Au début de l'an 2000, le conglomérat Bell-Nortel brillait de tous ses feux. Les profits dépassaient 5,5 milliards, un niveau encore inégalé au Canada par une entreprise non-pétrolière.

Au début de l'an 2000, le conglomérat Bell-Nortel brillait de tous ses feux. Les profits dépassaient 5,5 milliards, un niveau encore inégalé au Canada par une entreprise non-pétrolière.

Gonflées par l'engouement pour les télécoms, les actions de BCE avaient progressé de 800 % au cours des cinq années précédentes, huit fois plus rapidement que l'indice. Avec des actifs de 51 milliards dans 30 entreprises, les revenus atteignaient 18 milliards (contre 17 milliards aujourd'hui).

Tous les communiqués de BCE débutaient par un commentaire sans appel: «BCE est la plus grande entreprise de communication au Canada.»

La direction affirmait en 2000: «BCE est prête pour l'ère internet. Maintenant que tous les éléments sont en place, nous allons faire en sorte qu'ils s'agencent...» La machine BCE allait tout raser dans le secteur: c'est d'abord cette puissance incontournable qui poussera André Chagnon à vendre Vidéotron.

On connaît la suite... Une série de manoeuvres stratégiques erratiques ont bousillé le plan de match. Les actions stagnent depuis six ans autour de 28 $. Les actionnaires se contentent d'un maigre 30 cents par trimestre entre 1995 et 2005.

Dans son récent message, le président du conseil, M. Richard J. Currie, dresse le bilan de 25 ans d'efforts de diversification. «Cette stratégie n'a pas connu le succès escompté...»

Le conseil d'administration sonne enfin la cloche: c'est la fin de Bell Canada Entreprises au pluriel. On revient au téléphone et à Bell comme en 1880.

Saveurs du mois

Durant les trois dernières décennies, BCE a acheté toutes les «saveurs du mois», la dernière en date étant l'aventure avortée de la fiducie de revenu où la compagnie voulait verser 2,55 $ de dividendes alors qu'elle a toutes les misères du monde à dégager 2 $ de profit.

Dans les années 80, de grands stratèges ont voulu muter BCE en conglomérat : Montréal Trust, TransCanada Pipelines... La pâte n'a pris à aucun endroit. Puis ce fut l'aventure internationale; des centaines de millions furent engloutis en Amérique du Sud et en Asie.

Joyau du la haute technologie canadienne, une bonne décision fut celle de pousser Northern Telecom hors du nid au sommet du marché en 2000. Mais l'entreprise patauge encore aujourd'hui dans un bourbier comptable... Trois des quatre secteurs d'activités: connectivité internationale (Téléglobe), commerce électronique (Emergis) et contenu (BellGlobemedia) étaient déficitaires; la direction quittera en douce ces marchés sous de discrètes radiations comptables.

La compagnie récupéra 7 milliards de la vente de ses canards boiteux pour racheter les actions... Où serait le titre sans ce support?

En feuilletant les rapports annuels, le même message revient: «En 2002, nous avons entrepris la simplification de nos activités...» «Des produits qui donnent plus de pouvoir à nos clients.» «Les gens veulent des solutions simples et pratiques...»

«Dans les télécommunications, l'exécution est la condition sine qua non du succès», rappelle aujourd'hui M. Sabia. Pourquoi le discours passe-t-il si difficilement à la réalité et que, par exemple, la «facture unique» commence à peine à apparaître?

Tous ces déboires ont été glissés sous le tapis du cash flow provenant du service de base (de 10 à 12 milliards)! Collés aux besoins de leurs clients sur le terrain, les David du câble ont eu raison de ces grands scénarios intellectuels bâtis sur une connaissance des clients à travers des études, des sondages et des enquêtes.

Rogers, Telus et Videotron se sont taillé des parts de marché intéressantes dans le sans fil, l'internet et la télé numérique. Ils acculent maintenant BCE dans son dernier retranchement: le service de base.

Grande dame

La «grande dame de la côte du Beaver Hall» n'a jamais réussi a passer d'une institution de services soucieuse de tous ses publics à une entreprise nerveuse et fonceuse.

BCE est demeuré une entreprise où domine une culture de prix établis par un processus légalo-politique devant une autorité réglementaire (le CRTC).

Quelle est la responsabilité du conseil et de la direction dans ces épisodes pathétiques de faux pas stratégiques? Le conseil a-t-il choisi le bon chef en 2002 pour faire ce virage? Pourquoi a-t-il fallu 25 ans et 25 milliards de radiation pour conclure que Bell devait rester branché dans la téléphonie et ses variantes?

M. Currie jette le blâme sur «les restrictions réglementaires qui nous empêchaient de livrer concurrence efficacement sur le marché et de créer de la valeur pour les actionnaires».

Pourtant, ce cadre a bien servi Bell durant un siècle; la compagnie a choisi d'investir les fruits de son monopole dans une diversification qui ne lui convenait pas en réalisant une vision mal adaptée aux besoins de ses clients et actionnaires bien patients...

Quand les vautours ont commencé à tourner autour de la Tour de LaGauchetière, le conseil et la direction ont compris qu'ils devaient prendre l'initiative; on appelle M. Net chez KKR. De gros investisseurs fourniront le savon.

M. Stephen Jarislowsky pose la bonne question: pourquoi le conseil, mandaté par ses actionnaires, n'a-t-il pas décidé d'administrer lui-même le Lakota pour enlever les raideurs dans le système? Pourquoi laisser à d'autres les bénéfices d'un recentrage tant attendu?

Les détenteurs des 800 millions d'actions ne seront pas malheureux de quitter avec 40 $ ou 45 $, soit le cours en 2001. Mais le 6 juin prochain, à la dernière assemblée formelle de cette vénérable institution, les actionnaires repartiront aussi avec leur opinion sur la contribution de ces administrateurs et de ces dirigeants.