérique latine, avec 125 millions de clients. Telmex, cependant, est aussi à l'origine de la légende noire de Carlos Slim.

La privatisation, réalisée dans des conditions très avantageuses, lui a permis de prendre le contrôle de ce joyau pour seulement 400 millions de dollars, avec un monopole garanti sur sept ans.

Carlos Slim, assurent ses détracteurs, aurait bénéficié des liens très forts qui l'unissaient au président Carlos Salinas de Gortari.

Son poids démesuré dans l'économie mexicaine, continuent-ils, empêcherait même cette dernière de se diversifier. Selon Forbes, sa richesse équivaut en effet à plus de 5% de la production économique annuelle du Mexique.

Qu'il utilise le réseau Telmex, qu'il entre dans un magasin Sears ou un disquaire Mixup, qu'il mange dans un restaurant Sanborn's, qu'il fume une Marlboro, qu'il achète du papier hygiénique ou une barre chocolatée, la journée typique d'un Mexicain passe forcément par une contribution aux bénéfices de Carlos Slim.

«Un homme qui pèse autant dans l'économie de son pays fausse la concurrence, analyse Alfonso Anaya, professeur d'économie à l'Université nationale autonome de Mexico. La meilleure preuve, c'est qu'une étude vient de révéler que les prix du téléphone au Mexique sont les plus élevés parmi les pays de l'OCDE.»

Les trésors du «conquistador», accumulés dans un pays où 50% de la population vit dans la misère, pouvaient-ils susciter autre chose que le doute?

«Il est difficile de comprendre qu'un fils d'immigrant libanais ait pu accumuler une telle fortune dans un pays qui n'a jamais été la terre des opportunités, rappelle José Martinez, mais d'un autre côté ce n'est pas un de ces milliardaires qui se pavanent en yacht ou en avion privé. Lorsque je l'ai rencontré, il conduisait encore sa propre voiture et vivait depuis 30 ans dans la même maison. Finalement, c'est un gars simple», conclut-il.

Depuis un accident cardiaque dont il a été victime en 1997, Carlos Slim a confié la direction effective de ses entreprises à ses trois fils pour se consacrer à ses fondations caritatives.

Mais contrairement à Bill Gates, qui a su se délester de ses milliards pour quitter cette place honnie de n°1 du classement Forbes, Carlos Slim ne peut s'empêcher de s'enrichir: chaque heure, en 2006, sa fortune s'est accrue de 2,2 millions de dollars.