La Bourse est près d'un sommet. La rémunération des dirigeants, gonflée par les options d'achat d'actions, l'est tout autant. Il ne faut donc pas s'étonner que leur salaire se retrouve au coeur de la saison des assemblées annuelles qui s'amorce.

La Bourse est près d'un sommet. La rémunération des dirigeants, gonflée par les options d'achat d'actions, l'est tout autant. Il ne faut donc pas s'étonner que leur salaire se retrouve au coeur de la saison des assemblées annuelles qui s'amorce.

Les banques sont les premières visées. Déjà cette semaine, une série de propositions d'actionnaires a été soumise au vote, lors des assemblées de la Banque CIBC, de la Banque de Montréal et de la Banque Royale.

Le Mouvement d'éduction et de défense des actionnaires (MEDAC) a demandé, entre autres, que la rémunération des dirigeants soit en relation avec le salaire moyen des employés, les coûts de la banque, et ses succès financiers.

Cette année encore, les patrons des banques ont empoché des millions (ex: 5,2 millions pour le patron de la Banque Nationale, 11,4 millions pour celui de la Royale, 9,7 millions pour celui de la Scotia), souligne Yves Michaud, fondateur du MEDAC.

«Henri-Paul Rousseau gagne un million à la Caisse de dépôt. Tout ce qui est un multiple de ça, me paraît déraisonnable», enchaîne le Robin des banques.

Il déplore que les grands investisseurs institutionnels n'exercent pas des pressions plus fortes. «Ils prêchent la vertu, mais ils encouragent le péché», dit-il.

La Caisse prêche la modération en matière de rémunération. Pourquoi ne s'oppose-t-elle pas à la rémunération des dirigeants?

Mais bien au-delà du secteur bancaire, les patrons touchent des salaires astronomiques.

Aux États-Unis, le salaire moyen des patrons des 500 plus grandes sociétés (S&P500) s'élevait à 13,5 millions en 2005, en hausse de 16%. Cela équivaut à 411 fois le salaire moyen des employés, rapporte le Groupe Investissement responsable (GIR), une firme qui gère les droits de vote pour des caisses de retraite.

Au Canada, la rémunération moyenne des patrons des grandes sociétés est de 4,5 millions, selon des données compilées par le Globe and Mail. Tout de même 116 fois la rémunération moyenne des travailleurs au Canada!

Un salaire au mérite

Or, il n'y a pas de lien entre la rémunération des dirigeants et la performance boursière de leur entreprise, selon une étude publiée en mai dernier par le régime de retraite des professeurs de l'Ontario (Teachers).

L'analyse a abouti à un résultat troublant: Les patrons qui ont encaissé les plus fortes augmentations de salaire, n'ont pas réussi à faire grimper les actions de leur entreprise (gain en Bourse et dividende) plus vite que les actions des entreprises du même secteur.

Le GIR pointe des exemples fragrants de divergence entre le salaire du patron et la performance de l'entreprise. Entre autres, le patron de Bell Canada Entreprises a obtenu une augmentation de salaire de 53% cette année. Pourtant l'action a reculé de 3%.

La rémunération du PDG de Petro-Canada a gonflé de 22%. Il est vrai que l'entreprise va bien, à cause de la hausse du prix du pétrole. Mais la performance boursière de Petro-Canada reste 10% inférieure à celle de ses pairs. On peut donc douter de la valeur ajoutée de son dirigeant...

Justement, le MEDAC propose aussi que les options d'achat d'actions allouées aux dirigeants soient alignées sur la valeur économique ajoutée de la banque (cette valeur est obtenue en calculant si les bénéfices augmentent plus rapidement que les dettes).

Les options permettent aux dirigeants d'acquérir des actions de l'entreprise à un prix déterminé à l'avance. Il s'agit d'un outil pour motiver les dirigeants à accroître la performance de la société. Mais lorsque les programmes d'options sont trop généreux, ce sont tous les autres actionnaires dont la participation est diluée.

Voilà pourquoi de plus en plus d'actionnaires minoritaires s'opposent carrément aux régimes d'options excessifs. Par exemple, l'an dernier, environ 10% des actionnaires se sont prononcés contre le régime proposé par Biovail et par le CP.

«Lorsque la dilution est de 5 à 10%, on recommande à nos clients de s'opposer. Même à 2%, on trouve que c'est déjà poussé», dit Olivier Gamache, directeur général du GIR.

D'autres actionnaires s'objectent différemment à la rémunération excessive. «Quand le salaire des dirigeants me paraît trop élevé, nous nous abstenons de voter pour l'élection des membres du conseil d'administration qui font partie du comité de rémunération», explique Diane Boudreault, coordonnatrice du Regroupement pour la responsabilité sociale et l'éthique (RRSE), dont plusieurs membres sont des communautés religieuses.

Elle sait bien que cela n'empêchera pas l'administrateur d'être réélu. Mais elle croit que les votes de protestation envoient un signal aux entreprises.

Sauf que dans la moitié des entreprises canadiennes, il n'est même pas possible d'envoyer ce signal, car l'élection des membres se fait en bloc, plutôt qu'individuellement.

«Ce n'est pas un mode d'élection satisfaisant. Nous en avons discuté avec plusieurs entreprises», dit Laetitia Tankwe, responsable des questions éthiques pour Bâtirente et le fonds de retraite de la CSN.

À force de pression, les habitudes changent... petit à petit. Pour la première fois, en février dernier, le fabricant de chandails Guildan a accepté un mode d'élection individuel. Mais d'autres continuent de s'y opposer. Certaines seront la cible de proposition d'activistes, à cet égard, notamment Power Corp.

Changement de climat

Est-ce à cause de la croisade d'Al Gore contre le réchauffement climatique? Toujours est-il que le climat s'adoucit dans les négociations entre les actionnaires activistes et les grandes entreprises, sur les questions d'environnement.

Chez Transcontinental, une proposition a été retirée avant l'assemblée. On demandait à l'imprimeur d'appuyer l'utilisation d'un papier certifié (FSC) qui est fabriqué en tenant compte du développement durable. «Nous avons été capable d'ouvrir un dialogue», rapporte Diane Boudreault, du RRSE.

Même son de cloche chez Bâtirente qui avait déposé une proposition pour inciter la Banque TD à adopter les principes d'Équateur, c'est-à-dire à prendre en compte les enjeux sociaux et environnement dans le cadre des financements qu'elle accorde.

La proposition a été retirée, à la suite de négociations fructueuses avec la TD. La Banque se garde le plaisir de faire l'annonce bientôt...

Toutefois, Bâtirente maintiendra sa proposition visant à lier la rémunération des dirigeants de la Banque TD à des critères éthiques (réduction des gaz à effet de serre, diversité dans l'emploi, etc.).

«Notre rôle n'est pas de leur imposer un plafond salarial, mais plutôt de viser une rémunération équitable envers les employés et les engagements de la Banque», dit Laetitia Tankwe, de Bâtirente.

La proposition s'appuie sur une étude de Deloitte réalisée l'été dernier : pour maximiser la performance à long terme de l'entreprise, il est préférable que des critères d'évaluation éthique soient inclus dans la formule de rémunération des patrons.

Quel pourcentage des votes la proposition décrochera-t-elle. Le pronostic est difficile à faire, avoue Mme Tankwe. Mais elle rappelle que, l'an dernier, la proposition visant le controversé projet d'Alcan en Inde a remporté un score très élevé de 36%.