Né à Westmount d'une mère artiste et d'un père architecte, Dov Charney est le plus iconoclaste des patrons de multinationales américaines.

Né à Westmount d'une mère artiste et d'un père architecte, Dov Charney est le plus iconoclaste des patrons de multinationales américaines.

Avec un chiffre d'affaires de 250 M$, son entreprise, American Apparel, surfe sur une image porno-éthique qui soulève la controverse-- et fait vendre un million de t-shirt par semaine.

Dov Charney, président et fondateur d'American Apparel, saute dans la chaise de son bureau et fait bouger frénétiquement la souris de son ordinateur pour le ramener à la vie.

L'écran s'illumine. M. Charney a 4856 courriels non lus dans sa boîte de réception. Cela ne semble pas l'affecter outre mesure. Ce qui l'intéresse est ailleurs.

Il clique sur un fichier. Une fille apparaît. Dov Charney m'a fait promettre de ne pas vendre le punch, mais disons qu'elle est vêtue avec un vêtement de la marque et qu'elle fait passer les publicités libidineuses actuelles d'American Apparel pour des feuillets paroissiaux.

«C'est pas mal, hein?, dit-il en se calant dans sa chaise. Personne ne veut publier ça ici. Ça va sortir juste au Japon. Et encore. À l'intérieur des magazines. Pas sur l'endos.»

La nuit vient de tomber sur le centre-ville de Los Angeles. Dans le bureau du patron, situé au septième étage d'un bâtiment industriel, l'ambiance est relax. Les assistants entrent et sortent en coup de vent. Les blagues fusent. Le cellulaire de M. Charney sonne si souvent qu'il devient une sorte de bruit de fond, une mélodie qui capte son attention une fois sur deux.

À l'heure où les tours à bureau se vident, American Apparel tourne à plein régime. Sous nos pieds, des centaines de machines à coudre s'activent. Des t-shirts sont coupés, cousus, comptés, vérifiés, empilés, classés, mis en boîte, stockés. Des semi-remorques arrivent et repartent.

Des factures changent de main. Et, pendant qu'il pianote sur son clavier à la recherche d'une autre photo osée qu'il veut absolument nous montrer, Dov Charney, self-made-man de 38 ans, admirateur de Jean Lesage et de Lucien Bouchard, voit sa fortune grossir à chaque seconde qui passe.

Un t-shirt en 23 secondes

American Apparel semble défier les lois de la gravité. Ou, du moins, les lois de l'économie de marché. L'entreprise produit tous ses vêtements au centre-ville de Los Angeles, dans une manufacture qui fonctionne 20 heures par jour. Un million de t-shirt par semaine sont cousus ici. Il faut 23 secondes à un employé pour coudre un t-shirt. Les couturières gagnent 13$ l'heure, deux fois le salaire minimum.

Les 3000 employés basés à L.A. font tout sous un même toit: le site Web, les catalogues, les designs de vêtements, les shooting photo.

«Aujourd'hui, les gens veulent des choses simples, explique M. Charney. Le iPod est simple. Les courriels sont simples. On veut se débarrasser de ce qui est superflu. Pour nous, tout faire sous un même toit est une façon de simplifier nos opérations.»

«Je suis un admirateur de Jean Lesage, ajoute-t-il, dans un français teinté d'un accent anglo, visiblement content d'avoir trouvé une analogie toute québécoise. Nous aussi, nous sommes maîtres chez nous».

Image sexy

M. Charney, 38 ans, a un physique plutôt frêle, une voix qui zozote légèrement et l'énergie d'un adolescent hyperactif qui vient de découvrir qu'il aime le café. Son attention arrive en petites doses et s'envole rapidement.

Le président d'American Apparel peut disserter sur les avantages du libre-échange nord-américain une seconde et se mettre à courir et à crier dans le corridor pour aller faire une blague à un employé la seconde d'après.

À l'image du patron, le marketing d'American Apparel est tout sauf banal. Dans les pubs, de jeunes femmes étendues dans des poses suggestives offrent leur corps à la caméra, style soft-porn. Cela déplait à plusieurs (la compagnie reçoit des plaintes régulièrement). Dov Charney, qui prend lui-même plusieurs de ces photos, reste imperturbable.

