" Monsieur, nous ne sommes pas des juniors. Je suis en affaires depuis 1954, vous n'étiez pas né à cette époque. "

" Monsieur, nous ne sommes pas des juniors. Je suis en affaires depuis 1954, vous n'étiez pas né à cette époque. "

Cette réponse de Jean Coutu senior, adressée avec humour mais fermeté à un actionnaire inquiet, résume bien l'esprit qui régnait pendant l'assemblée des actionnaires de la chaîne de pharmacies, hier à Longueuil.

Vêtu de sa traditionnelle blouseblanche, M. Coutu a longuement répondu aux questions et inquiétudes des investisseurs de l'entreprise, pour la plupart liées à la vente des 1858 pharmacies Brooks et Eckerd à l'américaine Rite Aid. Dans la plupart des cas, les réponses du pharmacien ont semblé satisfaire les intervenants.

" Avec ce que Rite Aid nous offre, et ce qu'ils reçoivent en retour, cette transaction est réellement gagnante, ce qu'on appelle vulgairement win-win ", a lancé le PDG de 79 ans devant un parterre rempli à craquer.

Le 24 août dernier, le Groupe Jean Coutu a cédé toutes ses pharmacies américaines à la chaîne Rite Aid pour 3,4 milliards de dollars. Cela inclut 1,1 milliard en actions et la prise en charge d'une dette de 850 millions.

La transaction a généralement été applaudie par les milieux financiers, qui n'en pouvaient plus de voir le cours de l'action de Jean Coutu dégringoler.

Depuis qu'elle a acquis les pharmacies Eckerd en 2004 dans le nord-est des États-Unis, la chaîne québécoise avait toujours peiné à les intégrer dans son réseau et à faire décoller les ventes.

La page est sur le point d'être tournée. Et Jean Coutu ne regrette rien, ou presque. Il ne semblait aucunement amer, hier. Au contraire, l'homme d'affaires a longuement vanté les bénéfices de la transaction intervenue avec Eckerd, comme celui de libérer le Groupe Jean Coutu de ses dettes.

L'affaire n'est toutefois pas encore conclue à 100 % avec Rite Aid, et cela inquiète des investisseurs. CTW Investment Group, une société qui conseille des caisses de retraite syndicales des États-Unis, craint notamment de voir les autorités américaines de la concurrence refuser d'approuver la transaction.

Hier, Brishen Rogers, de CTW, est venu questionner les dirigeants de Jean Coutu à ce sujet. En gros, l'homme a voulu s'assurer que l'entreprise avait suivi toutes les étapes pour que la transaction obtienne le feu vert de la Federal Trade Commission, qui doit se prononcer d'ici février. Rien n'a été laissé au hasard, lui a-t-on répondu. " Nous avons déjà une expertise dans ça, a dit André Belzile, chef des finances. Quant au point de vue juridique, nous avons engagé des gens spécialisés dans ça. "

Les dirigeants de Jean Coutu ont par ailleurs dû répondre à plusieurs questions au sujet de du niveau élevé d'endettement de Rite Aid. Comme Jean Coutu détiendra 32 % des actions de la société américaine, ses résultats seront directement liés à la performance de cette dernière- et à l'état de santé de son bilan financier.

Le ratio d'endettement de Rite Aid ne sera pas plus élevé qu'à l'heure actuelle après la transaction, grâce à l'apport des nouveaux magasins Eckerd au chiffre d'affaires global, a fait valoir la direction. Il aura même diminué un an après la clôture de l'entente, ont-ils prédit.

En gros, a dit Jean Coutu, mieux vaut être actionnaire majoritaire de la troisième chaîne en importance aux États-Unis que quatrième (comme l'est présentement Eckerd en tant qu'entité autonome). Une vision des choses différente de celle qu'il avait il y a quelques années.

" Les chaînes régionales n'ont aucun avenir aux États-Unis, a-t-il dit. C'est le cas de le dire, aux États-Unis, c'est the biggest, the better. On a compris qu'en se mettant ensemble, on pouvait offrir à la population américaine, dans l'Ouest et dans l'Est, le meilleur service. "

Une fois la transaction conclue, le Rite Aid " nouveau " comptera environ 5000 magasins et talonnera les deux principales chaînes américaines, CVS et Walgreen's. Rite Aid sera également en première place dans 32 États pour ce qui est du nombre de magasins.

Et qu'en est-il du Canada, seul pays où Coutu poursuivra désormais des activités? L'entreprise veut y faire des acquisitions, mais les dirigeants ont donné peu de détails à ce sujet hier.

" Ce n'est pas parce que nous n'aurons plus de dette que nous allons nous lancer, nous garrocher sur la première occasion, a dit François Jean Coutu, responsable des activités canadiennes. "

D'ici à la clôture de la transaction en cours, les patrons de la chaîne québécoise ont promis de continuer à investir dans leurs magasins Eckerd aux États-Unis, pour ne pas faire vivre à Rite Aid ce qu'ils ont expérimenté en 2004.

À l'époque, de nombreux pharmaciens ont quitté Eckerd entre le moment où Jean Coutu signé l'entente avec JC Penney (l'ancien propriétaire) et celui où la transaction a été conclue. " Notre fiancée n'était pas celle qu'on pensait ", a illustré Jean Coutu.

Les actionnaires de Rite Aid doivent se prononcer sur la transaction au début de décembre, en assemblée extraordinaire.

Le titre de Jean Coutu a clôturé à 12,73 $ à la Bourse de Toronto, hier, en hausse de 31 cents (+2,5 %).

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