Merck Frosst vient de recevoir une facture du fisc de 2 milliards de dollars, mais l'entreprise n'est pas la seule à utiliser un stratagème contesté.

Merck Frosst vient de recevoir une facture du fisc de 2 milliards de dollars, mais l'entreprise n'est pas la seule à utiliser un stratagème contesté.

Le transfert de brevets de médicaments vers les paradis fiscaux est une pratique répandue chez les entreprises pharmaceutiques, disent les experts.

" Nos lois permettent ce que Merck est présumé avoir fait. C'est la base de notre système ", explique Éric Labelle, associé en fiscalité internationale de la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).

" C'est une pratique courante pour minimiser l'impact fiscal, surtout quand les ventes sont internationales. Ça fait partie de la game, c'est-à-dire de payer moins d'impôts pour le bénéfice des actionnaires ", dit Claude Bismuth, associé principal, secteur sciences de la vie, de Ernst & Young.

Au début octobre, la multinationale Merck Frosst a reçu un avis de cotisation de Revenu Canada pour des impôts impayés. Selon nos informations, le fisc réclame plus de 2 milliards de dollars à Merck pour des impôts impayés entre 1998 et 2004. Ce montant comprend les intérêts et une pénalité.

Le fisc cible des redevances mondiales de 5 milliards que Merck aurait encaissées avec le médicament contre l'asthme Singulair, entre autres.

Ce médicament a été développé à Montréal, mais son brevet a été transféré à la Barbade pour permettre à Merck de réduire sa facture d'impôt.

Revenu Canada n'a pas voulu commenter, mais les quatre experts que nous avons consultés s'entendent: le litige porte non pas sur le transfert du brevet, mais probablement sur la valeur accordée au brevet au moment du transfert, il y a quelques années.

En effet, pour qu'un transfert soit accepté par les autorités, il faut que le prix de vente corresponde à la juste valeur marchande. La transaction est généralement imposée comme un gain en capital et les autorités ont donc intérêt à ce que la valeur soit élevée.

Or, cette valeur est très difficile à établir. Que vaut le brevet d'un médicament qui n'est pas encore développé et qui pourrait, éventuellement, être commercialisable? " Ce n'est pas toujours clair. C'est souvent une estimation des ventes futures d'un produit qui sera éventuellement sur le marché ", explique M. Bismuth.

Plus le transfert est effectué tôt dans le processus de développement, moins la valeur est grande, car la probabilité que la molécule soit un jour commercialisée est faible. Par exemple, à l'étape des tests sur les animaux, la molécule vaut peu. Par contre, à la phase 3 des tests cliniques sur les humains, juste avant que les autorités approuvent la commercialisation, la valeur du brevet est très grande.

Cette valeur, Revenu Canada l'appelle un prix de transfert. Depuis 1998, les entreprises ont le fardeau de prouver que le prix de transfert accordé à une société apparentée est conforme au marché, explique Gilles Larin, professeur de fiscalité à l'Université de Sherbrooke.

" Cinq ans plus tard, une fois le médicament commercialisé, c'est facile de dire que ça valait beaucoup d'argent. Mais combien ça valait au moment du transfert? ", dit Éric Labelle.

Selon M. Larin, un dossier complexe comme celui Merck Frosst risque de se rendre en Cour suprême, et une décision définitive ne sera donc pas connue avant 5 à 12 ans.

Ce débat sur les prix de transfert entre des filiales d'un même groupe préoccupe beaucoup les gouvernements de par le monde. Gilles Larin donne l'exemple de la pharmaceutique GlaxoSmithKline. L'entreprise a finalement trouvé un terrain d'entente avec le fisc américain, en septembre.

Après 10 ans de débat, la pharmaceutique a accepté de verser 3,4 milliards de dollars US au gouvernement. Le litige, semblable à celui de Merck Frosst au Canada, portait sur les années 1989 à 2005.

Selon nos informations, Merck Frosst n'est pas la seule dans la mire de Revenu Canada. D'autres entreprises pharmaceutiques sont en discussion avec les autorités fiscales sur la question des prix de transfert, selon deux sources.

L'entreprise Merck n'a été guère plus loquace hier que la veille. Ses résultats trimestriels sont toutefois publiés aujourd'hui et il est possible qu'il y soit question du litige, a indiqué Vincent Lamoureux, porte-parole de Merck Frosst.

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