La rumeur «peut tuer sans raison, sans coupable et sans prison, sans procès ni processions, sans fusil ni munitions», chantait Yves Duteil. Il n'avait pas tort comme en fait foi cette triste histoire.

La rumeur «peut tuer sans raison, sans coupable et sans prison, sans procès ni processions, sans fusil ni munitions», chantait Yves Duteil. Il n'avait pas tort comme en fait foi cette triste histoire.

Il y a quelques années, une jeune fille qui fréquentait une école secondaire publique a lancé la rumeur qu'un enseignant lui avait fait des attouchements.

L'employé a eu beau s'en défendre, rien n'y fit. Il a été immédiatement suspendu. Sa femme l'a quitté. L'affaire est allée en cour.

Même si sa culpabilité n'a jamais été prouvée, l'enseignant était épuisé par le doute qui planait toujours sur lui. Il a choisi de se suicider plutôt que de continuer à affronter l'opprobre. Entre-temps, l'élève a avoué qu'elle avait tout inventé.

«La rumeur au bureau est une arme redoutable, car on ne sait jamais comment elle se transformera au fil du temps et des conversations», affirme Luc Brunet, professeur de psychologie du travail à l'Université de Montréal.

Ce que l'on considère comme du potinage inoffensif autour de la machine à café est en fait une forme de violence indirecte.

«La rumeur est une catégorie de harcèlement psychologique au travail qu'on oublie trop souvent, parce qu'on en banalise l'impact», estime la psychologue du travail Pascale Lemaire.

Souvent, les travailleurs qui en sont victimes ne savent pas comment réagir. Dans la majorité des cas, ils préfèrent se taire de peur d'en rajouter. S'ensuit la dégringolade. L'employé angoisse et n'est plus concentré à sa tâche.

Il devient méfiant et irritable envers ses collègues. Il se crée alors un cercle vicieux où la victime nourrit elle-même les ragots par son attitude inquiétante. L'employé se sent rejeté et s'isole. Certains finissent par démissionner ou par souffrir d'épuisement professionnel. D'autres optent pour des fins plus radicales.

Pascale Lemaire se remémore le cas d'un travailleur affecté à l'entretien des salles de bains dans une organisation ouvrière. Il était le souffre-douleur de ses collègues, qui racontaient, dans son dos, qu'il se masturbait dans les toilettes. Écoeuré, il s'est pendu sur son lieu de travail.

«C'est tragique, mais il faut souligner que cet homme avait aussi des difficultés personnelles», précise-t-elle.

La rumeur ne connaît pas la discrimination. «On la retrouve partout, autant à l'université qu'à l'usine», remarque Luc Brunet. Il note que seulement 1,8 % des organisations ou des groupes de travail disent ne pas connaître la rumeur au bureau.

Souvent, elle est un symptôme de l'envie ou d'un problème de communication. Ceux qui sont à l'origine des cancans ont généralement peur de confronter leurs collègues.

«Ils préfèrent les attaquer par la rumeur, qui est une forme de contrôle sur les autres, explique M. Brunet. Ce sont des personnes jalouses et arrivistes. Elles médisent sur des collègues qui ont des traits de personnalité, des compétences ou des pouvoirs qu'elles n'ont pas.»

Tolérance zéro

Selon Pascale Lemaire, il est impossible de mettre un terme à la rumeur puisqu'elle fait partie de la culture de travail informelle. Elle peut cependant être prévenue. Cette responsabilité revient aux gestionnaires.

«Les organisations doivent afficher une tolérance zéro aux potins en établissant un code d'éthique qui vise le respect des uns des autres», affirme M. Brunet.

Par définition, la rumeur est un phénomène d'entraînement. Les patrons devraient donc rencontrer tous les employés afin de les informer des impacts des potins, indique Pascale Lemaire. Mais parfois il ne suffit pas de prévenir.

Dès que les gestionnaires savent qu'une rumeur court, ils doivent absolument intervenir en sanctionnant les employés fautifs et en soutenant la victime.

«Le travailleur visé par le potin n'est pas dans un état où il peut agir, croit Luc Brunet. Un démenti officiel provenant d'en haut se révèle alors fort précieux.»

Ressources en ligne:

Commission des normes du travail: Le harcèlement psychologique au travail https://www.cnt.gouv.qc.ca/fr/normes/harcelement.asp

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COMMENT ÉTEINDRE LA RUMEUR

1. Parlez de votre problème à une personne de confiance ou à votre patron. Expliquez-lui votre perception de la rumeur. Ayez en main le plus de faits possible afin d'étayer vos propos.

2. Si vous savez qui est la personne responsable de la rumeur, confrontez la. «C'est la solution idéale, mais ce n'est pas toujours possible», remarque la psychologue Pascale Lemaire.

3. Observez-vous. La rumeur ne naît jamais de rien. Peut-être que, sans le vouloir, vous avez contribué à ces cancans soit par votre attitude ou votre manière de travailler.

4. Si c'est possible, consultez le service des ressources humaines de votre organisation ou votre représentant syndical.

5. Si la rumeur persiste, vous pouvez intenter un recours contre votre employeur, puisque c'est lui qui a l'obligation de mettre en place des mécanismes pour prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique. Cette mesure ne devrait s'appliquer qu'en dernier lieu, conseille Pascale Lemaire.

«Ce n'est pas nécessairement miraculeux et cela peut parfois causer plus de mal que de bien à l'employé victime de la rumeur.»