La vague d’anglophones quittant le Québec dans les années 1970 et 1980 a marqué les esprits. Le contexte économique difficile du Québec jumelé à la montée du mouvement souverainiste a provoqué une véritable saignée.

Cette époque est vraiment révolue. Depuis, la situation a même radicalement changé, si bien que le solde migratoire interprovincial du Québec est pratiquement à l’équilibre aujourd’hui. Mieux : pour la première fois en 50 ans, le Québec a accueilli davantage d’anglophones qu’il n’en a perdu ces dernières années.

À l’inverse, étonnamment, nos voisins de l’Ontario ont perdu plus de citoyens au profit des autres provinces que ce ne fut le cas du Québec.

Et le grand gagnant de tous ces mouvements migratoires – et de loin – est la Colombie-Britannique.

Ces constats sont tirés des données de Statistique Canada que j’ai passées au peigne fin ces derniers jours. En octobre dernier, l’agence a publié le solde migratoire interprovincial à partir de la meilleure base de données possible, soit les recensements. L’évolution est mesurée entre chacun des recensements, réalisés tous les cinq ans.

Entre les recensements de 1966 et de 1986, donc, plus de 355 000 personnes ont quitté le Québec vers les autres provinces (le solde des départs moins les entrées), soit une moyenne de 84 000 par recensement de 5 ans, toutes langues confondues.

Souvent, il s’agissait de résidants instruits, qui n’acceptaient pas la montée des francophones au Québec ou encore craignaient le mouvement nationaliste, porté surtout par la gauche.

Et aujourd’hui ? Seulement 6445 personnes ont quitté le Québec vers une autre province entre 2016 et 2021 (départs moins entrées), ce qui constitue le plus faible niveau depuis 50 ans.

Et la tendance se poursuit en 2022, si l’on se fie aux données trimestrielles récentes, tirées d’une autre base de données.

L’analyse porte uniquement sur les mouvements interprovinciaux, pas internationaux.

À l’évidence, la perte de popularité du mouvement souverainiste et le boom économique ont nettement inversé la tendance au Québec. Le portrait devient encore plus intéressant – et nuancé – quand on découpe la population migratoire en fonction de la langue maternelle (francophones, anglophones, autres langues).

L’Ontario perd des anglos, pas le Québec

Chez les francophones, pas de surprise, les entrées et sorties sont à l’équilibre au Québec (sorties nettes de seulement 335 personnes en 5 ans), quoique certains auraient pu espérer des gains de ce côté. Même genre d’équilibre en Ontario.

En revanche, la situation est franchement étonnante chez les citoyens ayant l’anglais comme langue maternelle. Ainsi, le Québec a gagné 2285 anglophones venant des autres provinces entre 2016 et 2021, une première depuis les 50 ans de données de Statistique Canada pour cette série.

Lors du recensement précédent (2016), la perte nette d’anglophones avait été de 11 000 personnes sur 5 ans au Québec et elle avait dépassé les 106 000 après la première élection du PQ, en 1976.

À l’inverse, surprise, l’Ontario a perdu près de 38 000 anglophones entre 2016 et 2021. Cette hécatombe dure depuis 20 ans, si bien que l’Ontario a perdu 134 200 citoyens ayant l’anglais comme langue maternelle sur la période. Wow !

Le portrait change du tout au tout quand on s’attarde à la troisième catégorie, soit les citoyens dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais. Dans ce groupe, la perte nette du Québec depuis 5 ans a été de 8400 personnes, et elle explique à elle seule notre bilan net interprovincial encore négatif.

De son côté, l’Ontario a plutôt agi comme un aimant sur ces résidants canadiens, attirant 28 130 personnes de plus qu’elle n’en a perdu… Cette différence semble confirmer la perception de la réceptivité plus grande des Ontariens pour les immigrants dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais.

Tout pris en compte, l’Ontario a perdu un peu plus de résidants au profit des autres provinces (9500) que le Québec (6445) entre 2016 et 2021, néanmoins.

Parmi les gagnants depuis 5 ans, la Colombie-Britannique se démarque nettement, avec un solde net de plus de 83 000 Canadiens venant des autres provinces, suivie par la Nouvelle-Écosse (près de 26 000), dont l’économie montre plusieurs signes intéressants.

La Colombie-Britannique est une habituée de cet afflux venant des autres provinces, faut-il dire. Elle a eu un solde nettement positif dans 9 des 11 recensements analysés par Statistique Canada depuis 1966.

Sans grande surprise, les perdants sont les provinces pétrolières, durement frappées par la chute des prix du pétrole entre 2014 et 2021. L’Alberta, par exemple, a perdu presque 51 000 personnes au profit des autres provinces depuis 5 ans.

Le Québec attire les Albertains

Au fait, de quelles provinces viennent les Canadiens qui migrent au Québec, toutes langues confondues ? Depuis cinq ans, le Québec a un profil gagnant avec l’Alberta, le Manitoba, la Saskatchewan de même que Terre-Neuve-et-Labrador, mais il est nettement perdant avec la Colombie-Britannique et l’Ontario.

Visiblement, la crise pétrolière a défavorisé les provinces productrices d’énergie fossile. Peut-être s’agit-il, dans certains cas, du retour de Québécois qui étaient partis leur prêter main-forte à l’époque.

Enfin, dernier élément analysé : le solde migratoire selon l’âge. Essentiellement, la Colombie-Britannique a été gagnante dans tous les groupes d’âge depuis cinq ans, particulièrement chez les 20 à 34 ans, tandis que ce fut l’inverse en Alberta.

Les écarts de mouvements migratoires selon l’âge sont plus prononcés en Ontario et passablement moins au Québec, selon les données de Statistique Canada.

Avec l’économie qui change – et l’absence de confinement pandémique –, il sera intéressant de suivre ces mouvements migratoires au cours des prochaines années.

Le Québec pourrait continuer sur sa lancée économique, mais il aura de la concurrence des provinces pétrolières, avec la remontée du prix de l’or noir, comme de l’Ontario, dont les finances publiques s’améliorent progressivement.

Et il faudra voir dans quelle mesure la forte hausse des seuils d’immigration du fédéral viendra influencer la situation. Car un immigrant peut bien être accueilli dans une province moins restrictive comme l’Ontario, ça ne l’empêchera pas de déménager par la suite au Québec, où les seuils sont plus restrictifs, et inversement.