New York mérite-t-il toujours le titre de «capitale financière du monde»?

New York mérite-t-il toujours le titre de «capitale financière du monde»?

Les analystes en sont moins convaincus que jamais. Une rivale s'impose à leurs yeux, et surtout, à ceux des investisseurs étrangers: Londres. Les deux mégapoles seraient à égalité dans la course au titre.

Certains enthousiastes prédisent même que Londres coiffera la Big Apple d'ici quelques années. Optimisme débridé ou pronostic mesuré?

La vie est belle pour les financiers de Londres. Très belle. Au tournant de l'année, ils ont touché environ 20 milliards de dollars américains en primes. C'est 18 % de plus qu'en 2006. Quelque 4000 avocats, banquiers et courtiers ont reçu plus de deux millions US chacun.

L'analyste financier Nicolas Cucheval a vu des collègues arroser leurs primes avec du champagne Cristal Roederer, à 500 $US la bouteille. «Ils ont claqué plein de fric dans les boîtes de nuit super hype», dit le Français employé dans une firme financière de Londres.

C'est dire si les affaires vont bien à la City, le quartier des finances. Tellement bien que plusieurs experts se demandent si Londres n'est pas en train de battre New York comme centre financier international.

Pourquoi cet optimisme? Tout d'abord, parce que la Bourse de Londres roule sur l'or. Le London Stock Exchange (LSE) a terminé l'année 2006 avec un bénéfice net de 193 millions US pour les neuf premiers mois de son année fiscale, une hausse de 62 % par rapport à l'année précédente.

La Bourse électronique américaine, NASDAQ, tente de l'acheter depuis un an, sans succès. Le LSE a encore une fois levé le nez sur son offre de 6,5 milliards US en février.

Selon les Services financiers internationaux de Londres (l'organisation chargée de sa promotion), la capitale britannique devance Wall Street dans plusieurs secteurs, dont celui des obligations internationales, des introductions en Bourse et des fonds de couverture.

Les investisseurs étrangers, surtout, n'ont plus de yeux que pour elle.

Attrayante

Londres gère 43 % des capitaux étrangers au monde -appartenant aux compagnies cotées ailleurs que dans leur pays. En 2006, 91 entreprises internationales ont choisi le LSE pour émettre de nouvelles actions, soit quatre fois plus qu'à New York.

«Il y a 10 ans, les Asiatiques et les Sud-Américains choisissaient New York. Maintenant, ils vont à Londres», confirme Michael Dempster, professeur émérite à l'Université de Cambridge.

«La capitale jouit d'un momentum incroyable en ce moment. Même les grosses firmes américaines comme Merrill Lynch déplacent de plus en plus leurs opérations ici», poursuit l'expert en finances d'origine canadienne.

Il n'y a pas que les chiffres qui prouvent que Londres a le vent en poupe. Une étude toute chaude publiée ce mois-ci par la firme de marketing britannique Z/Yen révèle que les financiers décernent -de justesse- la palme à Londres.

«Les deux capitales sont nez à nez», confirme à La Presse Affaires Mark Yeandle, un des auteurs du rapport.

La capitale britannique devance légèrement sa rivale sur la majorité des critères, dont celui de l'accessibilité du marché et de la disponibilité d'une main d'oeuvre qualifiée.

Sur ce dernier point, les démarches pleines d'embûches pour l'obtention d'un visa américain ne font pas le poids face à l'ouverture du système britannique. Et Londres peut puiser dans un vaste bassin de jeunes talents européens -qui peuvent y travailler sans visa.

Le boulet Sarbanes-Oxley

Du côté de New York, un vent de panique se lève. L'automne dernier, le maire Michael Bloomberg a signé un texte intitulé «Pour sauver New York, apprenez de Londres» dans le Wall Street Paper.

À ses yeux, New York perd du terrain à cause du manque de leadership des «chefs d'entreprise qui passent leur temps à se plier aux réglementations encombrantes imposées par des vérificateurs zélés».

Le maire faisait référence entre autres à la loi antifraude Sarbanes-Oxley adoptée par le Congrès américain en 2002 à la suite des scandales d'Enron et de WorldCom. Cette mesure a serré la vis aux entrepreneurs, les obligeant à plus de transparence. Or, selon la plupart des analystes, elle fait aussi fuir des compagnies des Bourses américaines.

Se soumettre aux régulations britanniques est un jeu d'enfant en comparaison aux États-Unis, si l'on en croit Michael Dempster.

«Il y a tellement d'agences américaines qui réglementent le secteur financier, les gens ne savent plus à quel saint se vouer en cas de problème, explique-t-il. Ici, il n'y a que la Financial Services Authority (FSA) et elle se base sur des principes plutôt que sur des règles.»

Le maire Bloomberg a d'ailleurs examiné la FSA en février pour observer ses rouages.

Selon Mark Yeandle, de Z/Yen, les courtiers moins gourmands de la City jouent aussi en faveur de Londres. «Ils demandent 3 ou 4 % de commission comparativement à 7 % à New York», souligne le consultant.

New York est-il condamné à devenir un second violon sur l'échiquier financier mondial? «Pas si vite», répondent les experts. Wall Street reste puissant grâce à son marché national, notamment dans le secteur des fonds de pension.

«Un centre financier bien établi et possédant une grande réserve de liquidités est très difficile à déloger, remarque Mark Yeandle. Il faut plus qu'une loi comme Sarbanes-Oxley pour que New York perde sa position de pouvoir au profit de Londres.»

N'empêche que l'inquiétude des Américains ne ment pas. La Big Apple est sur une pente glissante et son maire cherche par tous les moyens de freiner sa chute. Les «faiseurs de pluie» de la City, eux, doivent déjà se frotter les mains en pensant aux bonus de l'année prochaine.