Et voilà qu’on apprend que le gouvernement fédéral continue de payer ses employés même s’ils sont en grève !

Selon ce qu’a découvert le quotidien The Globe and Mail, un grand nombre d’employés – possiblement la plupart des 100 000 grévistes hors services essentiels – recevront tout de même leur paye dans deux semaines étant donné l’incapacité technologique et l’inflexibilité bureaucratique de l’appareil fédéral.

N’est-ce pas étonnant, sachant que le jeu des négociations tient justement dans l’épuisement des parties, notamment financier ?

Oui, bon, il est question d’un délai avec le système électronique de paye. Selon le Globe and Mail, le gouvernement dit vouloir récupérer l’argent lors des payes suivantes, mais le quotidien laisse entendre que le syndicat pourrait mettre l’enjeu dans le règlement final des négociations, qui touchent 155 000 fonctionnaires fédéraux.

Vendredi, le responsable syndical à qui j’ai parlé a nié une telle éventualité. N’empêche, après 19 mois de négociations, le fédéral n’aurait-il pas pu mieux se préparer ?

Cette histoire nous rappelle le fiasco de la gestion des passeports, l’an dernier, ou encore celui du système de paye Phénix, celui-là même qui n’est pas assez agile pour stopper les paiements rapidement aujourd’hui⁠1.

Au fait, quelles sont les positions des deux parties ? Les demandes salariales se séparent en deux groupes. Au printemps 2022, 35 000 employés de l’Agence du revenu du Canada ont réclamé une hausse de salaire de 29,5 % sur trois ans, mais certains parlent de 33 %, probablement en raison de l’effet composé. C’est énorme !

La demande est plus précisément de 4,5 % pour 2022, de 8 % pour 2023 et de 8 % pour 2024, au-dessus desquels s’ajoute un ajustement de 9 %. Le gouvernement fédéral n’a pas encore déposé d’offre formelle dans leur cas, mais on s’attend à ce qu’il le fasse lorsqu’il se sera entendu avec le deuxième groupe.

Ce deuxième groupe est constitué des 120 000 autres employés en grève. Ils sont des employés de soutien, des agents des passeports, des techniciens, des gens de métier et des agents de libération conditionnelle, notamment. Les demandes déposées en juin 2021 sont de 13,5 % sur trois ans, soit 4,5 % par année, ce qui est plus raisonnable, mais encore élevé.

Le gouvernement fédéral leur a offert 9 % sur trois ans vendredi, une offre conforme à la suggestion de la Commission de l’intérêt public, une sorte d’instance de conciliation au fédéral. L’offre est plus précisément de 1,5 % pour 2021, de 4,5 % pour 2022 et de 3 % en 2024.

En moyenne, la majorité des employés en grève – qui seraient surtout des femmes – gagnent entre 40 000 et 65 000 $, soutient Yvon Barrière, vice-président, Québec, de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC).

Est-ce réaliste ? Rappelons que le taux d’inflation moyen a été de 3,8 % en 2021, de 6,8 % en 2022 et que la Banque du Canada s’attend à ce qu’il soit de 3,5 % en 2023 et de 2,3 % en 2024.

Bref, en faisant une simple addition, la demande de 13,5 % sur trois ans pourrait être comparée à une inflation de 14,1 %. Et celle de 29,5 % des employés du fisc serait comparable à une inflation de 12,6 % sur trois ans.

Selon Yvon Barrière, le syndicat vient de mettre de l’eau dans son vin, si bien que la demande est maintenant plus basse que les 13,5 % sur trois ans. Même chose pour la demande de 29,5 % du premier groupe. Bref, les deux camps se rapprochent.

D’ailleurs, vendredi midi, les négociateurs patronaux sont retournés à la table de négociation, après une absence de trois jours. Et ils ont déposé une nouvelle « offre globale », qui pourrait mener à une entente cette fin de semaine.

Les employés obtiendront-ils autant sinon plus que l’inflation ? Ce serait surprenant, voire irresponsable pour le fédéral de le faire.

D’une part, le gouvernement fédéral prévoit encore de lourds déficits au cours des prochaines années. Connaissez-vous beaucoup d’entreprises lourdement déficitaires qui offrent de telles augmentations à leurs employés ?

D’autre part, les employés fédéraux sont reconnus pour gagner bien plus que leurs comparables dans le privé ou au gouvernement du Québec quand tout est pris en compte (salaires, vacances, régime de retraite, etc.).

Des exemples ? Un technicien en administration de niveau 1 ou 2 gagne en moyenne 48,52 $ par heure réellement travaillée, un écart positif de 7,1 % par rapport au même poste au gouvernement du Québec.

L’écart favorable au fédéral est de 10,5 % pour le personnel administratif, de 35 % pour un technicien en droit et de 32 % pour un mécanicien de véhicule motorisé. Les données viennent d’une vaste étude sur la rémunération de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Bref, l’offre de 9 % sur trois ans du gouvernement apparaît tout à fait raisonnable.

Il reste l’enjeu du télétravail. Le secteur privé craint que l’instauration formelle du télétravail dans les conventions collectives au fédéral n’entraîne une généralisation chez les entreprises. Or, bon nombre d’entreprises cherchent à ramener leur personnel en présentiel, ce qui pourrait leur nuire.

Yvon Barrière, de l’AFPC, m’assure que le syndicat ne cherche qu’à inscrire le télétravail dans les conventions collectives, pas à l’exiger pour un nombre minimal de jours par semaine. Ouais…

Quoi qu’il en soit, je ne peux pas croire que les deux parties ne pourront s’entendre sur cette question, sachant que le télétravail, dans certains cas, et lorsqu’il est bien encadré, engendre de réelles économies de temps et de gaz à effet de serre (GES).

En attendant, le gouvernement fédéral devrait ajuster ses flûtes pour couper les vivres à ses employés dès les premiers jours de grève. C’est la base même des conflits de travail.

1. Rappelons qu’il y aurait toujours plus de 400 000 problèmes de paye en attente de traitement avec ce système Phénix. Le système a été implanté il y a sept ans par le gouvernement Trudeau au terme d’un contrat signé par le gouvernement Harper, en 2009.