Mes nombreuses sources proches du dossier me le confirment : la Caisse de dépôt a discuté sérieusement avec le Groupe Sélection, ces derniers mois, pour financer des projets de l’entreprise en difficulté. Et parmi les intervenants se trouvait le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon.

Les négociations se sont déroulées pendant l’été pour se solder par une lettre d’intention signée le 14 octobre par Ivanhoé Cambridge, filiale immobilière de la Caisse, et par l’entreprise de Réal Bouclin.

Selon quatre sources au fait de l’entente, la Caisse avait accepté la possibilité d’un partenariat avec Sélection pour de futurs projets multirésidentiels de l’entreprise. Elle aurait assuré 85 % du financement sous forme de prêts, et l’entreprise de Réal Bouclin, 15 %.

La lettre était encore peu contraignante pour la Caisse, cependant, et ne visait pas les problèmes passés de Sélection, par exemple le remboursement du syndicat bancaire, à qui le groupe de Réal Bouclin doit 272 millions.

Le document a été déposé mercredi durant les audiences en Cour, mais la Caisse de dépôt n’a pas été identifiée parce qu’il a été mis sous pli confidentiel.

L’entente est devenue caduque, faut-il préciser, dès que Sélection s’est placée à l’abri de la faillite, le lundi 14 novembre, en recourant à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon

Discussions de Fitzgibbon

Selon mes informations, au cours de l’été, le superministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a discuté avec le PDG de la Caisse, Charles Émond, de l’opportunité d’une intervention dans le dossier de Sélection. L’homme fort de la CAQ a aussi eu certains entretiens avec Réal Bouclin.

Au cabinet du ministre, on confirme que Pierre Fitzgibbon a eu des discussions avec Charles Émond, d’une part, et Réal Bouclin, d’autre part, mais on se défend d’avoir fait pression sur la Caisse de dépôt de quelque façon.

Les discussions entre la Caisse et le gouvernement sur les projets et enjeux des grandes entreprises du Québec ont lieu sur une base régulière. Des discussions ont eu lieu sur Groupe Sélection.

Réponse écrite de Mathieu St-Amand, porte-parole de Pierre Fitzgibbon

Selon M. St-Amand, « le ministre voulait connaître les intentions de la Caisse sur le dossier » étant donné que le gouvernement, par le truchement d’Investissement Québec, avait une créance en jeu pouvant aller jusqu’à 60 millions.

Mais est-ce le rôle de la Caisse d’intervenir dans ce genre de dossier ? « Le double mandat de la Caisse comprend celui de contribuer au développement économique du Québec. C’est à eux d’interpréter ce mandat et de développer des interventions financières qui leur permettent de réaliser ce mandat », a écrit M. St-Amand.

À la Caisse de dépôt, le porte-parole Maxime Chagnon confirme qu’une lettre d’entente a été signée avec Sélection, mais nie que Pierre Fitzgibbon ait demandé à la Caisse d’intervenir.

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La Caisse de dépôt a signé une lettre d’entente avec Groupe Sélection

« Non. En toutes circonstances, la Caisse prend ses décisions de façon indépendante et selon ses propres critères. Et le gouvernement comprend bien ça », a-t-il dit.

Selon le porte-parole de la Caisse, l’entente avec Sélection était « une lettre-cadre préliminaire, non contraignante, qui démontre notre intérêt pour certains projets futurs dans des projets multirésidentiels ».

Les deux parties commençaient le processus de vérification diligente, qui aurait pris quelques semaines, lorsque Sélection s’est protégée de la faillite, a expliqué M. Chagnon.

Et par ailleurs, selon mes renseignements, une telle entente n’aurait pas davantage permis à Sélection, dans les prochains mois, de colmater les fuites de liquidités de 7 millions par mois de l’entreprise, compte tenu des longs délais avant qu’un projet rapporte des fruits.

La présence de l’institution aurait néanmoins pu rassurer les banques et les partenaires de Sélection.

Selon mes informations, dans le cadre du partenariat avec la Caisse, Sélection aurait fourni quelques-uns des terrains qu’elle avait en banque et dont les étapes préliminaires de développement étaient avancées (études de marché, concept, plan d’implantation, etc.), tandis qu’Ivanhoé-Cambridge aurait financé l’essentiel de la construction.

Durant les audiences, mercredi, l’avocat de Groupe Sélection, Guy Martel, a déposé l’entente au dossier de la Cour sous pli confidentiel, ce qui ne l’empêchait pas de poser des questions à son sujet sans mentionner les parties.

Il a demandé à l’expert-comptable des banquiers, Christian Bourque, s’il avait pris connaissance de cette entente et s’il n’aurait pas été sage de l’inclure dans son rapport.

« J’ai déjà vu une copie, mais ce n’était pas signé. J’avais eu connaissance des discussions, mais pas d’entente signée, a répondu M. Bourque. Si cette entente se concrétise et que cela permet la relance des activités de construction avec un partenaire, ça va être considéré [dans une restructuration contrôlée par le mandataire du syndicat bancaire]. »

Jeudi, l’avocat de Christian Bourque, Luc Morin, est revenu sur cette entente. « Cette lettre ne constitue pas un engagement juridiquement contraignant […] Et personne de cette institution n’est présent aux audiences [virtuelles] », a-t-il dit.

Luc Morin, qui défend les créanciers, a ajouté que Réal Bouclin n’avait pas cru bon de faire mention de cette lettre du 14 octobre lorsqu’il a rencontré Christian Bourque et les avocats des banquiers, le mardi 8 novembre.

Le camp du Groupe Sélection n’a pas davantage jugé pertinent de mettre la lettre au dossier de la Cour au moment du recours à la LACC, le lundi 14 novembre, a-t-il dit.

À la Caisse de dépôt, Maxime Chagnon affirme que pour le partenariat, « rien n’est exclu pour l’avenir, selon ce qui arrivera avec la restructuration ».

Avec la collaboration d’André Dubuc, La Presse