Entrouvrons la porte. Jetons un discret coup d'oeil sur les soins de santé privés. Quels sont les services, les motivations, les coûts ? Après tout, une saine curiosité ne peut pas faire de mal. Et ça ne coûte rien de regarder l'étalage.

Entrouvrons la porte. Jetons un discret coup d'oeil sur les soins de santé privés. Quels sont les services, les motivations, les coûts ? Après tout, une saine curiosité ne peut pas faire de mal. Et ça ne coûte rien de regarder l'étalage.

Un hallux residus fait aussi mal que son nom le laisse entendre. Ce problème articulaire à l'orteil, très douloureux, est provoqué par l'arthrose.

Le 7 septembre dernier, Marie Marsolais a subi une intervention chirurgicale au pied pour soulager cette affection. Dans le réseau public, le délai d'attente peut atteindre deux ans.

Elle n'avait rencontré son chirurgien orthopédiste que quelques semaines auparavant. Mais il s'agissait d'un médecin qui s'était retiré du régime public.

Marie Marsolais a déboursé 2300 $ pour l 'intervention. " L'avantage, c'est que j'ai choisi la date ", confie-t-elle.

Les délais et la réputation du médecin ont joué à parts égales dans sa décision. " À un moment, on n'a pas le choix. Avec les souffrances et les complications qui sont occasionnées par les délais, c'est la qualité de vie qui en souffre. Une fois qu'on est entré dans le système public, les soins sont très bons. Mais il faut y entrer. "

Les médecins, eux, semblent de plus en plus nombreux à en sortir.

"Il y a très peu de médecins dans le privé-privé", soutient néanmoins le D r Jean Rodrigue, porte-parole de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Une centaine de leurs 15 000 membres ne sont pas affiliés à la RAMQ, estime-t-il. Mais leur nombre augmente.

La chercheuse Joanne Castonguay, directrice de projet au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), s'était penchée sur cette question, il y a un an et demi.

"En 1998, 47 omnipraticiens exerçaient hors RAMQ, constate-t-elle. Ils étaient 80 en 2004."

Chez les médecins spécialistes, environ 50 médecins pratiquent hors des sentiers battus, sur les 8000 spécialistes patentés.

"C'est tout à fait marginal ", insiste lui aussi le D r Louis Morazain, vice-président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec.

En fait , le phénomène se concentre principalement dans trois domaines de pratique, parmi la trentaine de spécialités: l'orthopédie, l'ophtalmologie et la chirurgie plastique.

Pour être rentables, les interventions doivent avoir le bon degré de fréquence, de simplicité et d'attente dans le réseau public.

"La chirurgie cardiaque, il faut oublier ça dans le privé au bureau du coin, lance le D r Morazain. Ça prend un environnement beaucoup plus important. "

Les frais sont à vos frais

Tous ces frais pour des actes médicaux achetés au privé alors qu'ils sont assurés pas la RAMQ ne peuvent être remboursés par la RAMQ. Ils ne peuvent non plus être remboursés par un assureur privé.

Mais c'est la porte que veut entrouvrir le projet de loi 33, présentement en commission parlementaire, qui autoriserait les assureurs privés à rembourser ces frais dans les uniques cas d'interventions au genou et à la hanche, et de traitement des cataractes.

Quand ça fait plus mal au corps qu'au portefeuille...

L'orthopédiste Nicolas Duval croit à la surspécialisation... et au travail à la chaîne.

"L'idée de base, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de temps pour opérer dans le réseau public, soutient-il. Pour augmenter le volume sans trop augmenter le coût, il faut être très spécialisé et faire toujours la même chose."

En 2006, il aura pratiqué quelque 500 interventions chirurgicales orthopédiques. À lui seul. Et pas des petites: mise en place de prothèses de la hanche et du genou. "Les chirurgies de la hanche et du genou sont à peu de chose près pareilles d'un patient à un autre, dit-il. Il y a une réduction de coûts."

De tous les médecins non participants, le Dr Nicolas Duval est peut-être celui qui a poussé le principe des soins privés le plus loin. Au début 2003, il a racheté un centre d'hébergement qu'il a transformé en clinique spécialisée de 17 lits.

C'était nécessaire: la période de récupération des interventions qu'il pratique peut atteindre 10 jours, que son patient passera dans sa clinique.

Combien, dites-vous?

Voilà: 12 000 $ pour une prothèse de la hanche, 13 000 $ pour une prothèse du genou.

Pour l'instant, sur 220 orthopédistes actifs au Québec, trois seuls pratiquent exclusivement au privé. Chacun se consacre à quelques spécialités bien précises: pied, genou et hanche, épaule.

"Ils doivent être sélectifs, indique le Dr Pierre Lavallée, président de l'Association d'orthopédie du Québec. Les patients les plus malades resteront dans le système public."

Ainsi, le Dr André Perreault, fondateur de la Clinique de chirurgie du pied de Montréal, ne pratique que des interventions au pied, à la cheville et à la main. "Le gros avantage, c'est qu'elles se font sous anesthésie locorégionale, sans anesthésie générale", fait-il valoir.

Non participant depuis quatre ans, il pratique 400 à 450 interventions par année. Une intervention au pied pour un hallux valgus -ou oignon, en termes potagers- coûte environ 2000 $.

Il n'a pas fait ce pas pour une question d'argent, assure-t-il. "C'est quatre 30 sous pour une piastre. C'était d'abord une question d'insatisfaction. J'avais une liste d'attente de deux ans."

Une attente trop longue entraîne des risques que la condition du patient se détériore jusqu'à devenir irréversible. C'est d'ailleurs ce qui a incité le Dr Marc Beauchamp à quitter lui aussi le réseau public, en septembre 2005.

"J'ai tiré la plogue quand j'ai opéré quelques patients consécutifs qui étaient rendus à un stade irréversible, alors qu'ils ne l'étaient pas quand je les avais vus, un an auparavant."

Il se spécialise dans les chirurgies aux épaules. Une chirurgie de reconstruction arthroscopique de l'épaule coûte entre 4500 et 6000 $. Il y a un an, le Dr Beauchamp pratiquait quatre ou cinq interventions par jour. Il en fait aujourd'hui jusqu'à neuf.

Des patients impatients

Une médecine privée pour les riches? La majorité de la clientèle provient pourtant de la classe moyenne. " Les gens font un choix, indique le Dr Marc Beauchamp : est-ce qu'on investit dans notre santé ou on fait un voyage dans le Sud?"

Certains commencent à prévoir des fonds en conséquence, observe-t-il. "Même ceux que j'ai déjà opéré commencent à mettre des sous de côté au cas où, dans cinq ou dix ans, ils auraient besoin d'une autre chirurgie dans le milieu privé."

Une nouvelle tendance se répand dans les entreprises, ajoute-t-il. Un cadre supérieur ou un bon employé qui voit son efficacité réduite en raison d'un ennui de santé pour lequel il attend des soins peut se faire offrir des services dans le privé.

Dans d'autres cas, c'est la famille d'un parent âgé qui se cotisera pour lui offrir une chirurgie. "Ils reviennent deux ou trois semaines après la première consultation, après un conseil de famille", narre le Dr Beauchamp.

Autre phénomène: la publicité négative entourant les maladies nosocomiales dans les hôpitaux draine des patients inquiets vers les services privés.