Plusieurs multinationales ont annoncé des licenciements massifs depuis le début de 2007. Bayer, 6100. Airbus, 10 000. Chrysler, 13 000. Pfizer, 10 000. Toujours des chiffres ronds. Mais jamais le portrait réel des pertes d'emplois.

Plusieurs multinationales ont annoncé des licenciements massifs depuis le début de 2007. Bayer, 6100. Airbus, 10 000. Chrysler, 13 000. Pfizer, 10 000. Toujours des chiffres ronds. Mais jamais le portrait réel des pertes d'emplois.

Dave Chartrand, président de la section locale 712 de l'Association internationale des machinistes, travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale (AIMTA-FTQ) s'y connaît en réduction de personnel. Il travaille chez Bombardier.

Depuis cinq ans, son syndicat est passé de 8500 à 5500 membres, au fil de plusieurs vagues d'annonces de licenciements en chiffres ronds.

«En mars 2006, Bombardier a annoncé 500 mises à pied. Dans les faits, il y en a eu environ 325. Mais en annonçant 500 mises à pied, la compagnie a inquiété au moins 3500 personnes», note-t-il.

Pourquoi?

«Inutile de chercher à savoir si on est 499e ou 501e. On ne sait pas quels départements et quels corps de métiers seront touchés. Certains travailleurs peuvent être transférés dans une autre unité. Il faut souvent jusqu'à deux mois avant de pouvoir identifier qui perdra son emploi», explique-t-il.

Dans l'intervalle, c'est l'incertitude et la panique.

«C'est encore pire quand une entreprise annonce des mises à pied échelonnées sur plusieurs mois. Personne n'est capable de suivre ce qui arrive vraiment», ajoute le syndicaliste.

M. Chartrand rappelle que plusieurs gestionnaires de premier niveau sont aussi désemparés que les syndiqués par de telles annonces. «En plus de s'interroger sur leur propre avenir, ils se demandent dans quelles conditions et avec quels effectifs ils devront organiser la production», précise-t-il.

En tentant de concrétiser les grands nombres annoncés, certaines entreprises réalisent qu'elles ont sous-estimé leurs besoins. D'autres héritent de contrats qui annulent les réductions annoncées. Enfin, les syndicats forcent les dirigeants à justifier les coupes et à offrir des compensations aux chômeurs. Tous ces facteurs expliquent les écarts.

«Les raisons qui poussent les dirigeants à faire de telles annonces m'échappent. Ils calculent en grand nombre et toujours plus que leurs besoins réels. Font-ils ça pour les actionnaires?» se demande Dave Chartrand.

Gilles Brosseau, coordonnateur québécois de l'AIMTA, ose répondre. «Mon nez me dit que plusieurs dirigeants procèdent de cette façon pour plaire à leurs actionnaires, pas pour le bien de l'entreprise. Chez Air Canada, nous avons vu ce scénario plusieurs fois après la privatisation. Les coupes étaient toujours plus basses que les chiffres annoncés.»

Délocalisation locale

Aux États-Unis, Circuit City vient d'annoncer le licenciement de 3400 vendeurs. Encore un chiffre rond. La nouveauté est ailleurs.

La chaîne de magasins d'électronique compte les remplacer par le même nombre d'employés, payés moins cher. Les vendeurs actuels pourront toutefois reprendre leur boulot s'ils acceptent ces conditions.

Au Canada, où les lois du travail interdisent l'utilisation de cette méthode, Circuit City étudie la mise en vente de ses magasins La Source. L'action a grimpé de 1,9% après l'annonce.

Comme elle ne peut transférer ses commerces en Inde, Circuit City a décidé de trouver sa main-d'oeuvre à bon marché aux États-Unis, donc de délocaliser localement.

Selon des données des consultants en ressources humaines Vault, les vendeurs actuels gagnent entre 8 $ et 12 $ de l'heure. Dans un communiqué acheminé à ses «associés», Circuit City situe l'écart salarial avec ses concurrents à 51 cents de l'heure. Elle prévoit des économies de 110 millions de dollars américains.

Maurice Lemelin, professeur en gestion des ressources humaines à HEC Montréal, remet en question les avantages, même financiers, de cette approche. «Il y aura réduction des coûts mais qu'en sera-t-il des profits avec des employés moins expérimentés et sans doute moins motivés?» dit-il.

Les nombreux blogueurs qui commentent la nouvelle prévoient également de détérioration du service à la clientèle et rappellent les coûts de recrutement importants liés à l'embauche de 3400 personnes.

«Dans les grandes entreprises, les dirigeants lancent de grands nombres, très souvent sans en mesurer les impacts sur la production et les clients. On constate souvent que les investisseurs boursiers apprécient. L'action monte. Or, réduire les coûts est une chose. Faire des profits en est une autre», note-t-il.

Selon M. Lemelin, lorsque les licenciements sont inévitables, ils devraient se concrétiser rapidement, afin d'éviter qu'il y ait plus d'énergie consacrée aux rumeurs qu'au travail.

«Il est illusoire de penser faire des miracles par la qualité de la communication. C'est ce que l'entreprise met sur la table pour compenser qui compte pour les travailleurs», dit-il.

À qui parle-t-on ?

Marc Sévigny, associé directeur du bureau de Montréal de la firme de relations publiques National, confirme que les entreprises inscrites en Bourse doivent à la fois plaire au marché et maintenir la productivité et le moral des employés lorsqu'elles annoncent des mises à pied ou des licenciements.

«Les données destinées aux investisseurs sont souvent générales. Idéalement, les précisions sur le nombre réel de pertes d'emplois devraient être données très rapidement aux travailleurs concernés. Cette séquence suppose une préparation minutieuse et une logistique importante», note-t-il.

Ce scénario vaut uniquement quand les entreprises savent qui sera remercié. C'est rarement le cas dans les multinationales.