J’ai pu constater l’immense cote de popularité de Sophie Brochu, à la mi-octobre, quand j’ai annoncé dans une chronique qu’elle envisageait de démissionner en raison de divergences avec le gouvernement.

De nombreux lecteurs m’ont alors vanté son courage, sa clairvoyance, ses talents de communicatrice. Ses employés, qui ont aujourd’hui le moral dans les talons avec son départ, la tiennent en haute estime. Ils ont raison : il faut du courage pour s’opposer au gouvernement du Québec – unique actionnaire d’Hydro-Québec – et au superministre Pierre Fitzgibbon1.

Les divergences qui irritaient Sophie Brochu portaient sur la propension du gouvernement à miser sur des projets économiques énergivores au détriment de ceux favorables à l’environnement.

La PDG d’Hydro-Québec avait eu des discussions corsées avec Pierre Fitzgibbon au printemps 2022 quand a été adopté le processus d’approbation des grands projets industriels. Alors imaginez sa réaction, l’automne suivant, quand elle a appris que Pierre Fitzgibbon serait nommé superministre pour chapeauter ET le ministère de l’Économie ET celui de l’Énergie…

François Legault a su calmer le jeu en créant le Comité sur l’économie et la transition énergétique, auquel participe Sophie Brochu. N’empêche, le gouvernement caquiste, Fitzgibbon en tête, garde comme objectif de se servir d’Hydro pour développer l’économie avec des tarifs au rabais, une vision qui détonne avec le récent plan stratégique d’Hydro et la fin des surplus électriques.

Des exemples ? Le développement de la filière des batteries électriques, relativement bien perçue, mais aussi le maintien d’une industrie de l’aluminium forte, que Pierre Fitzgibbon vénère malgré des tarifs électriques nettement sous le niveau de rentabilité attendu d’Hydro, et qui ne paie pratiquement pas d’impôts au Québec depuis des années.2

Le fameux comité paraît collaboratif et a donné certains fruits. Il reste qu’il est surtout formé de membres prodéveloppement, qu’on pense à François Legault, qui le préside, ou à Pierre Fitzgibbon et Eric Girard (ministre des Finances).

Bien sûr, le comité compte aussi sur Ian Lafrenière (Premières Nations) et Benoit Charette (Environnement), mais ce dernier est-il vraiment un allié de la décarbonation prônée par Sophie Brochu, sachant ses interventions plutôt molles sur le réchauffement climatique ?

Sophie Brochu a annoncé son départ à François Legault lundi, la veille de l’annonce à ses employés. Elle affirme partir pour des raisons personnelles, comme il se doit dans les circonstances. Sa décision ne serait pas liée aux vues du gouvernement et à la nomination de Pierre Fitzgibbon. Peut-être.

« Je ne vais nulle part, je ne suis pas malade et je n’ai aucun plan », a-t-elle dit à ma collègue Hélène Baril.

Dans les hautes sphères du gouvernement, on affirme que François Legault avait d’excellentes relations avec Sophie Brochu, tandis que celles avec Pierre Fitzgibbon étaient qualifiées de « productives » depuis la montée en grade du ministre.

Nul doute, cependant, que son départ s’inscrit dans le contexte que l’on connaît. On ne part pas deux ans avant la fin d’un mandat si tout baigne dans l’huile et si l’actionnaire donne carte blanche pour réaliser le défi emballant du siècle, soit la décarbonation de l’économie.

Mardi matin, Sophie Brochu a notamment écrit aux employés d’Hydro : « En matière de transition énergétique, les possibilités qui s’offrent aux Québécois et aux Québécoises sont nombreuses. Tout sera une question de choix. À ce propos, il est réjouissant de constater le regain d’intérêt à discuter de l’utilisation de notre électricité et de l’avenir de notre société d’État. Quels que soient les points de vue, cette conversation est saine et nécessaire ».

Deux présidentes à remplacer

Qui la remplacera ? Pour commencer, le gouvernement comblera la présidence du conseil d’administration d’Hydro-Québec, qui deviendra vacante lors du départ de Jacynthe Côté pour la Banque Royale, le 5 avril.

Cette nomination est, ultimement, une prérogative du premier ministre et non du ministre de l’Énergie, bien que la liste de candidats soit élaborée en collégialité avec le conseil d’administration d’Hydro, le Secrétariat aux emplois supérieurs du gouvernement et… Pierre Fitzgibbon.

Des candidatures pourraient déjà siéger au conseil d’Hydro. Difficile d’imaginer, toutefois, que le gouvernement nommera autre chose qu’un général en phase avec sa vision. Y verrait-on une Nathalie Pilon, ex-présidente d’ABB Canada et membre du conseil de Nouveau Monde Graphite, dont Investissement Québec est l’un des actionnaires ?

Viendra ensuite la nomination du nouveau ou de la nouvelle PDG. Le conseil d’administration dit être en mesure, déjà, de faire des recommandations.

Le chef de l’exploitation d’Hydro, Éric Fillion, devrait y figurer. Mais qu’en est-il de la vice-présidente exécutive et cheffe des infrastructures et du système énergétique, Claudine Bouchard ? Ou encore de candidatures externes, comme Martin Imbleau, PDG du Port de Montréal et ancien d’Énergir ?

Chose certaine, la probabilité paraît faible que la société d’État soit encore présidée par deux femmes, comme c’est le cas actuellement (et qui était une première).

Le comité des ressources humaines du conseil d’administration doit tout de même avoir cette préoccupation à l’esprit. Sur les six membres du comité, qui est dirigé par Geneviève Bich, de Metro, on compte cinq femmes.

À mon humble avis, Hydro-Québec a besoin d’une candidature francophone inspirante pour remplacer Sophie Brochu. La personne devra savoir bien communiquer et être habile négociatrice, vu les arbitrages à faire avec l’actionnaire et la renégociation délicate de l’énorme contrat de Churchill Falls avec Terre-Neuve.

Oh, et cette personne doit d’abord vouloir servir l’intérêt public avant ses intérêts personnels (lire sa paye)… Y a-t-il une autre Sophie Brochu dans les parages ?

1. Lisez la chronique « Stratégie énergétique du Québec : Sophie Brochu lance un ultimatum » 2. Lisez la chronique « Le Québec, paradis fiscal des alumineries »