Le plus gros chantier hospitalier de pointe en Amérique du Nord devrait être lancé à Montréal l'été prochain, avec la construction de deux hôpitaux universitaires. L'un anglophone - le CUSM, rattaché à l'Université McGill - et l'autre francophone - le CHUM, rattaché à l'Université de Montréal. Le CHUM doit donner naissance à un vaste Quartier de la santé au coeur de la ville. Le pari : maximiser l'impact des fonds publics en attirant chercheurs et investisseurs internationaux. Mais comment y arriver ?

Le plus gros chantier hospitalier de pointe en Amérique du Nord devrait être lancé à Montréal l'été prochain, avec la construction de deux hôpitaux universitaires. L'un anglophone - le CUSM, rattaché à l'Université McGill - et l'autre francophone - le CHUM, rattaché à l'Université de Montréal. Le CHUM doit donner naissance à un vaste Quartier de la santé au coeur de la ville. Le pari : maximiser l'impact des fonds publics en attirant chercheurs et investisseurs internationaux. Mais comment y arriver ?

En sciences de la santé, la concurrence est féroce pour attirer les talents et les capitaux de la planète.

En quelques années et à coup de milliards en investissement publics, Singapour est sorti subitement de l'obscurantisme biotechnologique pour devenir l'un des pôles mondiaux de la recherche en cellules souches. Il en est de même pour l'Inde et la Chine. Ces pays attirent de plus en plus les multinationales pharmaceutiques, qui y établissent leurs laboratoires de recherche et développement (R&D).

Pendant que le gouvernement québécois annonce des dépenses de 3,6 milliards dans la construction des nouveaux centres hospitaliers universitaires, la question de la compétitivité internationale est au coeur des préoccupations des dirigeants du technopôle Ville-Marie. L'organisme à but non lucratif, incorporé au printemps dernier, a pour seule mission de stimuler les investissements et multiplier les retombées économiques au centre-ville de Montréal.

"Tout l'investissement, la création d'emplois et de richesse, on veut les faire à partir du travail des chercheurs", explique Guy Gélineau, le directeur du Technopôle. Son équipe inclut le vice-recteur à la recherche de l'Université de Montréal, Jacques Turgeon, des promoteurs immobiliers, ainsi que des représentants de la Caisse de dépôt et placement et de la Société générale de financement.

Leur but: s'installer le plus près possible du futur CHUM afin de faciliter la collaboration entre le milieu universitaire et le secteur privé. "Lorsqu'on permet à la recherche d'être plus près de ses applications, on augmente les chances qu'elle ait une valeur commerciale", explique Michel Leblanc, vice-président sciences de la santé pour Montréal International, et partenaire actif dans le projet du technopôle.

En stimulant l'investissement privé dans le secteur de l'actuel hôpital Saint-Luc, un peu à l'est de Saint-Laurent, la société espère non seulement maximiser les retombées économiques du mégaprojet hospitalier mais aussi revivifier ce quartier de Montréal. Un objectif qui rejoint bien celui de la chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). "On n'a pas besoin de regarder longtemps le périmètre dans lequel le technopôle va s'implanter. C'est clair qu'on fait de la revitalisation urbaine", dit Isabelle Hudon, présidente de l'organisme, en désignant la portion à ciel ouvert de l'autoroute Ville-Marie entre le palais de justice et le Quartier chinois.

Trois phases

En trois phases, le technopôle entend y installer son "Centre international d'innovation thérapeutique". La phase 1 du projet comprend un édifice de 35000 m2, d'une valeur de 75 millions de dollars. Il doit être situé directement au-dessus de la station de métro Champ-de-Mars, au coin des rues Sanguinet et Viger. Cet édifice pourrait même être prêt avant l'inauguration du CHUM, prévue pour 2011 selon les plans actuels.

Les phases 2 et 3 seraient édifiées au-dessus de l'autoroute Ville-Marie, dans la partie à ciel ouvert.

La somme des capitaux privés recueillis sous la bannière du Technopôle Ville-Marie dépasse maintenant les 500 millions de dollars. Les deux tiers sont gérés par le promoteur immobilier Philip O'Brien. Sa compagnie, Développement Télémédia, vient d'acquérir le site historique de la gare-hôtel Viger, situé au 700, rue Saint-Antoine, auquel il entend redonner sa vocation hôtelière et profiter ainsi de la proximité du futur CHUM.