«C'est sûr qu'on choque certaines personnes. Mais nous nous adressons à notre clientèle, les gens de 25 à 35 ans. Ces gens-là ont pas mal tout vu dans la vie. Et le sexe et la mode, ça va ensemble... C'est pas nous qui avons inventé ça!»

M. Charney ramasse un magazine qui traîne par terre et le feuillette rapidement. Il s'arrête sur une pub de maillot, où une mannequin sculpturale et bronzée porte un bikini trop petit pour ses immenses seins.

«Tu vois, ça, pour moi, ce n'est pas sexy. Ça n'a aucun intérêt. Il n'y a pas d'authenticité. Dans mes pubs, il y a de l'authenticité et je crois que c'est ce qui fait peur aux gens.»

Il y a deux formes de conservatisme présentement, selon lui. L'une vient de la droite religieuse, l'autre de la gauche.

«La droite, Je suis capable de faire avec. Ils sont raisonnables. La gauche, ce n'est jamais assez bon pour eux. Je crois que ça vient de l'anxiété. Pourquoi vous ne trouverez plus beaucoup de féministes de 19 ans aujourd'hui? Car les femmes de cette génération apprécient leur pouvoir sexuel! Une belle femme de 19 ans, bien habillée, elle va entrer dans une pièce et tout le monde va tomber à ses pieds. Tout le monde sait ça!»

En 2005, trois ex-employés ont accusé Dov Charney de harcèlement sexuel, et différents procès ont été intentés. Pour le principal intéressé, ce n'est de la bouillie pour les tabloïds.

«Je n'ai jamais eu d'aventure avec aucune de ces femmes. Ce sont d'ex-employées qui veulent faire de l'argent sur mon dos. Au États-Unis, c'est triste, mais les gens peuvent faire un coup d'argent en lançant des accusations sans fondement.»

Les t-shirts de K-Mart

Né à Westmount en 1969 d'une mère artiste et d'un père architecte, Dov Charney a toujours eu la bosse des affaires. À 11 ans, il fondait son propre journal pour enfants, qu'il écrivait lui-même et vendait 20 sous. Il avait 500 abonnés et publiait huit numéro par an.

Ses sujets de prédilection: la violence faite aux enfants, la censure, les cas d'agressions sexuelles, bref, tout ce qui concerne les jeunes, mais dont personne ne leur parle.

Plus tard, Dov Charney, filleul de Moshe Safdie, l'architecte d'Habitat 67, développe une passion pour la mode. Pour les t-shirts, plus spécifiquement, qui à l'époque ne sont pas très attrayants dans les boutiques montréalaises.

«Quand t'es un jeune à Montréal, tu vois ce qui se fait aux États, et parfois c'est mieux alors ça t'intéresse, dit-il. J'appelle ça «L'effet Plattsburgh». J'allais acheter des milliers de t-shirts trippants chez K-Mart et je les revendais 7$ ou 10$ dans les rues de Montréal.»

C'est en Caroline du Sud que Dov Charney a lancé American Apparel, en 1989. Il affirme que le climat économique du Québec pourrait voir fleurir une telle compagnie aujourd'hui.

«Quand j'ai commencé, ça coûtait une fortune pour appeler aux Etats-Unis. Maintenant, il y a le libre-échange, et tout. Lucien Bouchard était pour le libre-échange. Il y a des nationalistes qui ont une vision... C'est bien pour dire que ce n'est pas noir et blanc ces choses-là....»

Pluie de millions

Les derniers mois ont été cruciaux pour American Apparel. En décembre, M. Charney a annoncé que sa compagnie était rachetée par Endeavor, une entreprise inscrite à la Bourse de New York, pour 244 millions de dollars US en argent frais. La transaction doit être complétée plus tard cette année. Déjà, l'action d'Endeavor est en hausse de 50% depuis l'annonce, en décembre.

