Faisons-nous peur un peu: le taux d'endettement des ménages canadiens a augmenté de 70 % depuis 1980.

Faisons-nous peur un peu: le taux d'endettement des ménages canadiens a augmenté de 70 % depuis 1980.

Qu'est-ce que ça veut dire? Ce taux compare les dettes d'un ménage à ses revenus annuels disponibles. En 1990, les dettes correspondaient en moyenne à 75 % des revenus. En 2006, ce taux avait franchi la barre des 120 %.

Certains estiment que cette mesure est discutable parce qu'elle amalgame des dettes à échéances variées. «Ce qui est important dans cette mesure, c'est son évolution», signale Richard Archambault, économiste principal au Bureau du surintendant des faillites.

«En moyenne, explique-t-il, un individu en 1990 aurait eu besoin de consacrer tout son revenu disponible pendant neuf mois consécutifs pour rembourser la totalité de ses dettes. En 2006, il aurait fallu plus de 14 mois de revenu disponible pour rembourser la dette moyenne d'un Canadien. Ceci semble indiquer que la pression financière moyenne sur les individus a augmenté substantiellement depuis 1990.»

D'autres économistes veulent nous rassurer: l'essentiel est de savoir si cette dette permet tout de même aux ménages de s'enrichir. Mieux vaut donc la comparer à leurs actifs.

L'économiste principal des Études économique du Mouvement Desjardins, Mario Couture, a fait l'exercice: depuis 10 ans, par rapport aux actifs des ménages, l'importance de leurs emprunts a légèrement diminué. En 1996, 74,5 % de leurs actifs étaient dégagés de toute dette. En 2006, cette proportion avait grimpé à 76,6 %.

«Au cours des dernières années, les ménages québécois ont en moyenne amélioré leur situation financière à cause d'une croissance plus importante de leurs actifs que de leurs dettes», conclut-il.

Mario Couture convient cependant qu'il s'agit d'une perspective macroéconomique, et que certains ménages, aux franges de la moyenne, connaissent des situations difficiles.

C'est en effet ce qu'observe Manon Houde, conseillère budgétaire à l'ACEF Rive-Sud de Québec.

«L'endettement a des conséquences plus graves que ce que les gens pensent, dit-elle. Dans nos rencontres, ce qu'on voit, c'est l'amoindrissement de la qualité de vie et du pouvoir d'achat, le stress, les conséquences physiques que l'endettement apporte...»

Question de vulnérabilité

Pour la majorité des ménages, «la vulnérabilité proviendrait d'une situation économique qui changerait abruptement», estime Mario Couture.

Il aborde les facteurs d'inquiétude un par un.

Sursaut important des taux d'intérêt? Les taux sont à la hausse, mais on ne prévoit qu'une hausse de 50 points de base cette année (0,5 %).

Récession?

L'activité économique a ralenti au premier semestre, mais l'activité sur le marché du travail nous indique que nous sommes encore loin d'une récession.

Risque de baisse de la valeur des résidences comme aux États-Unis? La situation au Québec est très différente, où on ne connaît à peu près pas les prêteurs hypothécaires à haut risque, et où l'immobilier croît encore à raison de près de 4 % par année.

Écroulement du marché boursier? Une correction majeure aurait un impact certain sur les actifs financiers des ménages, mais à peine 30 % du portefeuille québécois typique est concentré dans les valeurs mobilières.

En somme, rien pour tirer la sonnette d'alarme.

En fait, selon James O'Connor, économiste à l'Institut de la Statistique du Québec, la difficulté réside dans le fait qu'on ne sait pas à quel taux il conviendrait de tirer cette sonnette. «On s'en inquiète depuis des années et il ne se passe rien», lance-t-il.

Il rappelle que le taux d'endettement et le taux d'épargne sont liés aux taux d'intérêt. «Les taux d'intérêts se maintiennent à un taux historiquement bas. Il est normal alors que le taux d'endettement soit historiquement élevé et que le taux d'épargne soit historiquement bas.»

Mais tous les économistes ne voient pas la situation de cet oeil.

En 2004, —rare exemple de circonspection dans le monde bancaire —, les économistes de la Banque Scotia s'étaient inquiétés que la hausse rapide de l'endettement des familles nord-américaines puissent accroître leur vulnérabilité à un revers de la conjoncture économique.

Richard Archambault partage ce point de vue. «J'ai peur que si une récession survient, l'effet soit pire qu'en 1990», confie-t-il. Le nombre de faillites de consommateurs au Canada était alors passé de 29 155 en 1989 à 62 033 en 1991.

Le taux d'endettement calculé par Statistique Canada était alors à 91 %. Il dépassait 120 % en 2006.

On doit reconnaître que le nombre de cas d'insolvabilité (faillites et propositions de consommateurs) s'est stabilisé au Canada depuis quelques années, malgré l'endettement croissant.

«Il semble que les effets de l'endettement sur l'insolvabilité soient largement atténués par les faibles taux d'intérêts, et particulièrement par la bonne performance du marché du travail, observe Richard Archambault. Le marché du travail n'a jamais été aussi dynamique et créateur d'emplois depuis près de 30 ans.»

Cependant, ajoute-t-il, un renversement de la situation «pourrait frapper plusieurs ménages de plein fouet, particulièrement ceux qui peinent déjà à joindre les deux bouts.»

Une croissance basée sur l'endettement

C'est la structure de la dette des ménages qui inquiète spécialement Jacques Nantel, professeur à HEC Montréal. «Nous en sommes à un point où une partie importante de cette dette, près du tiers, est constituée de dettes à courantes à court terme», dénonce-t-il.

Cependant, il perçoit des répercussions plus profondes et fondamentales à l'endettement des ménages.

«Ce qui fait rouler l'économie, ce n'est plus tellement le secteur manufacturier ou le secteur commercial, mais en grande partie le secteur ménage, souligne-t-il. De telle sorte que le moindre soubresaut sur les taux d'intérêt, entre autres, aura un effet multiplicateur.» Cet effet s'exercera sur la situation du ménage endetté, mais également, à rebours, sur le contexte économique dans lequel il vit.

Pour soutenir la croissance économique, le secteur domestique ne peut compter que sur l'accroissement démographique — à peu près nul —, et sur l'accroissement de la richesse des ménages — plutôt lent.

À défaut, poursuit M. Nantel, il faut «vider le bas de laine, ce qui est déjà fait, ou s'endetter davantage, ce qu'on est en train de faire.»

En d'autres mots, on est en train d'étrangler lentement la poule aux oeufs d'or.