L'engouement autour du futur Quartier de la santé montréalais n'est pas sans rappeler le MaRS Discovery District, son émule torontois. La phase 1 de MaRS, qui a été inaugurée en mai 2005, accueille déjà deux douzaines de petites entreprises et des dizaines d'organismes. Ils profitent de l'interaction avec le milieu de la recherche clinique grâce à leur situation géographique enviable, en plein coeur du quartier des hôpitaux au centre-ville de la métropole canadienne.

"Nos locaux sont occupés à plus de 90% de leur capacité et nous prévoyons doubler notre superficie d'ici 2008", explique Ross Wallace, directeur de stratégie corporative pour le projet MaRS. Avec ses deux années d'avance sur Montréal, le quartier torontois est un bon étalon de comparaison pour les investisseurs du Technopôle Ville-Marie. Mais est-il une garantie de succès?

Jusqu'à maintenant, aucune compagnie n'a été pressentie pour emménager sur le site avoisinant le nouveau CHUM. Aucune étude n'a chiffré les retombées économiques d'un tel projet. La machine du Technopôle carbure à l'optimisme et à la "vision" tant qu'elle n'aura pas structuré son plan d'affaires.

C'est dans ce but que l'organisme s'est adressé à Pierre Marc Johnson, ancien premier ministre du Québec, pour occuper la présidence de son conseil d'administration. Ses deux mandats à court terme: "compléter la constitution du conseil et élaborer avec celui-ci un plan d'affaires qui positionne le Technopôle Ville-Marie à l'échelle internationale", a-t-il déclaré le mois dernier. D'ailleurs, l'équipe reçoit présentement des propositions qui lui permettront de sélectionner une firme de consultants - de calibre mondial dit-on - afin d'épauler Technopôle Ville-Marie.

La région montréalaise ne part pas de rien. Son positionnement en matière de recherche biomédicale est déjà fort. Selon l'étude préliminaire Secor-Taktik, déposée l'an dernier, Montréal se classe au huitième rang mondial (juste derrière Toronto) par sa taille dans le secteur des biotechnologies: 40000 emplois directs appuyés par des investissements annuels de 500 millions de dollars.

Rien n'est gagné pour autant. Pour tirer son épingle du jeu, Montréal doit bien jouer ses atouts. "Nous tenons mordicus à attirer des compagnies dans les niches bien spécifiques où nous possédons une expertise. Il ne faut surtout pas nous éparpiller", soutient Isabelle Hudon.

Selon Michel Leblanc, la métropole québécoise constitue l'une des rares "grappes de recherche intégrées" au monde. "Montréal est une véritable école de développement de médicaments", affirme-t-il. Autrement dit, de la recherche fondamentale aux essais cliniques, toute la chaîne nécessaire au développement d'une nouvelle molécule thérapeutique est présente dans la région. "En fait, c'est la seule ville qui possède des centres de recherches précliniques au Canada: chez Merck Frosst, Boehringer Ingelheim et Astra Zeneca", fait valoir Charles Kaplan, directeur de la R&D chez Astra Zeneca.

Le grand défi du Technopôle demeure donc de faciliter la collaboration entre les chercheurs et le secteur privé. Tout d'abord pour créer des entreprises par essaimage (spin off), ou pour tester des médicaments en phase clinique. L'expertise ainsi acquise pourra peut-être attirer l'attention des Johnson&Johnson et Novartis de ce monde. "C'est le pari qu'on fait, explique Michel Leblanc. On a des équipes de recherche de calibre mondial. Si on est capable de jouer nos cartes comme il faut, on va attirer ici un, deux ou trois grands labos sur une période de 10 ans. Déjà ça, ce serait génial."

Chez Merck Frosst, qui compte plus de mille employés à Montréal, on voit tout ce branle-bas d'un bon oeil. "Dans le projet du Technopôle, explique Jean-Luc Blais, directeur des communications, on voit enfin que la santé n'est pas qu'une dépense, mais aussi un investissement dans la société."

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