Chers lecteurs, on est devant une affaire vraiment pas ordinaire aujourd’hui. Une affaire qui risque de devenir l’une des plus grosses déconfitures immobilières de l’histoire du Québec, ni plus ni moins.

Lundi, le Groupe Sélection a eu recours à la loi pour éviter d’être mis en faillite. Sélection, c’est le géant québécois des résidences privées pour aînés (RPA), dont la valeur avoisine les 3 milliards de dollars.

Le groupe emploie 3000 personnes et chapeaute un spaghetti de 137 sociétés, qu’il détient en tout ou en partie, selon les documents déposés en cour. Énorme, que je vous dis.

Et au cœur de l’histoire se trouvent 15 000 résidants, surtout des aînés, qui habitent les 48 RPA de Sélection.

Imaginez le choc, lundi, quand tout ce beau monde a appris la nouvelle…

Que se passe-t-il au juste ?

Eh bien voilà, Sélection a beaucoup plus de dépenses que de revenus, elle est donc nettement insolvable. Et ses difficultés datent de plus de deux ans, selon la requête de l’entreprise déposée en cour.

L’entreprise soutient que la pandémie a eu pour effet de diminuer le taux d’occupation de ses RPA et de faire augmenter les coûts de construction des nouveaux projets, avec l’inflation. Et pour couronner le tout, elle a fait face à des hausses très importantes de taux d’intérêt, depuis quelque temps.

Au total, Sélection doit 272 millions à un groupe d’institutions financières, en plus des centaines de millions de dollars de prêts hypothécaires sur ses immeubles. Elle doit aussi 118 millions à des fournisseurs et créanciers ordinaires, qu’elle est pour l’instant incapable de payer. Ayoye…

Pour éviter la faillite, l’entreprise a donc demandé – et obtenu du juge – la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Cette loi gèle tous les recours des banquiers et autres fournisseurs pour se faire rembourser. En vertu de cette loi, l’ordonnance du juge dispense l’entreprise de payer ses créances accumulées le temps de faire une proposition et de réorganiser ses affaires.

Quelle proposition ? L’homme d’affaires Herbert Black avancerait jusqu’à 50 millions à Sélection pour lui permettre de stabiliser la situation.

En échange, toutefois, le rusé financier demandera près de 12 % d’intérêts, en plus de frais salés. Surtout, selon la proposition, Black serait remboursé à même le fruit de la vente de certains immeubles de Sélection, même si le prix de vente obtenu est moindre que le solde hypothécaire des institutions sur ces immeubles.

Dit autrement, les banques seraient obligées de lui céder une partie de la valeur des immeubles et de faire des pertes sur des prêts pour lesquels elles ont pourtant une garantie hypothécaire de premier rang, considérée comme la plus solide dans le milieu financier en cas de défaut de paiement (1).

Train de vie luxueux de Bouclin

Vous comprendrez que la proposition de Sélection ne passe pas comme une lettre à la poste. Le groupe de prêteurs, constitué de huit institutions, dont la Banque Nationale et la CIBC, n’a absolument plus confiance en l’entreprise et en son PDG, Réal Bouclin.

C’est que l’ex-conjoint de Caroline Néron s’est montré incapable de respecter ses engagements envers eux ces derniers mois, soutient la requête des banquiers. Ils ont avancé des fonds en mai 2021, puis toléré des défauts jusqu’en octobre 2022, avec comme condition de voir enfin Réal Bouclin liquider des immeubles pour les rembourser, mais en vain.

Pire, en scrutant ses affaires, ils disent avoir constaté qu’une partie des fonds a servi à financer son train de vie princier, à faire des transferts dans ses entreprises familiales et à verser de juteux bonis à des cadres, dans un contexte financier pourtant déficitaire.

« Les paiements aux entités familiales et les coûts associés au jet privé ont, à certains moments, représenté respectivement des dépenses mensuelles d’environ 1 500 000 $ et d’environ 190 000 $ », est-il écrit dans la requête des banquiers.

Enfin, ils constatent le taux de roulement élevé des employés de l’entreprise, ne comprennent pas qu’elle se soit engagée dans de nouveaux projets coûteux dans le contexte et estiment que Sélection « exagère grossièrement la valeur de ses actifs ».

En un mot, le groupe de prêteurs n’en peut plus. Il veut donc contrôler lui-même le processus de restructuration de Sélection en nommant son propre redresseur, de PricewaterhouseCoopers, plutôt que le contrôleur de Réal Bouclin (FTI Consulting).

Ce faisant, dit-il, les actifs moins rentables de l’entreprise seront vendus au plus offrant, permettant la survie d’une organisation rentable sur une nouvelle base plus modeste. Les prêteurs se disent même prêts à avancer 20 millions de plus pour permettre l’intérim, à un taux de seulement 9,75 %, plutôt que les 12 % de Herbert Black, et sans autres frais.

Vu la taille du dossier, vous pouvez imaginer la batterie d’avocats. Mon collègue en a compté 36 !

Mardi, devant le tribunal, les deux camps tenteront de convaincre le juge Michel A. Pinsonnault qu’il doit leur donner le contrôle de la restructuration. Le juge a indiqué, lundi, qu’il veut mettre l’accent sur la préservation des emplois et le maintien des services aux 15 000 résidants.

Que devraient craindre, justement, ces aînés au cœur de l’affaire ? C’est peut-être la moins mauvaise nouvelle. Pourquoi ? Parce que quoiqu’il advienne, le repreneur aura tout intérêt à choyer les résidants, car ce sont eux qui apportent les revenus récurrents à l’organisation.

Il faudra être patient au cours des prochaines semaines, tout de même, car la partie ne sera pas facile…

1– Plus précisément, le créancier hypothécaire verrait sa créance garantie remboursée à seulement 85 %, dans certains cas, et la balance irait dans un fonds qui servira notamment à rembourser l’entreprise de Herbert Black.