Rebaptiser une entreprise qui fait partie du paysage depuis 63 ans, ce n’est pas banal. Surtout quand on a dépensé des dizaines de millions pour la faire connaître, à coup de publicités à la télé et dans les journaux.

Mais on ne verra plus ce couple qui magasine chez Brault & Martineau à la recherche d’une aubaine incroyable et de paiement échelonné sans intérêts. Cette époque est révolue.

Les 11 magasins changent de nom, a-t-on appris mardi matin, et tous leurs logos seront changés en à peine 72 heures. Ils deviennent des Tanguay, une enseigne fondée à Lévis en 1961 par l’homme d’affaires et philanthrope feu Maurice Tanguay. Les cinq EconoMax et les deux Liquida Meubles subissent le même sort et sont renommés Tanguay L’Entrepôt. En ligne, le changement est déjà visible. « Vous bénéficiez maintenant des valeurs familiales et du service exceptionnel qu’offre Tanguay depuis 60 ans », précise le site de Brault & Martineau.

C’est justement avec son service à la clientèle que Tanguay a bâti sa réputation. Brault & Martineau a plutôt misé sur ses prix, comme en témoignent ses slogans récents : « Là où la qualité n’est pas un obstacle aux bas prix » et « Pour le meilleur et pour le prix ».

Malgré leurs différences – certains diront qu’elles sont aux antipodes –, les deux chaînes de magasins sont chapeautées depuis 1987 par la même entité, le Groupe BMTC. Depuis le début, cette société avait maintenu le Québec séparé en deux. Tanguay couvrait l’est de la province, Brault & Martineau l’ouest. « Cette division-là, on ne la veut plus. On casse le mur », m’a dit la présidente et chef de la direction du Groupe BMTC, Marie-Berthe Des Groseillers.

PHOTO FOURNIE PAR BMTC

La succursale du magasin Tanguay de Sainte-Rose, à Laval, porte les nouvelles couleurs du détaillant.

Dès qu’elle a pris la tête de BMTC, en 2018, Marie-Berthe Des Groseillers s’est mise à réfléchir à la possibilité de ne plus exploiter plusieurs enseignes, ce qui multipliait les coûts de toutes sortes. Trois ans d’analyses ont permis de conclure que le concept développé par Tanguay avait un « potentiel d’expansion plus grand » que celui de Brault & Martineau.

« Avec la pandémie, Tanguay a pris un virage assez drastique. On est passé de la vente d’électroménagers, de meubles, d’électronique et de matelas à un “tout pour la maison”. Un one stop shop pour la maison, avec une variété de prix, de l’entrée de gamme au très haut de gamme », relate Marie-Berthe Des Groseillers.

C’est ainsi que de nouvelles catégories parfois étonnantes ont été ajoutées sur le site web, comme les produits pour les animaux, du coussin pour chien à la gamelle en passant par le sac de transport. On y trouve aussi une foule de trucs pour faire du camping (glacières, tentes, lampes frontales), pour pratiquer un sport (vélos, planches de surf) ou prendre soin de bébé (chauffe-biberon, poussettes, sièges d’auto).

Depuis, la publicité des neuf Tanguay mise sur le fait que le détaillant vend 30 000 produits, ce qui est énorme. Ceux qui sont attentifs en écoutant la radio savent que les messages de Brault & Martineau disent exactement la même chose… Car dans l’arrière-boutique, la fusion était déjà chose faite. D’ailleurs, les deux chaînes de magasins partagent le même système informatique depuis décembre.

Impossible toutefois de connaître les impacts financiers de la stratégie de diversification adoptée par Tanguay. Marie-Berthe Des Groseillers n’a pas voulu préciser quel pourcentage des ventes est réalisé en ligne ni comparer la rentabilité de Tanguay et Brault & Martineau. « Les deux performaient très bien », a-t-elle résumé.

Dans la région de Montréal, le nom Tanguay n’évoque pas grand-chose. Un effort considérable devra y être fait pour bâtir le capital de cette marque. Dans l’intervalle, il y a « un danger de perdre de la clientèle », croit Myriam Brouard, professeure de marketing à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa.

Au moins, on n’aura pas à combattre un attachement monstre à la marque comme si on décidait de changer le nom d’Hydro-Québec ou celui des supermarchés Metro. Brault & Martineau avait une image un peu ringarde et sa réputation en matière de service a été maintes fois écorchée. Celle de Tanguay est bien plus enviable. D’ailleurs, le dernier palmarès Wow de Léger sur les marques les plus aimées plaçait Tanguay au 24rang, Brault & Martineau au 81e, et EconoMax au 195e.

PHOTO FOURNIE PAR BMTC

Marie-Berthe Des Groseillers, présidente et chef de la direction du Groupe BMTC, et Charles Tanguay, président de Tanguay

En 2020, une enquête du magazine Protégez-vous sur le niveau de satisfaction des clients des magasins vendant des matelas avait placé Ameublements Tanguay parmi les champions. Brault & Martineau arrivait plutôt avant-dernier. Si l’on en croit Charles Tanguay, qui dirige la destinée de la chaîne fondée par son grand-père, la clientèle de l’ouest du Québec aura droit à une expérience client renouvelée grâce à la formation du personnel. Ça ne pourra qu’être bien accueilli.

De plus, en prenant le nom connu et existant de Tanguay, « il n’y aura pas de débat sur le nouveau nom », souligne le président de l’agence de communication Havas Montréal, Stéphane Mailhiot. Rappelez-vous la grogne quand l’Impact de Montréal a adopté le nom CF Montréal et les commentaires lorsque Gaz Metro est devenu Énergir.

Cela dit, les habitudes mettent du temps à changer. Les magasins Club Price sont devenus des Costco en 1997. Encore aujourd’hui, on entend des gens parlent de leurs achats chez Club Price. Regardez-vous encore TQS ? La station de télévision a abandonné ce nom en 2009.

Les nostalgiques de Brault & Martineau pourront toujours aller sur YouTube revoir ses publicités. En plus de renouer avec les couples de l’époque, l’exercice permet de se rappeler qu’en 2000, une télévision stéréo 32 pouces ne coûtait pas moins de… 899 $ en solde ! En pleine flambée inflationniste, voilà un rare prix apaisant pour l’esprit.

L’histoire jusqu’ici ?

  • 1960 : Ouverture par Denis Brault et Robert Martineau de leur premier magasin de meubles et d’électroménagers à Montréal
  • 1961 : Ouverture par Maurice Tanguay d’un premier magasin de meubles à Lévis
  • 1986 : Achat par Cantrex – alors présidé par Yves Des Groseillers, père de Marie-Berthe – de Brault & Martineau
  • 1987 : Acquision d’Ameublements Tanguay, de Québec
  • 1988 : Acquisition d’Ameublement Colonial, d’Ottawa
  • 1989 : Adoption par Cantrex du nom Groupe BMTC (Brault, Martineau, Tanguay, Colonial)
  • 2000 : Vente d’Ameublement Colonial
  • 2012 : Création de l’enseigne EconoMax
  • 2023 : Disparition de Brault & Martineau et d’EconoMax au profit du nom Tanguay