Pour les années à venir, M. Charney prévoit se lancer dans une toute nouvelle aventure commerciale, dont il veut garder les détails secrets pour le moment. « Nous voulons vendre des biens, qui ne sont pas des vêtements. Notre marque est forte et populaire. Nous voulons miser là-dessus. »

Avec l'argent de l'acquisition, M. Charney compte aussi faire grandir le réseau de 152 boutiques qu'il possède à travers le monde.

«On va rajouter des centaines de boutiques, on pourrait aller jusqu'à 800. Par exemple, nous voulons augmenter notre présence en Europe, un marché plus grand encore que les Etats-Unis. Peux-tu croire que nous n'avons pas encore de boutique à Barcelone? Et nous voulons faire des manteaux d'hiver, peut-être même les faire faire à Montréal. Hey, tu veux voir l'usine?»

- «Heu...»

- «Suis-moi.»

M. Charney nous guide dans des cages d'escaliers peintes en blanc. Nous émergeons sur un plancher où travaillent plus de 300 couturières et couturiers, des latinos pour la majorité.

Le patron se déplace entre les rangées de machines à coudre, souriant à la ronde, envoyant la main. Les travailleurs le regardent, amusés.

Certains redoublent d'ardeur, croyant sans doute qu'il s'agit d'une inspection surprise. Mais la majorité des employés lui sourient et rigolent de voir le boss leur payer une visite improvisée.

Dov Charney s'arrête net devant une pile de t-shirts vert pomme qu'une employée est en train d'inspecter. Il en tire un au hasard, examine les coutures, la couleur, la qualité du matériel.

Satisfait, il se retourne. Son visage est barré d'un immense sourire, le sourire d'un enfant qui a une bonne blague à raconter et qui ne sait pas par où commencer.

«Ça, mon gars, ce n'est pas un t-shirt, me dit-il à l'oreille, parlant fort pour se faire entendre malgré le vacarme des machines à coudre. Ce n'est pas un t-shirt. C'est de l'or en barre.»

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Voici l'entrevue intégrale réalisée par Nicolas Bérubé dans le bureau de Dov Charney à Los Angeles

Nicolas Bérubé : Salut. Comment ça va?

Dov Charney : Très bien.

NB : Occupé?

DC : Un peu occupé parce qu'on vient de fusionner avec une compagnie inscrite en Bourse. On appelle ça un SPAC. Il y a peut-être ça au Canada, je sais pas. Mais en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, c'est très populaire. Si tu vas sur le site qui s'appelle Motley's fool, tu vas pouvoir lire un article à propos des SPAC. En gros, nous avons fusionné avec une coquille, et la coquille a vu sa valeur en Bourse augmenter en prévision de l'entente finale, qui doit avoir lieu cette année. L'engouement et là, et nous sommes très satisfaits.

NB : A l'heure actuelle, vous avez 150 magasins je crois ?

DC : Oui.

NB : Et vous voulez en ouvrir de nouveaux ?

DC : Nous pouvons en ouvrir des centaines! La chaîne pourrait compter plus de 800 boutiques.

NB : Avec la même formule que les boutiques actuelles ?

DC : Oui, oui. Ils ne seront pas... En tant que Québécois, je comprends l'importance de m'étendre au-delà du Québec. Comme Américain, il faut qu'on s'étende au-delà de l'Amérique. Tu vois? La plupart des nouvelles boutiques ne seront pas situées aux Etats-Unis. L'Europe est importante dans notre stratégie.

NB : Donc en gros la fusion vous donne des liquidités pour vous permettre de faire ce que vous voulez faire...

DC : Exactement.

NB : Le building ici est plein. Voulez-vous acheter d'autres usines ?

DC : Nous pourrions décider d'acheter d'autres usines. Améliorer les installations actuelles. Améliorer les boutiques. Ouvrir d'autres boutiques. Au Canada par exemple. On pourrait faire de la production ailleurs. Si vous voulez faire un manteau d'hiver, les experts sont à Montréal...

NB : Des manteaux d'hiver?

