Salaire de base, primes, options, actions fictives, DPVA, UAD, UANR... alouette! L'arsenal de rémunération des entreprises en Bourse est à ce point varié qu'il est de plus en plus difficile de répondre à une question pourtant simple: combien gagne le PDG?

Salaire de base, primes, options, actions fictives, DPVA, UAD, UANR... alouette! L'arsenal de rémunération des entreprises en Bourse est à ce point varié qu'il est de plus en plus difficile de répondre à une question pourtant simple: combien gagne le PDG?

En fait, non seulement les hauts dirigeants cumulent une brochette de rémunération, mais ces formes de salaires varient d'une entreprise à l'autre. Pour le petit actionnaire, c'est à y perdre son latin.

Robert Nadeau, directeur général de Spencer Stuart, est à même de constater le problème. Sa firme déniche des cadres supérieurs pour les entreprises depuis 50 ans.

«C'est un problème parce que ça devient de plus en plus complexe et difficile à interpréter. Il n'y a pas de règles standard, d'uniformité dans la présentation», dit-il.

L'ex-numéro 2 de la Caisse de dépôt, Michel Nadeau (aucun lien de parenté), dresse le même constat.

«Effectivement, c'est rendu difficile. Surtout dans l'évaluation des régimes de retraite, où il faut escompter des paiements futurs. Ou encore dans l'évaluation annuelle des options d'achat d'actions, avec le modèle Black Scholes», explique M. Nadeau, maintenant directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques.

Divers facteurs expliquent cette prolifération. D'abord, les entreprises ont voulu s'assurer que leurs dirigeants recevaient des primes en fonction de leur rendement. Mais quel rendement? On a donc introduit des mesures de rendement à court, à moyen, puis à long terme.

La prime à court terme peut être fonction de la croissance des bénéfices, de la réduction des coûts, de la satisfaction de la clientèle, des flux de trésorerie, etc.

La rémunération à long terme cible plutôt le cours de l'action et permet aux dirigeants d'avoir le même objectif en tête que les actionnaires, soit la croissance du titre.

Plus récemment, certaines entreprises ont abandonné l'octroi d'options d'achat d'actions, comme Alcan, pour les remplacer par des formes de rémunération plus sophistiquées.

Les options d'achat d'actions ont été contestées ces dernières années parce qu'elles permettent aux dirigeants d'empocher la plus-value de l'action en Bourse, que cette plus-value soit attribuable aux dirigeants ou au marché boursier dans son ensemble.

Des abus ont pu être constatés dans les secteurs technologiques ou pétroliers.

«Les options sont en baisse, assurément. Il y a eu trop de scandales. On le constate dans nos études: il y a de moins en moins d'octrois d'options, à la fois au conseil d'administration et aux dirigeants. On s'en va vers le concept des unités d'actions à négociation restreinte (UANR), dit Robert Nadeau.

Un gâteau à étages

Le professeur de comptabilité Michel Magnan, de l'Université Concordia, est sceptique face à cette pléthore de rémunérations à rendement, qu'il qualifie de gâteau à étages.

Comment un dirigeant peut-il être motivé par autant de régimes différents, dont les cibles de rendement sont souvent difficiles à comprendre?

«On ne parle pas d'une carotte, mais de 10 carottes à différents endroits. Trop d'indicateurs nuisent à l'orientation», dit M. Magnan, qui est titulaire de la Chaire Lawrence Bloomberg en comptabilité.

Au fil des ans, les organisations ont ajouté des régimes mais n'ont pas nécessairement réduit les autres modes de rémunération. «Est-ce une tentative pour camoufler des éléments de rémunération?» s'interroge-t-il.

Une étude de l'Université de Toronto semble donner raison à Michel Magnan sur l'inadéquation entre la rémunération et le rendement.

L'école de management de l'Université a tenté de vérifier s'il existe une corrélation entre la paye des PDG et le rendement qu'ils procurent à leurs actionnaires comparativement aux entreprises concurrentes.

Résultat: les deux éléments ne sont pas liés. Autrement dit, le chèque de paye des grands patrons au Canada ne varient pas significativement en fonction de la valeur qu'ils ajoutent à leur entreprise.

L'étude publiée en mai 2006 portait sur 65 des plus grandes entreprises en Bourse au Canada.

Quoi qu'il en soit, les autorités semblent avoir constaté la complexification de la rémunération. En mars, l'Association canadienne des valeurs mobilières (ACVM) a publié un nouveau règlement sur la rémunération de la haute direction des entreprises en Bourse.

L'un des objectifs vise à en uniformiser la présentation et à obliger les entreprises à fournir un chiffre représentant la rémunération globale annuelle de chaque haut dirigeant.

Le projet est en phase de consultation jusqu'au 30 juin prochain et les autorités pourraient mettre le règlement en vigueur dès la fin de 2007.

Est-ce que cette divulgation nouveau genre mettra un frein aux excès? Rendra-t-elle les salaires plus conformes au rendement? Pas sûr. L'importance grandissante des firmes de capital privé dans l'économie, tel KKR, Cerberus Capital ou Bain Capital, aura une influence marquante sur l'évolution de la rémunération.

Ces firmes qui ciblent des entreprises tels BCE, Chrysler ou Dollarama offrent des salaires bien supérieurs aux entreprises en Bourse. Et aucune règle ne les oblige à divulguer publiquement les émoluments des patrons qu'ils mettent en place.

«Les dirigeants des entreprises achetées par du capital privé font de bons salaires. Il n'y a rien en bas de sept chiffres, affirme Michel Nadeau, de l'Institut sur la gouvernance. Ça ne sera pas cinq 10 millions, mais 20 millions de dollars. Vous redressez une compagnie, vous gagnez le gros lot.»

Autrement dit, il faudra s'habituer: l'inflation des gros salaires n'est probablement pas terminée. Sky is not the limit.