Chaque spécialité de la gestion a ses techniques. «Une Technique, c'est quelque chose que l'on peut utiliser à la place d'un cerveau», écrit Henry Mintzberg dans «The Flying Circus», paru en 2005.

Chaque spécialité de la gestion a ses techniques. «Une Technique, c'est quelque chose que l'on peut utiliser à la place d'un cerveau», écrit Henry Mintzberg dans «The Flying Circus», paru en 2005.

Dans cet ouvrage sur le transport aérien, le célèbre penseur du management de McGill illustre avec humour les aberrations auxquelles peuvent conduire les modes en gestion.

Dans cette dernière entrevue avant la pause estivale, il nous livre ses observations décapantes sur des « techniques » de gestion très populaires dans les airs - et sur terre.

Q.Pourquoi avez-vous écrit un livre sur le transport aérien?

Je voyage peu pour mon travail. Peu, c'est déjà trop. Je ne déteste pas l'avion. Je déteste la bureaucratie dans le ciel.

Comme mon travail consiste à observer, à réfléchir sur la gestion des organisations et à partager ces réflexions, c'était naturel de faire cet exercice en racontant, cette fois, mes propres expériences avec l'industrie du transport aérien.

Q. « The Flying Circus » est une vengeance personnelle?

Oui, d'une certaine façon.

Je précise mes intentions en introduction. Je me cite : « Je sais que nous vivons dans le troisième millénaire. Je sais que toute chose est un produit et que toute personne humaine est un marché. Je sais que toutes les valeurs humaines doivent être mesurées à leur valeur pour les actionnaires. Mais, jusque dans les églises, les casinos et les tournois de ping-pong? Quand j'ai réalisé que c'était le cas dans les airs également, si près du ciel, s'en était trop. J'ai décidé de prendre ma revanche ».

J'écris des ouvrages sérieux sur la gestion mais pour celui-ci, j'ai décidé de faire un livre humoristique.

Je crois malgré tout que les gestionnaires qui ont besoin d'aide peuvent apprendre énormément de ce que font les compagnies aériennes, afin de faire exactement le contraire.

Que reprochez-vous à cette industrie?

Je lui reproche, comme à beaucoup d'autres industries, ses techniques de commercialisation qui reposent sur la présomption que nous devons tous être “consommés” par la consommation.

Impossible de prendre l'avion de nos jours sans recevoir des offres d'achat de produits hors taxes (j'appelle les « Duty Free » les « Duty Fee ») et être inondés de messages publicitaires pour les tours guidés, des hôtels et des autos à louer.

Impossible aussi de faire un trajet d'une heure sans être interpellé plusieurs fois par le personnel de bord.

Tout ce que je veux dans un avion, c'est végéter, ce qui veut dire dans mon cas lire sans interruption du décollage à l'atterrissage. C'est impossible.

«Un breuvage monsieur Mintzberg? Des peanuts? Un autre breuvage? Encore des peanuts monsieur Mintzberg?»

Sur les longs courriers, c'est encore pire. Un oreiller monsieur Mintzberg? Un livre à colorier mon petit monsieur Mintzberg? Vous avez rempli le formulaire de douane monsieur Mintzberg? Votre petit déjeuner monsieur Minzberg ? - il est deux heures du matin -.

Il y a aussi les fameux messages du commandant de bord... «Nous survolons Come by Chance, Terre-Neuve» - il est minuit et vous veniez de vous endormir. « J'ai le plaisir de vous informer que nous arriverons dans deux heures à Beijing »” – il est quatre heures du matin et vous dormiez.

C'est vrai qu'il faut du temps pour se préparer à commencer sa journée. Chez moi, j'y mets 20 minutes, habillement et douche comprise. Qu'est-ce que l'on peut faire de ce genre, dans un avion, en 120 minutes?

Pourquoi ne nous laissent-ils pas tranquilles? C'est un des mystères que j'ai tenté d'éclaircir dans ce livre.

Q. Avez-vous trouvé la réponse?

J'ai un jour posé la question à un agent de bord. “Mais, ils nous disent de faire ça” a-t-elle répondu. “Ils appellent ça du looping”.

Looping! Ils ont un nom pour ça. En français, cette technique de marketing pourrait être traduite par bouclage ou encerclement. Dans les avions, où les passagers sont en captivité, le looping est l'équivalent pour moi de la torture.

De retour à McGill, j'ai posé des questions à propos du looping à Louis, un collègue professeur en marketing qui connaît bien le transport aérien.

«Mais les passagers aiment ça! Plusieurs recherches en marketing le prouvent», m'a-t-il dit.

Mais combien de bouclage ou d'encerclement aiment-ils Louis? Est-ce comme le bonheur? On en a jamais assez?