DC : Oui, oui... Mais nous pouvons les faire à L.A. aussi. J'aime faire les choses en un endroit. Même quand les choses sont faites à un autre étage du même building, c'est emmerdant de se déplacer. Alors quand vous faites faire ça l'autre côté de la rue, ou à l'autre bout du monde, ça prend plus d'énergie... Aujourd'hui, les gens veulent des choses simples. Le iPod est simple. Les courriels sont simples. On veut se débarrasser de ce qui est superflu. Pour nous, tout faire sous un même toit est une façon de simplifier nos opérations. »

NB : Si c'est si simple, pourquoi personne d'autre le fait ? je visitais l'usine, et je me disais : pourquoi n'y a-t-il plus d'usines comme ça ici?

DC : Il y a des gens qui le font. Au Québec et en Californie... C'est meilleur marché de travailler comme ça. Une fois que ça roule... C'est plus facile de faire exactement le jeans que tu veux, d'avoir exactement la coupe que tu veux, la couleur... Tu peux pas faire ça si ton usine est à Boucherville. Elle doit être à Montréal, dans ta maison. Je suis un admirateur de Jean Lesage. Nous aussi, nous voulons être « Maîtres chez nous ».

NB : Est-ce que tu pensais déjà comme ça quand tu as lancé ta compagnie? Je pense que tu l'as d'abord lancée, et que ça a planté...

DC : Ça n'a jamais vraiment arrêté... J'ai eu quelques problèmes financiers. Une petite faillite... Mais ça nous a jamais empêché de continuer la production... Demande à n'importe quel gars à Montréal! L'idée est d'y aller tranquillement. Quand vous faites des pantalons par exemple. Des coutures de 3/8 ième de pouce... Une coupe parfaite. C'est tout un travail.

NB : Es-tu un expert là-dedans?

DC : Non, mais au moins je suis prêt à essayer. Si tu fais faire tes vêtements à l'étranger, tu ne peux pas vraiment essayer. Ça devient comme de la magie... En fait, le tissu de ce chandail, tu sais ou il est fait?

NB : Non.

DC : Montréal! On l'a acheté. C'est rare, c'est rare. Ils sont des experts là-bas...

(Dov Charney répond à un texto sur son cellulaire... Puis il prend un appel dans le corridor. )

DC : Anyway... Oui, quand j'ai commencé, à Montréal, il y avait « l'effet Plattsburgh ». Tu vois ce qui se fait aux Etats-Unis, c'est différent, parfois c'est mieux. Spécialement pour moi, un Juif à Montréal pendant une période de nationalisme et de socialisme. Les choses étaient chères à Montréal, les boutiques n'étaient pas ouvertes le dimanche, ça fermait à 5h that's it, that's all... En plus, il y avait le nationalisme, et je n'y croyais pas. Je ne crois pas plus au nationalisme américain. Les lois sur l'affichage unilingue anglais en Californie, je n'y crois pas. Il ne devrait y avoir aucune restriction sur l'usage de l'espagnol en Californie... Au Québec, c'est différent parce que c'est une petite communauté de francophones entourés d'Américain... En même temps, les francophones ont survécu sans l'aide de l'intervention de l'État.

NB : T'achetais des t-shirts aux Etats-Unis et tu les revendais au Canada...

DC : Exactement. Ensuite je suis allé à l'école aux Etats-Unis, à 250 miles de Montréal. Les t-shirts aux Etats-Unis étaient vraiment hot! Beaucoup mieux que ce que j'avais vu chez moi... En fait, j'apprécie mieux Montréal aujourd'hui, la ville est plus forte. Moi, je suis contre les frontières. Je crois qu'elles ne devraient pas exister...

NB : Es-tu citoyen américain? Est-ce que tu votes?

DC : Non, non... Je suis en faveur du libre-échange. Mais, tu sais, Lucien Bouchard aussi était pour le libre-échange! Il y a des nationalistes qui ont une vision... C'est bien pour dire que ce n'est pas noir et blanc ces choses-là...

NB : Oui, bien, le Québec a pas mal changé depuis... Qu'est-ce que tu penses du Cirque du Soleil?

