Après avoir vainement tenté de réaliser d’importantes acquisitions au cours des trois dernières années, voilà que Couche-Tard vient de sortir la grosse prise que plusieurs attendaient depuis longtemps en mettant la main sur le réseau européen de 2200 dépanneurs et stations-service du groupe français TotalEnergies.

Pour Couche-Tard, il s’agit donc d’une grosse transaction, et nous y reviendrons, mais il s’agit aussi d’un pari audacieux quand on sait que l’Europe vient de voter une loi qui va interdire la vente de voitures à essence et diesel sur tout son territoire à partir de 2035.

C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles TotalEnergies, qui est notamment un géant pétrolier, veut quitter le secteur du détail.

Le groupe français anticipe un déclin prochain de cette activité et il prévoit réduire de 30 % ses ventes de produits pétroliers d’ici 2030 afin de cesser de vendre ou raffiner plus de carburants qu’il ne produit de pétrole.

Dans les explications que TotalEnergies a données jeudi pour expliquer les motifs qui ont poussé son groupe à accepter l’offre de Couche-Tard, on peut lire en toutes lettres que les réseaux du groupe vont être affectés par l’interdiction des véhicules thermiques.

Les réseaux de détail du groupe vont être « confrontés à une perte de revenus liés aux carburants, alors que les véhicules électriques se rechargeront surtout au domicile et au travail et non en station », constate TotalEnergies. On ne voit donc pas un avenir radieux pour les 2200 commerces de détail qui appartenaient au groupe.

Et c’est d’ailleurs pourquoi le président de TotalEnergies voulait un rapprochement avec Couche-Tard qui est passé maître dans la valorisation des opérations quotidiennes de ses 14 000 commerces de proximité. On souhaite que l’expertise reconnue du groupe québécois assure la pérennité des magasins de TotalEnergies.

Il n’en reste pas moins qu’avec cette transaction Couche-Tard creuse davantage son empreinte carbone, alors que TotalEnergies – un producteur de pétrole, je le rappelle – tente de la réduire.

Chez Couche-Tard, on se prépare aussi à la transition énergétique et au passage obligé à la voiture électrique, notamment en Norvège, où 80 % des nouveaux véhicules vendus sont électriques.

Comme le rapportait le week-end dernier le quotidien The Globe and Mail, Couche-Tard est en train de tester en Norvège ses nouveaux modèles de magasins dans lesquels les gens s’arrêteront pour recharger leur véhicule et passeront plus de temps dans le dépanneur que lors d’un simple arrêt à la pompe.

C’est aussi pourquoi Couche-Tard se présente maintenant davantage comme un groupe actif dans la mobilité et délaisse progressivement son image traditionnelle d’exploitant de stations-service.

De retour sur le marché des acquisitions

Comme le rappelle mon collègue Richard Dufour, il faut remonter à 2016 pour retrouver la dernière transaction d’envergure qu’a réalisée le Groupe Couche-Tard, lorsqu’il avait fait l’acquisition du réseau de 1300 stations-service de CST Brands aux États-Unis.

Depuis cette transaction de 4,4 milliards US, le groupe québécois a connu une série d’insuccès dans ses tentatives de poursuivre son expansion par voie d’acquisition, une stratégie qui a fait sa renommée et qui lui a permis de s’imposer comme l’un des plus gros acteurs au monde dans le secteur du commerce de proximité.

En novembre 2019, Couche-Tard a lancé une offre publique d’acquisition sur le groupe Caltex qui exploite la plus grande chaîne de stations-service et de dépanneurs en Australie. Cette OPA de 7,7 milliards pour l’achat de 2000 stations-service aurait été la plus importante de l’histoire de Couche-Tard.

Cette offre a été rejetée avant d’être bonifiée pour finalement être abandonnée en avril 2020 en raison de l’incertitude généralisée causée par l’éclosion subite de la pandémie de COVID-19.

Quelques mois plus tard, Couche-Tard a vainement cherché à acquérir la chaîne de 3900 stations-service Speedway aux États-Unis en offrant cette fois de payer 18 milliards US, mais a été devancé par le consortium japonais Seven & i Holdings, qui a offert 21 milliards pour remporter la mise.

En janvier 2021, Couche-Tard est revenu à la charge et, à la surprise de tous, a tenté un grand coup en cherchant à acquérir la chaîne d’alimentation française Carrefour dans une transaction de plus de 25 milliards. Une tentative de rapprochement qui a rapidement avorté lorsque le gouvernement français y a opposé une fin de non-recevoir sans possibilité d’appel…

Deux ans plus tard, Couche-Tard revient donc courtiser un géant français, TotalEnergies, mais dans une transaction qui ne risque pas de hérisser les autorités politiques de l’Hexagone, augmentant d’autant ses probabilités de réussite.

Quand on le compare aux prix que Couche-Tard était prêt à payer pour acheter les 2000 stations de Caltex en Australie ou les 3900 de Speedway aux États-Unis, le prix de 4,5 milliards pour les 2200 stations-service et dépanneurs de TotalEnergies semble tenir compte de la baisse d’achalandage anticipée aux pompes à essence.

Les dirigeants de Couche-Tard savent compter et ils voudront démontrer rapidement la justesse de leur calcul.