La décision du ministre de l'Industrie, Maxime Bernier, de déréglementer la téléphonie locale dans les régions où il y a suffisamment de concurrence suscite des réactions diamétralement opposées

La décision du ministre de l'Industrie, Maxime Bernier, de déréglementer la téléphonie locale dans les régions où il y a suffisamment de concurrence suscite des réactions diamétralement opposées

L'opposition et les groupes de défense des consommateurs l'accueille avec une brique et un fanal alors que BCE salue cette «bonne nouvelle pour le secteur des télécommunications».

Ainsi, en vertu d'un projet de décret dévoilé lundi, les entreprises de téléphonie pourront jouir d'un libre marché dans la plupart des régions métropolitaines du Canada.

Elles pourront donc fixer leurs tarifs à leur guise, à condition de ne pas dépasser le plafond qui sera établi par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

«La proposition du gouvernement a pour but de stimuler la concurrence et l'innovation chez les fournisseurs de services de téléphonie locale, a déclaré M. Bernier. Les consommateurs et les entreprises canadiens vont bénéficier d'un plus grand nombre de choix, de produits et services améliorés ainsi que de prix plus bas.»

Fumisterie

Charles Tanguay, de l'Union des consommateurs, n'en croit rien. «Le ministre est obsédé par la déréglementation», a-t-il lancé au cours d'un entretien téléphonique.

«Le ministre fait de la fumisterie en disant vouloir favoriser la concurrence; au contraire, il va nuire à la concurrence», a ajouté M. Tanguay.

Le député Michel Gauthier, du Bloc québécois, n'a pas été plus tendre: selon lui, l'annonce des conservateurs se traduira par une «catastrophe» pour les régions québécoises.

À l'heure actuelle, le CRTC fixe les tarifs de la téléphonie locale de base pour chaque marché.

Cela fait des années que les compagnies qui ont longtemps eu le monopole sur ces services – Bell Canada, Telus, Aliant et SaskTel – demandent à l'organisme réglementaire de faire sauter ce carcan afin de pouvoir mieux concurrencer les nouveaux venus dans le domaine, notamment les câblodistributeurs.

Chez BCE, le président et chef de la direction, Michael Sabia, a salué ce «développement des plus appréciés, tant pour l'économie canadienne que pour la productivité et la compétitivité du Canada». «C'est un cadre de réglementation qui rattrape la réalité du marché», écrit M. Sabia.

«Le ministre Bernier fait essentiellement un cadeau aux anciens monopoles, a pour sa part estimé Charles Tanguay. Un beau cadeau de Noël à Bell Canada, Telus et compagnie.»

Ces dernières années, des entreprises comme Sprint (rachetée par Rogers), Distributel et London Telecom ont grugé une partie du marché des anciens monopoles.

À cela s'est ajoutée, ces derniers mois, l'arrivée des services téléphoniques offerts par les câblodistributeurs (Vidéotron, Cogeco, Rogers), perçus comme menaçants par Bell, Telus et les autres grandes compagnies de téléphone.

Dans les marchés où les câblodistributeurs ne font pas concurrence aux anciens monopoles, le service local demeurera réglementé par le CRTC.

Comme plusieurs autres observateurs, M. Tanguay, de l'Union des consommateurs, craint que cette différence de traitement ait un effet pervers pour les habitants des régions éloignées.

«On risque de faire payer à ces gens-là, qui sont captifs, les coûts des guerres de concurrence que se livreront les géants (dans les grands centres)», a-t-il noté.

Pendant des années, la part de marché des concurrents de Bell au Québec a été marginale (entre 10 et 15 %), mais elle atteindrait 20 % dans la région de Montréal depuis quelques mois.

Les entreprises offrant des services téléphoniques par Internet (VoIP) ont profité de cette fragmentation du marché, mais elles pourraient être freinées par la décision d'Ottawa.

«Il aurait pu y avoir plusieurs petites compagnies en émergence, mais qui n'auront pas ce loisir-là d'apparaître, parce que Bell (...) va avoir les coudées franches pour attaquer la concurrence et l'écraser avant même qu'elle puisse être viable», a estimé Charles Tanguay.

Les câblodistributeurs ont plutôt mal accueilli l'annonce du ministre Bernier.

«Nous assistons à une annonce faite à la pièce et conçue essentiellement pour faire plaisir aux compagnies de téléphonie établies au lieu d'assurer une véritable concurrence durable dans le meilleur intérêt des consommateurs canadiens», a commenté le président et chef de la direction de Cogeco, Louis Audet.

M. Audet, dont l'entreprise occupe environ 10 % du marché de la téléphonie locale dans les régions où elle est implantée, s'est tout même montré optimiste pour la suite des choses.

«Notre travail, c'est de bien réussir dans la vie en dépit des décisions que nous jugeons parfois irréfléchies», a-t-il précisé dans un entretien téléphonique.

Pierre Karl Péladeau, PDG de Quebecor Média, propriétaire de Vidéotron, s'est montré plus nuancé.

«Nous étions d'avis que le gouvernement aurait dû accepter qu'une période transitoire était préférable à une déréglementation instantanée car les Canadiens ont bénéficié d'une diminution des prix du téléphone grâce à l'introduction de la téléphonie par câble», a affirmé M. Péladeau, tout en pressant Ottawa de déréglementer aussi les secteurs de la câblodistribution et de la radiodiffusion.

Le projet de décret aura pour effet de révoquer une décision que le CRTC a rendue en avril et qui prévoyait la déréglementation de la téléphonie locale lorsqu'un ancien monopole détenait moins de 75 % du marché dans une région donnée.