« Voici une histoire d’horreur de service à la clientèle qui pourrait être intéressante pour vos lecteurs », m’a écrit une lectrice pendant qu’elle était coincée à l’aéroport de Manille, aux Philippines.

Même si je suis du genre à fuir l’horreur, j’ai lu son récit. Rien n’est trop effrayant pour aider les consommateurs.

Je vous rassure, il n’y aura pas de sang, mais des sueurs froides, de la frustration… et quelques leçons de vie à garder en tête précieusement.

Janique est une voyageuse avertie qui s’organise elle-même des séjours un peu partout dans le monde « depuis 15-20 ans ». Fidèle à son habitude, elle a acheté ses billets d’avion en ligne pour découvrir Bali. Le voyage de retour comprenait deux escales, l’une à Manille, l’autre à Tokyo. La transaction a été conclue sur Booking. com « pour une question de prix ».

Le séjour a été magnifique. Ça s’est gâté au retour.

Une fois arrivées à Manille pour leur première escale, les voyageuses ont réalisé qu’elles allaient atterrir à l’aéroport japonais d’Haneda, et repartir d’un autre aéroport appelé Narita. Environ 80 kilomètres séparent les deux.

« Nous étions déçues et fâchées. On aurait dû nous aviser clairement de cette logistique peu efficace. Mais nous avons réservé un transport privé à 175 $ entre les deux aéroports, pensant que le tout serait réglé », raconte Janique.

Au moment de l’embarquement pour le Japon, les deux amies apprennent qu’elles ne seront pas admises à bord. Car une fois rendues au pays de Toyota, il leur faudrait un « visa de transit » pour quitter la zone sécurisée de l’aéroport et prendre leur taxi. Une information vérifiable sur le site de l’ambassade du Canada au Japon.

La portion japonaise des billets d’avion était donc bonne pour la poubelle.

Prise dans un no man’s land à l’aéroport de Manille, Janique a contacté Booking.com à cinq reprises pour obtenir de l’aide.

On lui a raccroché au nez, suggéré d’appeler l’ambassade (ce qui n’a rien donné), proposé d’acheter un vol à 7000 $ US. On lui a indiqué que c’était sa responsabilité de s’informer des lois nipponnes. Les voyageuses ont passé des heures au téléphone pour trouver elles-mêmes une solution.

« On ne peut pas vendre un produit inutilisable ! s’enflamme-t-elle. On ne vendrait pas une voiture sans moteur. Moi, je tiens pour acquis que j’ai acheté un vol que je peux prendre. Ce n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que les clients connaissent les lois internationales. Le service à la clientèle n’avait aucun pouvoir pour régler la situation. Pourtant, c’est une grosse entreprise connue qui vaut des milliards. »

Avec son amie, elle a passé 27 heures dans un petit local de l’aéroport où il fallait insister pour obtenir de l’eau et où les gens dormaient par terre. Une employée qui semblait avoir pitié des voyageuses les a finalement embarquées gratuitement sur un vol qui leur a permis de revoir Montréal.

Janique s’est empressée d’écrire au président de Booking.com pour obtenir un remboursement et un dédommagement. Elle n’a jamais obtenu de réponse. L’entreprise n’a pas davantage répondu à mes questions.

Même si cette histoire sort de l’ordinaire, elle n’en demeure pas moins révélatrice d’un certain nombre d’enjeux de consommation qui touchent tout le monde. À commencer par nos réflexes face à la modernité.

Avec l’arrivée des sites web qui permettent de tout faire soi-même sans recourir aux services de professionnels — ça va de l’investissement en Bourse à l’achat de broches pour la dentition –, on en vient à penser que ça fait très 1997 de parler à des humains. De vrais humains, au téléphone, pour obtenir des services. Se déplacer en personne ? Nous voilà rendus en 1988.

Beaucoup de gens qui achètent des billets d’avion en ligne ont l’impression que ce sera moins cher, car ils coupent un intermédiaire.

Moscou Côté, président de l’Association des agents de voyages du Québec (AAVQ)

Or, ce n’est pas le cas, jure-t-il, parce que les prix sont dictés par les compagnies aériennes. Chaque vente procure une commission aux agents de voyage, comme ça se voit dans le secteur des assurances et de l’immobilier. Lorsque cette rémunération est trop faible pour le travail réalisé (c’est le cas pour les billets à 400 $ vers Toronto, par exemple), des frais de service sont parfois exigés.

J’ai raconté l’histoire de Janique à Moscou Côté. « C’est une erreur classique ! », a-t-il réagi spontanément. Il n’est pas rare que les consommateurs trouvent des prix très faibles en ligne justement parce que les correspondances n’ont pas de sens.

En passant, Booking.com, un site néerlandais dont le siège social canadien est en Colombie-Britannique, ne possède pas de permis de l’Office de la protection du consommateur.

D’autres vendeurs de voyages en ligne, comme Expedia et Travelocity, en détiennent un, ce qui permet de faire des réclamations au Fonds d’indemnisation des clients des agents de voyages (FICAV).

Dans le cas de Janique, un permis n’aurait pas changé grand-chose, car le billet de la voyageuse n’était pas « inutilisable », selon Moscou Côté. Il était utilisable… avec un visa. Un agent de voyage aurait d’ailleurs eu l’obligation légale de mentionner ce fait important. Et en cas d’omission, le client aurait eu des recours.

Mais le permis d’agence de voyages a fait toute la différence pour bien du monde quand les avions ont été cloués au sol, au début de la pandémie.

Se tourner vers les géants du web dans l’espoir d’économiser peut engendrer toutes sortes de situations déplaisantes, et pas seulement dans le secteur du voyage.

« Amazon n’a même pas de numéro de téléphone si on veut porter plainte ! », m’a dit, scandalisé, un ancien collègue de classe, récemment. Pour offrir des bas prix, il faut faire des coupes quelque part… comme dans le service à la clientèle.

Que dire de la présentation mensongère. On l’a vu avec les leggings faussement fabriqués à Granby⁠1. Avec les « jouets Montessori abordables » du Petit Écolier⁠2. En 2016, j’avais acheté six robes⁠3 d’entreprises s’affichant sur Facebook n’ayant aucun magasin au Canada. Elles n’avaient rien à voir avec les photos, et impossible de les retourner en Chine.

Les entreprises ayant pignon sur rue ne sont pas nécessairement meilleures, me direz-vous. Mais au moins, on peut s’y rendre en personne pour exprimer sa grogne à quelqu’un.

1. Consultez le texte « Gare aux leggings faussement fabriqués à Granby » 2. Consultez le texte « Le Petit Écolier vous fait enrager » 3. Consultez le texte « Magasinage en ligne : des achats risqués »