La prétendue cupidité des détaillants en alimentation est la source de nombreux débats depuis un an, tant dans les chaumières qu’au Parlement à Ottawa. Les résultats financiers de Loblaw, dévoilés mercredi, ne feront probablement pas taire les critiques. Mais ils permettent de mettre les projecteurs sur les grandes multinationales qui ont réussi jusqu’ici à passer sous le radar des consommateurs.

Quand on fait son épicerie et que tout est plus cher, soupirer en sortant sa carte de crédit ne suffit pas. On veut trouver un coupable. Savoir qui, au juste, nous force à revoir notre budget, un exercice plutôt désagréable.

On connaît bien les chaînes de supermarchés, leurs succursales font partie de notre quotidien, et ce sont elles qui fixent les prix de détail. C’est ainsi qu’elles sont devenues, tout naturellement, les boucs émissaires de l’inflation alimentaire. Leurs hauts dirigeants ont même été forcés d’expliquer à des députés fédéraux sceptiques et acharnés ce qui provoque les hausses du prix des aliments.

Quelqu’un a-t-il vraiment cru une seconde qu’on entendrait ces hommes admettre qu’ils ambitionnent au bénéfice des actionnaires ?

Sans surprise, ils ont plutôt parlé de la guerre en Ukraine, de la hausse des salaires, des coûts de transport, des changements climatiques et du bond des prix de gros. Ils ont tous nié que les profits engrangés par la vente de nourriture avaient explosé ; les millions additionnels proviendraient plutôt de leurs pharmacies, ce qu’on ne peut malheureusement pas vérifier dans leurs états financiers.

Pendant ce temps, personne ne posait de questions aux grandes multinationales comme Danone, Nestlé, Pepsi, Unilever, Procter & Gamble et Mondelez, par exemple. Ces entreprises, qui contrôlent chacune de nombreuses marques et fabriquent une pléiade de produits, remplissent une bonne partie de l’espace dans les épiceries.

Elles leur refilent aussi des hausses de coûts significatives, ai-je constaté en épluchant leurs plus récents états financiers pour voir comment elles composent avec l’inflation.

Ces géants du secteur des biens de grande consommation (CPG, dans le jargon, pour consumer packaged goods) ont tous augmenté leurs prix d’au moins 10 %. Dans le cas de Mondelez, les consommateurs sont quand même au rendez-vous, puisque les ventes ont crû de 18,1 % à l’échelle internationale. En Amérique du Nord, le bond est encore plus impressionnant : 26,8 %.

Nestlé et Procter & Gamble, en revanche, ont subi une baisse de leur volume de vente. Danone et Unilever composent pour leur part avec une stabilité.

Un peu partout dans le monde, les consommateurs qui tentent de respecter leur budget se tournent vers les marques maison des épiceries. Chez Loblaw, les ventes de produits no name augmentent deux fois plus vite que celles de leurs équivalents affichant des marques nationales. Le secteur des CPG est frappé par un autre phénomène : une baisse des achats généralisée qui touche notamment les produits non essentiels, comme les croustilles, les biscuits et le chocolat.

Cela toutefois n’empêche pas les multinationales de faire des affaires d’or… grâce aux hausses de prix. Leurs prévisions pour 2023 sont d’ailleurs enviables.

Ces hausses de prix très visibles pour les consommateurs n’épargnent pas les détaillants.

Chez Loblaw, on juge particulièrement inquiétantes « les augmentations de coûts excessives » que les grandes entreprises mondiales de biens de consommation continuent de lui demander.

Celles-ci « dépassent ce à quoi nous pourrions nous attendre à ce stade », a indiqué le chef de la direction financière Richard Dufresne au cours d’une téléconférence visant à commenter les résultats du premier trimestre. Le président Galen Weston a même ajouté que les multinationales haussent davantage leurs prix que ses petits et moyens fournisseurs.

En quatre mois, soit depuis le début de l’année, les hausses de prix des fournisseurs ont totalisé pour Loblaw une facture d’un milliard de dollars. En d’autres mots, l’entreprise a dû débourser un milliard de plus pour acquérir les mêmes biens qu’au cours de la période correspondante en 2022. Cette hausse est deux fois plus élevée que « la norme historique annuelle », a précisé Richard Dufresne. Avant la pandémie, l’augmentation annuelle était d’environ 400 millions de dollars.

Pour l’ensemble de 2022, Loblaw avait subi une hausse de ses coûts de deux milliards par rapport à 2021. C’est donc dire que la hausse de cette année est plus rapide. Aïe !

Selon Statistique Canada, l’inflation alimentaire s’est établie à 10,4 % en janvier, 10,6 % en février et 9,7 % en mars. Reste à voir si l’apaisement survenu en mars se poursuivra.

Tous ceux qui croient que les supermarchés exagèrent auront encore de quoi se mettre sous la dent dans les prochains mois, de toute évidence. Car Loblaw s’attend à ce que ses ventes au détail, en 2023, dégagent « une croissance du bénéfice plus élevée que celle du chiffre d'affaires ». Il sera intéressant de voir si cette hausse de la marge de profit sera aussi élevée que celle de ses plus grands fournisseurs.

Un bénéfice en baisse

Loblaw a de nouveau affiché un chiffre d’affaires en hausse, cette fois de 5,7 % ou 690 millions de dollars. Ses ventes au détail ont atteint 12,74 milliards. Le bénéfice s’est établi à 418 millions, en baisse de 4,3 %. La marge de profit brute a progressé grâce aux produits vendus à l’avant de ses pharmacies, ce qui a compensé le recul en alimentation. La marge de profit nette a reculé de 0,5 point par rapport au même trimestre de l’année précédente pour atteindre 3,3 %.