Ça va encore trop bien, misère. L’économie progresse encore à un rythme trop soutenu pour que l’inflation dégonfle durablement, selon ce qu’on décode du message de la Banque du Canada. Mais est-ce bien le cas ?

En haussant son taux directeur de 0,25 point de pourcentage, la Banque montre sa détermination à mater les prix et à ramener l’inflation annuelle autour de 2 %. Elle ne se gêne pas malgré les effets de ce geste sur les paiements hypothécaires des ménages, malgré l’impact négatif sur les mises en chantier et le logement, pourtant en crise.

« La Banque a peur d’avoir perdu sa crédibilité, elle veut renforcer sa crédibilité », croit l’expert Steven Ambler, professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Le taux directeur n’avait pas augmenté depuis six mois. Il passe à 4,75 % et pourrait même augmenter d’un autre quart de point de pourcentage en juillet, lors de la prochaine décision, selon ce que prévoient trois des quatre économistes consultés. Il rejoindrait ainsi le niveau américain – qui navigue actuellement dans une fourchette de 5 %-5,25 % –, à moins que ce dernier n’augmente encore d’ici là.

Ce qui alimente cette peur de la Banque ? D’abord, le taux d’inflation d’avril, qui a été plus important que prévu et en hausse sur mars de 0,1 point, à 4,4 %. Quoi, l’inflation est de retour ?

Ensuite, la forte croissance du PIB canadien au premier trimestre (0,7 %), à laquelle s’ajoute le chiffre préliminaire de croissance du PIB pour le mois d’avril (0,2 %), étonnamment fort malgré la grève au fédéral et la crise du verglas. Les ménages dépensent et le marché immobilier reprend du poil de la bête.

À ce portrait s’ajoute la croissance des exportations canadiennes en avril, publiée mercredi, au même moment que l’annonce de la Banque du Canada. Elles ont progressé de 2,8 % en avril pour atteindre un niveau record historique. L’excédent commercial avec les États-Unis est passé de 7,2 à 9,5 milliards, ce qui constitue un sommet en huit mois, selon le service économique de la Banque Nationale.

Bref, on est loin d’une décroissance (sous la barre du 0 %), comme on peut le voir dans ce graphique.

Il y a un an, je posais une question honnie en chronique, demandant s’il faudrait provoquer une récession pour mater l’inflation. Un an plus tard, les économistes repoussent toujours plus loin les perspectives d’une récession, en supposant qu’elle ait bien lieu.

L’automne dernier, le Mouvement Desjardins voyait une récession au premier trimestre de 2023 dans sa boule de cristal. Cette prévision est passée au deuxième trimestre de 2023, puis au troisième trimestre. Et la semaine prochaine, Desjardins n’exclut pas de reporter encore le moment fatidique lors de son pow-wow prévisionnel.

De son côté, la Banque Nationale s’attend à une légère contraction de l’économie au quatrième trimestre de 2023 et au début de 2024, ce qui fera monter le taux de chômage autour de 6 % au Canada (il est actuellement de 5 %).

Un mirage ?

Mais cette belle tenue récente de l’économie, est-ce un mirage ?

La poussée de l’économie au premier trimestre est essentiellement attribuable au mois de janvier, déjà loin. Le taux de postes vacants a fondu, signe du ralentissement du marché du travail. En plus, le revenu disponible des ménages a reculé au premier trimestre, la productivité de l’économie est très faible et l’investissement des entreprises est anémique, constate l’économiste Steven Ambler, de l’UQAM.

Dans une analyse publiée avec deux autres experts, dont nul autre que l’ex-gouverneur de la Banque du Canada David Dodge, Steven Ambler constate que la quantité de monnaie qui circule dans l’économie décroît rapidement, signe précurseur du dégonflement marquant de l’inflation.

« Il y avait certainement des motifs à l’appui de la décision de la Banque d’augmenter le taux directeur. À notre avis, cependant, une inversion d’un mois dans la trajectoire descendante de l’inflation globale (en avril) ne crée pas une nouvelle tendance », écrivent les économistes, qui auraient maintenu le taux stable, à la lumière des autres éléments divergents.

L’économiste Benoit Durocher, de Desjardins, rappelle que l’impact des hausses de taux d’intérêt prend de 18 à 24 mois à faire sentir son plein effet, et on ne serait donc qu’au début de l’impact.

Ça va encore trop bien, mais est-ce bien le cas ? Avons-nous les yeux dans le rétroviseur ? Avons-nous atteint un tournant, qui se reflétera dans les données des prochains mois, avec une inflation à la baisse ?