Qu'est-ce qui arrive quand des hommes d'affaires se regardent dans le blanc des yeux en plein tournoi de golf en se disant «C'est plate, le golf» ?

Qu'est-ce qui arrive quand des hommes d'affaires se regardent dans le blanc des yeux en plein tournoi de golf en se disant «C'est plate, le golf» ?

La réponse est l'ACDA - l'Association cycliste en développement des affaires. Ses membres ont troqué le gazon des verts pour le bitume des routes. C'est là que La Presse Affaires les a rejoint.

«On augmente la difficulté et on se lève sur le vélo», commande Pat Wells, l'entraîneur qui dirige notre peloton de cyclistes. Le représentant de La Presse Affaires serre les dents en priant pour que ses mollets ne prennent pas feu, pendant que sa voisine prend discrètement quelques bouffées de sa pompe à asthme.

Une bonne chose que l'entraîneur soit devant le peloton. D'abord parce qu'il ne voit pas les yeux qui lui lancent des flèches. Ensuite, parce que malgré le sadisme apparent, il est gentiment en train de nous tirer.

Nous sommes quelque part près de Lachute — dans une route qui grimpe, faut-il le préciser — en train de participer à la sortie mensuelle de l'ACDA. L'ACDA, c'est l'Association cycliste en développement des affaires. Un groupe qui a décidé de faire son réseautage d'affaires autour du vélo, tournant le dos au terrain de jeu privilégié de ceux qui aiment parler business: les clubs de golf.

Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Mais ça manquait probablement d'acide lactique à leur goût. «Dans le domaine du prêt hypothécaire, il y avait toujours un tournoi de golf. On y allait par défaut, par dépit – on n'avait pas le choix», dit Gilles Dionne, un des membres fondateurs de l'ACDA qui, quand il ne pédale pas, est courtier hypothécaire à son compte.

Pas le choix, parce que bouder le tournoi de golf, c'est se priver du fameux «réseautage d'affaires». Une occasion d'entretenir son réseau de contacts ou d'en créer de nouveaux. Jusqu'au jour où M. Dionne et deux de ses copains décident qu'il y a moyen de faire ça autrement. Ils rangent leurs polos blancs, lancent leurs bâtons dans le fond du garage. Et fondent l'ACDA,

«L'idée était vraiment de calquer le réseautage du golf, mais autour d'un sport différent, explique Pierre Gagnon, un autre des fondateurs de l'association qui est conseiller principal, vice-présidence administration, chez Desjardins Gestion d'Actifs. On s'est dit que ça pourrait passer en autant que c'était présenté dans un cadre assez sérieux et structuré.»

C'était en 1996. Onze ans plus tard, l'ACDA compte plus de 200 membres. Ils sont courtiers, banquiers, avocats, ingénieurs. Tous les troisièmes mercredis du mois, ils se réunissent pour pédaler un parcours de 70 à 90 kilomètres dans un coin pas trop éloigné de Montréal. Et établir des contacts qui peuvent s'avérer payant sur le plan professionnel.

Les sorties sont réglées au quart de tour. D'abord, le vélo. Et pour les membres de l'ACDA, c'est du sérieux. «Regarde. On ne va pas juste se promener», avait averti Gilles Dionne. Ici, on roule sur de petites bombes en carbone qui valent parfois le prix d'une voiture. Ceux qui transpirent dessus sont souvent d'anciens coureurs. L'aspect performance est omniprésent.

Cette année, l'association s'est même payée les services d'un entraîneur professionnel – celui-là même qui nous fait souffrir dans les côtes – pour les membres intéressés à améliorer leur coup de pédale ou leur comportement en peloton.

«Plus le calibre monte, plus le niveau intellectuel baisse, observe en rigolant Gilles Dionne. On assoie les gars sur une scelle et on a l'impression que la testostérone remplace le sang dans le cerveau.»

Les filles? Considérant que le bassin de membres provient du milieu des affaires et qu'il faut être malade de vélo pour joindre l'ACDA, Pierre Gagnon se réjouit du fait qu'elles représentent maintenant 25% des membres. Et pas les moindres. «Dominique Coderre a gagné la montée du Mont Washington. Annick-Isabelle Marcoux a été championne provinciale. Lyne Bessette est déjà venue rouler avec nous. Ça donne le style», dit M. Gagnon.

Deux heures après le départ, les premiers pelotons arrivent à destination – cette fois, c'est le Domaine Chatham, à Brownsburg-Chatham, qui accueille les quelque 75 cyclistes qui ont bravé les côtes. Les cuissards de vélo luisants de sueur sont abandonnés au profit des maillots de bain, question d'aller piquer une tête dans le bras de rivière qui borde la propriété. Après s'être défoncé sur l'asphalte sous le soleil de juillet, ça ressemble drôlement au bonheur.

Les hôtes, pendant ce temps, s'occupent des athlètes. Solange distribue les brochettes de fruits frais tandis que Jean-Pierre s'installe à la table à massage pour délier les mollets fatigués.

Nourrissante, hydratante, la bière est le breuvage idéal pour revigorer les cyclistes. Mais ici, c'est une excellente sans alcool – la Bitburger – qui est à l'honneur. «Tu peux la descendre un peu trop vite et ce n'est pas grave», explique Pierre Gagnon.

Les méchouis tournent sur les broches, les tables s'installent à l'extérieur. On mange d'un bon appétit en discutant, pendant qu'on fait tirer des maillots de vélo. Sylvie Berthiaume reçoit finalement son trophée soulignant son assiduité aux sorties de l'ACDA. On voulait lui donner lors de la sortie précédente... mais elle était absente.

Les organisateurs s'en font un point d'honneur: à 20h30, le café est sur les tables et les participants libres de quitter. Parce que demain, le bureau les attend. Les derniers membres quittent à 21h00. Cinq minutes plus tard, l'orage qu'on a redouté toute la journée éclate à grand fracas. «L'organisation, mon gars, triomphe Pierre Gagnon. L'ACDA, c'est ça.»