Où s'arrête le bouclage et où commence le harcèlement Louis?

Plus sérieusement, où s'arrête la «technique» et où commence la réflexion?

Ces questions se posent aussi quand on observe les aéroports.

Vous n'aimez pas les aéroports?

Il faut des aéroports! Après tout, il faut bien atterrir, passer les douanes et prendre ses bagages.

Le problème, c'est que les plus grands aéroports jouent de moins en moins bien ce rôle et sont devenus des centres commerciaux.

Le «leader» de ce modèle est Schiphol, à Amsterdam, avec son slogan See.Buy.Fly.

Vous cherchez du Caviar de Tchernobyl, du Pingouin fumé de l'Antartique, des condoms en peau de serpent à sonnette ou de la pâte à dents au vinaigre balsamique? Arrêtez-vous à Schiphol (que j'ai rebaptisé Skiphole dans mon livre).

Faites attention en magasinant : vous risquez de rater votre avion.

Ailleurs, comme à Toronto et Londres, vous risquez de rater vos rendez-vous ou votre correspondance parce que l'avion n'atterrit pas à temps.

J'ai pris récemment un vol de Glasgow-Londres. Je n'ai pas quitté l'Écosse à l'heure. L'avion ne pouvait pas quitter parce l'aéroport d'Heathrow était débordée. En arrivant à Londres, on a dû attendre que trois avions se vident avant de pouvoir descendre du nôtre.

Ensuite, j'ai dû attendre une heure et quart pour récupérer un seul bagage – soit plus longtemps que le vol Glasgow-Londres.

J'ai pris un formulaire de commentaires pour les précieux utilisateurs d'Heathrow et j'ai écrit : « Cet endroit est trop gros. Vous devriez peut-être le fermer ».

La même recommandation pourrait être faite à Pearson.

Q. Revenons au transport aérien...

Si on veut comprendre la mentalité des grandes compagnies aériennes, on n'a qu'à regarder le nom de leurs transporteurs à rabais.

Pour United Airlines, c'est Ted (c'est mignon). Pour Air Canada, c'est Tango (sur le Pont d'Air Canada, on y danse, on y danse... ).

Mais mon préféré, c'est British Midland. Sa compagnie à rabais s'appelle BMI Baby.

Imaginez que vous êtes le vice-président de Baby et que vous êtes en compétition pour des budgets ou que vous négociez avec le vice-président marketing, exploitation ou entretien – tous des postes sérieux – de cette compagnie ou d'une autre. Et vous vous présentez comme le vice-président de Baby!

Les transporteurs à rabais sérieux eux, ont des noms sérieux, comme Southwest Airlines ou Ryan Air.

Les grandes compagnies aériennes nous signalent, par le nom de leurs propres transporteurs aériens, que ce n'est pas sérieux.

Q. Vous avez examiné les prix des billets d'avion. Qu'en pensez-vous?

Ils sont très élastiques.

Si votre séjour comprend un samedi soir ou que vous êtes copain avec un agent de voyage ou que vous promettez d'être sage avec votre livre à colorier, vous pouvez faire le trajet Montréal-Francfort pour 828$ sur Air Canada.

Mais si le pit bull de votre famille qui vit à Francfort vient de mourir et que vous devez être à son enterrement le lendemain, vous devez payer, en «classe économique», 5643$.

Si vous choisissez la «classe affaires» flexible, vous paierez 6 990.$. Six heures de repos (en principe) vont vous coûter 1000 dollars chacune.

La classe affaires est devenue beaucoup plus qu'une place dans un avion...

Vous êtes très sévère envers les transporteurs aériens. Cette industrie serait-elle si différente des autres?

Malheureusement non.

On n'a qu'à penser aux contrats et aux prix des téléphones cellulaires. Les compagnies de sans fil utilisent la technique du «Bamboozle Pricing». Elle sert à confondre complètement les consommateurs.

Si les lecteurs voulaient connaître mieux vos pensées sur la gestion pendant les vacances, lesquels de vos livres leur conseillez-vous?

S'ils s'apprêtent à choisir un programme d'études universitaires en gestion, je leur conseille Des Managers, des vrais, pas des MBA.

S'ils occupent déjà un poste de gestionnaire, je leur recommande, certainement Le Pouvoir dans les organisations. Dans sa version anglaise, il a 700 pages en caractères minuscules. À mettre à côté du lit. Sommeil garanti. Malheureusement, il est épuisé.

Plus sérieusement, je propose aux gestionnaires Strategy Bites Back, un livre sérieux et amusant à la fois, avec des caricatures, des anecdotes, des poèmes et des caractères un peu plus grand.. Et heureusement pour les lecteurs, je n'en suis pas le seul auteur.

Pour Strategy Bites Back, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle : il est disponible, mais en anglais seulement.