S'il ne le fait pas lui-même, le gouvernement se fera imposer une Bourse du carbone par ses partenaires commerciaux, notamment par les États-Unis qui adopteront vraisemblablement ce moyen pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

S'il ne le fait pas lui-même, le gouvernement se fera imposer une Bourse du carbone par ses partenaires commerciaux, notamment par les États-Unis qui adopteront vraisemblablement ce moyen pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

«Une fois que les législateurs à Washington auront décidé de mettre un prix sur les émissions de carbone, les traités commerciaux vont obliger le Canada à faire la même chose», croit l'économiste en chef de la CIBC, Jeffrey Rubin, qui estime que 40 % des entreprises inscrites à la Bourse de Toronto devront tôt ou tard se conformer à des quotas d'émissions.

«Lier l'accès aux marchés au respect de pratiques environnementales pourrait bien devenir l'arme qui obligera les plus gros émetteurs, comme la Chine, à réduire leurs émissions», affirme l'économiste dans un rapport de recherche qui vise à mettre les investisseurs en garde contre l'impact que pourraient avoir ces quotas sur la rentabilité des entreprises.

Pendant que le gouvernement canadien tergiverse, les États-Unis se dirigent lentement mais sûrement vers l'établissement d'un marché national du carbone. La Californie a décidé d'établir des quotas d'émissions et un marché pour acheter et vendre des crédits d'émissions sur son territoire, et d'autres états comme le Connecticut, le Delaware, le Maine, le Vermont, le New Hampshire, New York et le New Jersey songent à faire la même chose.

Un projet de loi visant l'établissement d'une Bourse du carbone à l'échelle nationale est actuellement devant le Congrès, et il a obtenu l'appui des républicains et des démocrates.

Les pressions se font de plus en plus fortes sur le gouvernement canadien pour qu'il établisse le cadre réglementaire nécessaire à la création d'une Bourse du carbone, c'est-à-dire des objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre par secteur d'activités et un échéancier à respecter.

«C'est essentiel», dit Guy Drouin, le président de Biothermica, la première entreprise canadienne à vendre des crédits d'émissions de carbone dans le cadre des mécanismes créés à la suite des accords de Kyoto.

Un cadre réglementaire sert dans les faits à mettre un prix sur un mètre cube d'air, comme on le fait pour un mètre cube de bois, ce qui signale sa rareté et permet ensuite d'en acheter ou d'en vendre, explique-t-il. «Ce n'est pas un droit de polluer.»

Biothermica a vendu 325000 crédits de carbone au gouvernement du Luxembourg, qui en a besoin pour respecter ses engagements de réduction de gaz à effet de serre.

Ça représente 25% des crédits qu'a obtenus l'entreprise de Montréal en investissant dans la valorisation des biogaz d'un site d'enfouissement des déchets au Salvador. Le reste des crédits seront revendus au moment jugé propice, «comme des actions de Bell Canada», dit Guy Drouin, qui mise sur l'augmentation de leur valeur.

La pénalité prévue pour les signataires des accords de Kyoto qui ne respecteront pas leurs engagements de réduction d'émissions passera de 40 euros par tonne à 100 euros (152$CAN) par tonne en 2012, ce qui pourrait faire augmenter le prix des crédits sur le marché.

Les crédits d'émissions de carbone et d'autres gaz à effet de serre s'échangent déjà en Europe, à la Bourse ou par l'entremise des courtiers spécialisés. Les acheteurs sont des gouvernements, des états, des villes, des entreprises, des courtiers et des fonds d'investissement spécialisés.

Même aux États-Unis, le marché des émissions de gaz à effet de serre a commencé à s'organiser avec le Chicago Climate Exchange, qui sert de lieu d'échange sur une base volontaire pour les entreprises membres.

Efficacité prouvée

Les Américains connaissent l'efficacité des mécanismes de marché pour régler un problème comme les gaz à effet de serre. Ils l'ont utilisé avec succès pour lutter contre les émissions de SO2 et de NOX, responsables des pluies acides.

Guy Drouin souligne qu'une Bourse du carbone permet de mobiliser des capitaux privés pour régler un problème planétaire. «La beauté du mécanisme de marché, c'est qu'il permet de faire le maximum avec le moins d'argent possible», dit-il.

Il permet aussi le développement des technologies et la création de richesse collective. «C'est la quatrième révolution industrielle», estime-t-il, en déplorant que le Canada soit en train de manquer le bateau.

Des objectifs précis de réduction des gaz à effet de serre favoriseraient sans doute le développement de certaines entreprises, mais il en handicaperait d'autres, souligne de son côté l'économiste de la CIBC.

Les plus vulnérables seraient les entreprises qui utilisent le charbon pour produire de l'électricité, celles qui extraient du pétrole des sables bitumineux et celles qui raffinent les métaux. Au total, 40% des entreprises inscrites à la Bourse de Toronto seront affectées plus ou moins gravement, selon les cibles d'émissions et l'échéancier qui sera établi par le gouvernement.