L’économie continue de créer des emplois… malheureusement. Je ne pensais jamais écrire une telle chose, mais au point où nous en sommes, la création d’emplois n’est pas vraiment souhaitable.

Pourquoi donc ? Parce que la Banque du Canada fait tout pour ralentir l’économie et ainsi freiner l’inflation, en haussant les taux d’intérêt. Or, la création d’emplois au Canada rapportée vendredi nous indique que les mesures de l’institution tardent à se faire sentir, ce qui fait craindre d’autres hausses de taux d’intérêt… et des paiements hypothécaires plus musclés.

Malgré sept hausses du taux de la Banque en 10 mois en 2022, à 4,25 %, l’économie canadienne continue donc d’être plutôt robuste, comme l’indique cette création de 104 000 emplois en décembre rapportée par Statistique Canada.

Plusieurs indicateurs laissaient pourtant voir que l’économie était secouée par ces interventions de notre banque centrale. Le marché immobilier résidentiel ralentit nettement partout au Canada. Et au 3e trimestre de 2022, soit durant l’été, le PIB du Québec a reculé de 1,9 %, sur une base annualisée. Un autre trimestre négatif, et on aurait pu parler d’une récession, si l’on s’en remet à la définition technique.

Mais voilà, depuis septembre, le marché de l’emploi est vigoureux d’un océan à l’autre.

En moyenne, le taux d’emploi a atteint 61,8 % au Canada en décembre, en hausse en hausse par rapport au taux de 61,3 % de septembre. Et au Québec, le taux d’emploi a progressé entre juillet et décembre autant qu’il avait reculé entre mars et juillet. Le taux d’emploi est la proportion des personnes de 15 ans et plus qui occupent un emploi.

Cette vigueur de l’emploi fait en sorte que le taux de chômage annuel moyen atteint des creux historiques en 2022.

La conséquence est assez prévisible. La Banque du Canada risque, une fois de plus, de hausser son taux directeur lors de sa prochaine sortie, le 25 janvier. Deux autres indicateurs importants sont attendus avant la décision de la Banque, soit celui sur l’inflation du mois de décembre, le 17 janvier, et celui sur les perspectives des entreprises, le 16 janvier.

Mais déjà, bien des économistes se sont mouillés : la Banque haussera encore son taux directeur le 25 janvier, prévoient-ils, cette fois de 25 points de base (0,25 point de pourcentage), à 4,5 %.

C’est du moins l’avis des économistes du Mouvement Desjardins, de la BMO et de la CIBC à la suite de la publication des données sur l’emploi canadien.

De son côté, le service économique de la Banque Nationale constate que les marchés financiers envisagent une hausse du taux directeur de 19 points de base, contre 16 points avant la publication des chiffres d’emploi de Statistique Canada. Bien que l’augmentation minimale du taux soit de 25 points, les investisseurs – qui font bouger les paramètres des marchés – jugent donc que nous sommes tout près d’une nouvelle hausse du taux directeur.

… mais la Bourse monte !

Fin de l’analyse ? Eh bien, non. Normalement, ce bond de la probabilité d’une hausse du taux de la Banque du Canada aurait dû refroidir les marchés boursiers ou du moins avoir un effet neutre. Or, les marchés boursiers sont en hausse marquée. L’indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto a même bondi de 1,6 % vendredi, et celui du S&P 500, de 2,3 %.

Comment expliquer cette apparente contradiction ? C’est que les États-Unis ont eux aussi publié des données sur l’emploi, vendredi. Là aussi, les données ne sont pas mauvaises : création de 223 000 emplois en décembre, soit davantage que le consensus de 203 000 emplois.

Mais cette bonne création d’emplois cache des performances moins glorieuses. Le secteur des services est en baisse, et bien que l’emploi augmente, en général, le nombre total d’heures travaillées par semaine a reculé à 34,3 heures, un creux en 32 mois.

Surtout, les données indiquent des pressions salariales significativement plus faibles que prévu par les économistes. La croissance annualisée des salaires aux États-Unis (moyenne 3 mois) est ainsi passée de 4,7 % à 4,1 % en décembre, plus faible niveau depuis 8 mois, selon une analyse de la Banque Nationale.

Ce constat a été perçu comme un signe que la hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine pour mater l’inflation porte ses fruits. Et rapidement, les taux des obligations de 2 ans et 10 ans aux États-Unis ont réagi, reculant respectivement de 16 points et 13 points de base, atteignant 4,29 % et 3,59 %. Au Canada, le recul a été nettement plus modeste (6 points et 3 points, à 3,11 % et 4 %).

Ce signal de détente possible de l’inflation aux États-Unis s’est répercuté sur les marchés boursiers, avec une hausse des principaux indices.

En somme, rien n’est encore joué. La seule certitude – et vous pouvez parier gros là-dessus –, c’est que les marchés boursiers vont fluctuer, comme me le disait un ancien collègue.