Le fossé qui se creuse entre les salaires des PDG et ceux de leurs employés ne s'explique pas seulement par des conseils d'administrations souvent jugés trop complaisants. La preuve: la même vague emporte la rémunération des joueurs de hockey.

Le fossé qui se creuse entre les salaires des PDG et ceux de leurs employés ne s'explique pas seulement par des conseils d'administrations souvent jugés trop complaisants. La preuve: la même vague emporte la rémunération des joueurs de hockey.

Qu'est-ce qui est le plus choquant: Alexei Kovalev qui empoche 4,5 M$ US pendant que le Canadien de Montréal rate les séries, ou Réal Raymond qui touche 7,6 M$ alors que la Banque Nationale sous performe par rapport à son secteur d'activité?

La question peut sembler sans intérêt. Elle ne l'est pas aux yeux d'Yvan Allaire, président du conseil de l'Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques.

Dans une étude publiée ce printemps dans la revue Forces, M. Allaire a comparé les deux types de chèques de paie qui font le plus jaser les Québécois: ceux des PDG et des joueurs de hockey.

Et utilise le parallèle pour répondre à LA question à 1000$: faut-il se scandaliser de voir nos dirigeants empocher des sommes qui s'éloignent de plus en plus de celles touchées par les travailleurs «ordinaires»?

La réponse, admet M. Allaire, n'est pas simple. Mais il croit qu'au moins une partie de la hausse vertigineuse des salaires des PDG s'explique par un phénomène bien simple: l'effet de marché.

14 avril 1960. Maurice Richard dispute la dernière partie de sa vie dans la Ligue nationale. Cette année là, le Rocket empochera 25 000$ — environ 10 fois le salaire d'un jeune commis de banque de l'époque.

Saison 2006-2007. En prenant le joueur de hockey le mieux payé de chacune des 30 équipes de la Ligue nationale, M. Allaire s'est monté une équipe de millionnaires qu'il a appelé «les PDG du hockey». Leur salaire moyen cette année: 5,5 M$ US. C'est 325 fois ce que gagne aujourd'hui un commis de banque.

Les chiffres ressemblent étrangement à ceux des dirigeants d'entreprise. Dans les années 1970, le PDG américain moyen gagnait 25 fois le salaire de l'un de ses employés. Il fait aujourd'hui 400 fois plus.

Que s'est-il passé? La réponse facile dans le cas des PDG est de blâmer la mauvaise gouvernance – ces conseils d'administration qui sont de mèche avec les dirigeants pour détourner l'argent des actionnaires. Ces situations, dit M. Allaire, existent et doivent être dénoncées. Mais elles n'expliquent pas tout.

La preuve, c'est qu'il est impossible d'appliquer le même raisonnement aux stars du hockey. Les clubs se feraient-ils complices des joueurs pour mieux les payer? Connaissant leur goût pour le profit et la concurrence qu'ils se livrent, l'hypothèse est absurde.

«Dans les deux cas, il y a un effet de marché qui joue de façon puissante», a expliqué M. Allaire à La Presse Affaires.

Autre temps, autres moeurs

Maurice Richard n'aurait jamais eu l'idée d'aller négocier sa valeur marchande auprès des différentes équipes de la Ligue nationale. Et aurait-il voulu le faire que ses choix auraient été limités.

«À cette époque, la rémunération des joueurs reflétait le bon vouloir des entreprises», dit M. Allaire.

Puis le nombre d'équipes a augmenté. Les joueurs sont devenus plus mobiles. Et ont engagé des agents chargés d'arracher le plus d'argent possible contre les performances futures de leurs poulains.

«La valeur du talent a augmenté de façon considérable», note M. Allaire, qui explique que la même chose est arrivée aux dirigeants de grandes sociétés.

«Dans les années 1970, la mobilité inter-entreprises était très faible, rappelle-t-il. On entrait dans une compagnie et on gravissait les échelons. Il y avait une compétition interne. Mais très peu de compétition externe.»

Tout comme les joueurs de hockey, c'est lorsque les dirigeants ont commencé à magasiner leur emploi auprès de différentes entreprises que les enchères ont grimpé. Un phénomène normal, donc. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas dangereux.

L'industrie du hockey en sait quelque chose, elle dont la rentabilité a justement été minée par les salaires extravagants de ses stars. Il a fallu un lock-out et l'instauration d'un plafond salarial pour régler le problème.

«Un marché très libre va conduire à une situation où la direction s'approprie la plus-value d'une entreprise», note M. Allaire.

En attendant, son principal casse-tête est de démêler ce qui représente un vrai effet de marché des situations plus douteuses où les dirigeants «se font négocier un bon deal par quelqu'un qui est capable de s'assurer que les firmes spécialisées en rémunération font des rapports qui vont dans le bon sens».

Son message final aux entreprises: «démontrez-moi qu'il y a un véritable effet de marché et une relation entre la performance des dirigeants et leur rémunération. Je sais que c'est difficile à mesurer. Mais c'est à vous de le faire et de me convaincre. Sinon, je serai obligé de conclure qu'il y a d'autres facteurs derrière ça.»