DC : Oui, oui. Ce gars-là (Guy Laliberté) vit sans frontières, tu sais. C'est ça, la prochaine étape. Vivre sans frontières. Mais je retourne souvent à Montréal, j'ai un condo là-bas, on brasse de grosses affaires là-bas. J'ai eu une belle enfance à Montréal...

NB : Est-ce tes parents étaient riches?

DC : Bien, à l'époque c'est ce que je croyais... Dans un contexte mondial, non. Mais dans le contexte de Montréal... Pas besoin d'avoir beaucoup d'argent pour être riche... C'est assez simple d'être riche à Montréal.

NB : Penses-tu que tu aurais pu bâtir ton entreprise à Montréal plutôt qu'à Los Angeles?

DC : Aujourd'hui, on peut. À l'époque, il n'y avait pas le libre-échange. Pour appeler aux Etats-Unis, Bell Canada chargeait une fortune. Aujourd'hui, les compagnies québécoises sont bien placées pour faire des affaires. La vraie solution, est qu'il n'y ait plus de frontières. Il ne devrait pas avoir de frontière entre New York et Québec. That's it. À l'époque, je crois qu'il y avait plusieurs forces séparatistes qui étaient en faveur du libre-échange, car ils croyaient que ça allait diluer le Canada et renforcer le Québec. Selon moi, ils avaient une stratégie secrète... C'est ce que j'aime de certains séparatistes. Ils ont un élément internationaliste. Ils essaient simplement d'échapper au système fédéral.... Hey, tu veux rencontrer mon directeur des finances?

NB : Heu...

(Dove Charney sort du bureau, court dans le corridor et crie après quelqu'un. Il revient dans le bureau cinq minutes plus tard. « Il est déjà parti... », dit-il. Dov est en pleine discussion avec une assistante qui marche derrière lui. Il attrape un t-shirt rayé posé sur une chaise.)

DC : Tu aimes-ce t-shirt ?

Assistante : oui!

DC : Ok. Met-le.

L'assistante enlève sa veste et enfile le t-shirt par-dessus sa camisole. Elle se regarde dans un miroir et Dove la regarde. Elle sort.

DC : Oui, Montréal... J'aime beaucoup Montréal. J'ai des employés très talentueux là-bas.

NB : Pourquoi t'es à L.A. d'abord?

DC : Bien je suis venu à l'école aux Etats-Unis et après ça c'en était fini du Canada pour moi. Hey tu veux voir ma nouvelle pub? Faut pas que t'en parles, c'est une surprise..

NB : OK.

(Dov Charney va à son ordinateur et ouvre une photo.)

DC : Elle est hot, non?

NB : Ouais... T'as pris cette photo à Montréal?

DC : Non, c'est à New York. Personne ne veut publier ça ici. Ça va sortir juste au Japon. Et encore. À l'intérieur des magazines. Pas sur l'endos. Est-ce que tu peux passer ça dans La Presse ?

NB : Hmmm... Pas sûr. Nos publicités sont plus straight que ça d'habitude...

DC : Non, pas comme publicité. Comme photo pour l'article. Je pourrais te donner un fichier non compressé de top qualité et tu pourrais mettre ça avec le texte.

NB : Ouais... je crois que les gens connaissent tes pubs de toute façon... Elles sont à l'endos du Mirror à chaque semaine.

DC : Ouais, mais c'est pas tout le monde qui lit le Mirror, ou Voir, ou whatever.

NB : Ouais, comme ça la sexualité joue un gros rôle dans votre marketing pour vendre des t-shirts...

DC : Oh, la sexualité fait partie de la mode. Tu peux toujours gratter autour, trouver une histoire...

(Dov Charney répond à son cellulaire et demande à son interlocuteur de le rappeler dans une demi-heure.)

