Qui a dit qu'une compagnie pharmaceutique devait fabriquer des médicaments? Jonathan Ross Goodman a 28 ans lorsqu'il se pose la question.

Qui a dit qu'une compagnie pharmaceutique devait fabriquer des médicaments? Jonathan Ross Goodman a 28 ans lorsqu'il se pose la question.

Douze ans plus tard, son bébé, Laboratoires Paladin [[|ticker sym='T.PLB'|]], est devenue la coqueluche des investisseurs. Et lui est prêt pour un autre grand coup.

Si, un jour, Laboratoires Paladin cherche un slogan, nous proposons humblement «Un président différent pour une entreprise différente».

Combien connaissez-vous de chefs d'entreprise qui s'amusent à cacher des photos de leur fils de 3 ans dans leurs rapports annuels pour jouer à «Où est Charlie» avec lui? Ou qui, pour fêter la dixième année consécutive de revenus records de l'entreprise, amène toute la compagnie à Acapulco pour une semaine?

Au 6111, Royalmount, à Montréal, en tout cas, dire que Jonathan Ross Goodman fait bande à part n'est pas une métaphore. Demandez M. Goodman à la réception et on vous répondra par une question. «Lequel?»

Dites «Morris ou David» et on vous conduira chez Pharmascience - le père et le fils sont respectivement président du conseil et président et chef de la direction de l'entreprise.

Répondez plutôt «Jonathan» et vous vous retrouverez à l'autre bout de l'édifice. C'est là que le fils cadet, qui ne veut rien savoir de travailler pour son père, mène sa propre barque: Laboratoires Paladin.

«J'aime deux choses en affaires: retrousser mes manches pour me salir les mains, et être le boss, explique Jonathan Goodman. En travaillant pour mon père, j'aurais pu me salir les mains. Mais pas être le boss.»

Voilà pour le patron. Quant au modèle d'affaires, si celui de papa Goodman est simple - Pharmascience fabrique des médicaments génériques - il faut un peu plus de temps pour saisir celui de fiston.

Le nom de l'entreprise, clairement, n'aide pas. «J'ai appelé ça Laboratoires Paladin, mais nous n'avons pas de laboratoire», explique Jonathan Goodman avec un grand sourire.

Laboratoires Paladin est ce qu'on appelle une «entreprise pharmaceutique spécialisée».

«Ça peut vouloir dire bien des choses, dit Goodman. De notre côté, on prend des produits qui marchent très bien dans d'autres pays, on acquiert la licence pour le marché canadien, et on les commercialise ici.»

Particularité

Laboratoires Paladin est la seule entreprise inscrite à la Bourse de Toronto à fonctionner ainsi. Pendant que les biotechs brûlent des millions de dollars pendant des années dans l'espoir de trouver un nouveau médicament, Paladin, elle, regarde. Et saute dans la mêlée uniquement quand, et si, ça fait son affaire.

«On choisit les meilleurs produits, dit M. Goodman. L'an dernier, par exemple, nous nous sommes penchés sur 69 opportunités. Et nous en avons choisi trois.»

L'une d'entre elles, en guise d'exemple, est Seasonale - une pilule contraceptive qui permet aux femmes de réduire le nombre de cycles menstruels de 13 à 4 par année. L'an dernier, les Américaines en ont acheté pour 120 millions US.

Laboratoires Paladin a négocié avec l'inventeur, Barr Pharmaceuticals, une licence exclusive pour vendre le produit au Canada.

Après l'avoir fait approuver par Santé Canada, Paladin lancera la pilule sur le marché d'ici la fin de l'année - en mettant son équipe de 80 vendeurs derrière pour en écouler le plus possible auprès des médecins.

La recette, en tout cas, semble appréciée des investisseurs. L'action de Paladin a augmenté de plus de 75% depuis deux ans. L'entreprise n'a pas de dette, quelque 32 millions en banque et a généré des ventes de 48 millions l'an dernier.

Une révolution en cours

Alors qu'il se dit confiant de voguer vers sa 13e année consécutive de revenus record, M. Goodman s'apprête pourtant à bouleverser le modèle d'affaires qui l'a si bien servi jusqu'à maintenant.

En avril, cette entreprise qui se targue de n'avoir jamais rien fabriqué a acheté une usine: celle de Bioenvelop, de Saint-Hyacinthe, qui fabrique des films solubles que l'on place sur la langue.