DC : Non, ce que j'aime avec les Canadiens-français, c'est qu'ils s'intéressent aux faits, à la réalité. La sexualité, les gens ne s'énervent pas avec ça. C'est à cause du mouvement athée. C'est ce que j'admire dans la société canadienne-française. Il y a une ouverture. Que ce soit au sujet des gais, et tout, c'est beaucoup plus avancé! Au Québec, personne le brandit la Bible. Ils ont rejeté la Bible! Je suis athée. Il n'y a pas de Dieu dans le ciel. Le plaisir et important. Biologiquement, le plaisir nous pousse les uns vers les autres. Nous sommes programmés. Ce qu'on recherche est le plaisir, mais ce qui se cache en arrière est la famille! Tu vois?

NB : Est-ce que ton marketing basé sur la sexualité passe mieux au Québec qu'aux Etats-Unis ?

DC : C'est plus facile au Québec... On est moins inquiets au Québec.

Je trouve que les anglophones progressistes ont développé une nouvelle forme de conservatisme. Ça ne vient pas de la droite religieuse, ça vient de la gauche. Ils nous accusent de traiter la femme comme un objet et tout ça. C'est une autre forme de déni. C'est nier qu'on regarde toujours les belles femmes, les beaux vêtements. Ça arrive tout le temps. Tous les jours! On ne peut rien faire contre ça. Les images reliées à la mode doivent évoquer le plaisir, la détente, le luxe, un peu de tout ça.

Il y a certaines de ces forces « politically correct » à l'UQAM, mais pas autant que chez les anglophones.

Il y a deux formes de conservatisme présentement. L'une vient de la droite chrétienne. Je suis capable de faire avec. Ils sont raisonnables. L'autre, pire, vient de la gauche. Ce n'est jamais assez bon pour eux. Je crois que ça vient de l'anxiété. Pourquoi vous ne trouverez plus beaucoup de féministes de 19 ans aujourd'hui? Car les femmes de cette génération apprécient leur pouvoir sexuel. Une belle femme de 19 ans, bien habillée et tout, elle va entrer dans la pièce et avoir l'attention de tous. Tout le monde sait ça!

NB : Et c'est une bonne chose?

DC : C'est une très bonne chose. Au Québec, il y a de ça, mais au moins vous vous êtes débarrassés de toute cette bouillie religieuse.

NB : Comment vos parents et votre famille réagissent à ce que tu fais. Est-ce qu'ils trouvent que tu vas trop loin?

DC : Ouais... En fait, ma mère a grandi dans les années 50 et 60... Je dois me renter dans la tête qu'à cette époque, les femmes étaient rabaissées parfois. Le féminisme avait un rôle à jouer... Des fois, vous devez avancer de deux mètres pour finalement arriver à un équilibre et revenir à un mètre. Tu vois?

Par exemple, peut-être que la loi 101 était nécessaire à une époque, mais plus tellement aujourd'hui...

NB : Tu aimerais voir des affiches en anglais à Montréal ?

DC : Ce n'est pas comme si je priais chaque soir pour qu'il ait des affiches en anglais...

NB : Est-ce que tu te sens opprimé quand tu vas à Montréal ?

NB : Non... Mais je crois qu'il ne devrait pas y avoir de régulations. Je crois que le Québec ferait preuve de beaucoup de maturité s'il permettait aux gens d'envoyer leurs enfants à école qu'ils veulent... Je crois que moins le Québec impose sa culture, plus fort il sera.

Le Québec d'aujourd'hui est très bien positionné au niveau créatif. En fait, le plus gros problème du Québec n'est pas la langue française, c'est la température! Dans l'Histoire moderne, tout le monde va vers les endroits chauds.

Le Québec pourrait recevoir plus d'immigrants, être plus international. Il pourrait prendre exemple sur Toronto. Toronto est encore plus conservatrice, et elle doit se différencier des Etats-Unis. Québec n'aura jamais cette crise d'identité. Il y a beaucoup de jeunes talentueux au Québec. Je me considère aujourd'hui comme étant Québécois. Si un Britannique pouvait vivre à Westmount en 1790, un Québécois peut vivre aujourd'hui à Los Angeles! Tu n'enlèveras jamais la couronne son coeur. Tu n'enlèveras jamais le smoked meat et la poutine de mon coeur.

NB : Quand on regarde ta compagnie, l'image est très associée au sexe. Pal mal plus de Gap ou d'autres boutiques, disons...

DC : Attends...

(Dov Charney ramasse un magazine qui traîne par terre et le feuillette rapidement. Il s'arrête sur une pub de maillot, où une mannequin sculpturale et bronzée porte un bikini trop petit pour ses immenses seins.)

DC : Tu vois, ça, pour moi, ce n'est pas sexy. Ça n'a aucun intérêt. Il n'y a pas d'authenticité. Dans mes pubs, il y a de l'authenticité et je crois que c'est ce qui fait peur aux gens.

(Il va cherche une photo d'une fille debout derrière un arbre, qui regarde directement la caméra)

DC : Tu vois, cette photo est SUPER sexy. Ça me fait fantasmer... Je ne sais pas pourquoi, mais je regarde cette fille, et je veux juste me retrouver seul...

NB : Tu as eu plusieurs poursuites pour harcèlement sexuel et tout ça. Est-ce que tu trouves que ça nuit à ton image, ou que ça aide ton image ?

DC : C'est trucs de tabloïds... Je ne sais pas si ça aide mon image ou si ça nuit, mais c'est une exploitation de ma personne et de la compagnie. Le scandale, ce n'est pas les accusations de harcèlement, mais bien le fait qu'aux Etats-Unis, les gens peuvent faire de fausses accusations dans le but de s'enrichir. Ça n'a rien à voir avec la sexualité. Nous avons de la sexualité ici dans notre marketing. Mais d'exploiter ça sur ma personne est dégueulasse...

NB : Est-ce que c'est difficile pour toi de défendre ton point, sachant que tu te promènes parfois au bureau en sous-vêtements, des trucs comme ça ?

DC : Je fais ça pour rigoler. Il n'y a rien de sexuel là-dedans. C'est drôle, ça fait rire les gens. C'est une bonne blague, c'est tout. Aux Etats-Unis, il y a la Constitution, et rien dans la façon dont je gère ma compagnie n'enfreint les règles de la Constitution.

Je ne suis pas Larry Flynt. Lui voulait repousser les limites de la sexualité. Moi, je les repousse dans le contexte de la mode. Mais je n'intimide personne, je ne harcèle personne. J'essaie d'avoir du fun dans la vie et c'est tout. Et si mes employés veulent avoir une aventure sur les lieux de travail, et qu'ils font ça dans un endroit privé, je ne peux pas m'y opposer. On vit dans un pays libre, et les gens sont libres de faire ce qu'ils veulent et de choisir leur partenaire sexuel.

Je n'ai jamais eu d'aventures avec aucunes de ces femmes. Je n'ai même pas eu de contacts social avec elles.

NB : C'est une question de comportement alors?

DC : Non, c'est une question d'exploitation. C'est comme ça aux Etats-Unis, les gens poursuivent pour s'enrichir. C'est le système qui est brisé. Ça fait augmenter les primes d'assurance, ça crée un climat de peur. En plus, la fille a tout un historique de ruptures, de menaces, etc. Certaines personnes gagnent leur pain et leur beurre en lançant de telles poursuites, et que crois qu'elle en fait partie.

NB : Penses-tu que ta compagnie aurait eu le succès qu'elle a aujourd'hui si tu n'avais pas utilisé des images sexuelles fortes dans ta publicité ?

DC : Non... L'image de la marque est phénoménale. Mais ça a donné une fausse image... Je crois qu'il ne faut pas avoir l'air trop parfait dans notre société. Les gens aiment les personnages qui ont des faiblesses. Je crois que Bill Clinton a amélioré sa réputation dans son scandale sexuel... Hey, tu veux voir ma nouvelle publicité ?

(Il saute à l'ordinateur et ouvre un fichier photo)

DC : C'est pas mal, hein?, dit-il en se calant dans sa chaise. Personne ne veut publier ça ici. Ça va sortir juste au Japon. Et encore. À l'intérieur des magazines. Pas sur l'endos.

NB : Ouais, pas mal...

DC : Hey, tu veux visiter l'usine ? Viens-t-en!