«Comme les languettes de Listerine, sauf qu'eux y mettent des vitamines», explique M. Goodman en tendant une languette de vitamine C à saveur de cerise.

Son plan: d'abord faire croître le volet vitamines déjà exploité jadis par Bioenvelop. «Ensuite, on va prendre des médicaments existants qui se vendent en tablettes, et on va les mettre sur ces films», annonce M. Goodman.

Ce n'est pas tout. Laboratoires Paladin, qui a toujours tiré son épingle du jeu grâce à sa connaissance approfondie du marché canadien, rêve maintenant d'expansion géographique.

«Nous avons d'abord fait comme tout le monde et regardé du côté des États-Unis, dit M. Goodman. Ce que nous avons vu, c'est un marché extrêmement compétitif. Tout le monde veut le marché américain, et ça se comprend: c'est là que sont vendus 52% des médicaments de la planète.»

«Ensuite, tout le monde veut l'Europe, tout le monde veut le Japon, continue M. Goodman. Mais personne ne veut l'Afrique du Sud, le Brésil, le Mexique, l'Australie.»

C'est maintenant là qu'il veut aller jouer. Comment? «On va acheter quelqu'un, répond-il. Quelqu'un comme nous, qui connaît le marché local.»

Un tournant important?

«Oui, admet M. Goodman. Et nous sommes très enthousiastes. Mark et moi venons tout juste de fêter notre quarantième anniversaire, dit-il en parlant de Mark Beaudet, son comparse de toujours. Et on veut faire de nouvelles choses.»

Réflexions sur les relations père-fils

«J'aime mon père, j'aime mon frère. Mais je ne crois pas que ça aurait été un environnement très sain. Les affaires et la famille, c'est déjà compliqué entre un père et un fils. Avec deux fils, c'est encore pire.»

Sur le fait de lancer son entreprise à 28 ans

"C'était merveilleux. Vingt-huit ans est l'âge parfait pour lancer une entreprise. Je n'avais pas de famille, et j'étais avocat donc je savais que je pouvais devenir professionnel si ça tournait mal. J'étais prêt à prendre des risques. J'étais prêt à échouer."

Sur l'origine de son modèle d'affaires

"Le Canada est plein d'histoires à succès qui ont été copiées des États-Unis..."

Sur les bienfaits de la Bourse

"Quand j'ai décidé de fonder une entreprise, une des conditions était que je le ferais en utilisant l'argent des autres. Et la meilleure façon de faire ça, c'était avec une entreprise inscrite en Bourse."

Sur la compétition des grandes pharmaceutiques

"Le Canada est assez petit pour que nous puissions appeler les mêmes docteurs qu'eux, aussi souvent qu'eux."

Se lancer en affaires... à 28 ans

En invitant La Presse Affaires dans son bureau, Jonathan Goodman s'excuse. «Ce sont les meubles dont ma femme ne voulait pas quand on s'est mariés, dit-il en montrant les canapés. C'est mon vieux mobilier de célibataire.»

L'adjectif «vieux», à sa décharge, est mal choisi. Parce que M. Goodman, qui a tout juste 40 ans, n'est marié que depuis quatre ans.

«Avant, je ne pouvais pas: je travaillais, explique-t-il. Je travaillais comme un chien.»

Jonathan Goodman a 28 ans lorsqu'il fonde Laboratoires Paladin. Il travaille à l'époque chez Procter & Gamble et convainc son voisin de bureau, Mark Beaudet, de faire le saut avec lui.

«Le meilleur gars de marketing que j'ai jamais vu, dit-il de lui. Je me suis tout de suite dit que si je fondais une entreprise, je voulais qu'il vienne avec moi.»

Tête baissée

Il achète une coquille déjà inscrite à la Bourse de Vancouver. Et se lance tête baissée dans l'aventure.

«Le premier trimestre, j'achète cette compagnie, je remplis toute la paperasse légale moi-même. Et un bon jour la Bourse de Vancouver m'appelle pour me dire: si vous ne soumettez pas vos états financiers d'ici deux jours, on vous raye. J'avais tout simplement oublié que les entreprises inscrites en Bourse doivent soumettre leurs états financiers!»

Pas de doute: Laboratoires Paladin, depuis, a fait du progrès.

Et Jonathan Goodman, aujourd'hui papa, peut maintenant se permettre de moins travailler.

Relativement parlant, s'entend. "Mon entente avec ma femme, c'est que je reviens deux fois par semaine pour le souper."