Saviez-vous que le Conseil du patronat du Québec (CPQ), symbole fort du capitalisme québécois, milite pour une planète plus solidaire et plus verte ? Moi non plus.

C’est pourtant ce que l’on constate en lisant le manifeste du G15+, ce groupe qui veut aller au-delà du produit intérieur brut (PIB) pour mesurer nos progrès. Le gouvernement Legault aurait intérêt à tendre l’oreille.

Le groupe est composé des leaders des milieux syndical, communautaire et environnemental, mais aussi de personnalités du monde des affaires, comme le président du CPQ, Karl Blackburn, et celui de la Fédération des chambres de commerce du Québec, Charles Milliard.

Dit autrement, l’environnement et le progrès social ne sont pas seulement l’affaire des mouvements de gauche au Québec, mais aussi du milieu des affaires, qui a pourtant la réputation de répondre aux seuls impératifs des profits pour prendre des décisions.

Pourquoi une telle cohésion ? Parce que ces dirigeants jugent que la prospérité ne peut plus se faire en vase clos et au détriment de l’environnement, notamment. Et ils demandent à la population et aux élus d’agir, d’où ce groupe formé en 2020.

Indicateurs du bien-être

Cette semaine, justement, le collectif a publié une série d’indicateurs du bien-être, qui compare l’évolution du Québec dans le temps, mais aussi par rapport à l’Ontario – cible de François Legault – et à la moyenne canadienne.

Résultat ? Le Québec se compare très bien à plusieurs égards, mais il a du chemin à faire sur bien d’autres, notamment du côté environnemental. Surtout, le groupe constate qu’il nous manque plusieurs indicateurs cruciaux en environnement. Si on veut se fixer des cibles et les atteindre, comme c’est le cas pour les GES, encore faut-il pouvoir les quantifier.

Le groupe s’appuie sur une approche validée par les économistes François Delorme, de l’Université de Sherbrooke, et Emna Braham, de l’Institut du Québec.

D’abord, les bonnes nouvelles. Au Québec, 65 % des 17 indicateurs économiques disponibles ont progressé favorablement ces dernières années. Taux d’emploi, qualité de l’emploi, dette publique, revenus disponibles par habitant, jeunes en situation précaire (ni aux études ni en emploi) : tous ces indicateurs, entre autres, montrent des signes d’amélioration. En Ontario, la proportion est plutôt de 55 %.

Constat assez semblable pour les indicateurs sociaux (ou de société) : 55 % des 22 indicateurs indiquent une amélioration au Québec, contre seulement 36 % en Ontario (la moyenne canadienne est de 40 %).

Pauvreté, criminalité, logements…

Parmi les bons coups au Québec, le taux de pauvreté est en baisse, comme les inégalités hommes-femmes (emplois et salaires) et la gravité de la criminalité. Même le fameux coefficient de Gini – qui mesure les inégalités entre les riches et les pauvres – s’est amélioré.

En revanche, le logement et les efforts consacrés à la culture sont en baisse, et le milieu communautaire a besoin de bras et de fonds.

Oui, mais l’environnement ? Au Québec comme en Ontario, seulement le quart des 15 indicateurs montrent des signes d’amélioration. Surtout, 10 des 25 indicateurs jugés essentiels sont inexistants.

Ainsi, la part des territoires qui est protégée est en hausse, comme la densification urbaine et l’économie d’eau potable, ce qui est une bonne nouvelle.

Par contre, la part de l’économie verte est relativement stagnante au Québec, à 5 % du PIB, et l’indice de circularité de l’économie demeure très faible (seulement 3,5 % des matières).

Autre point faible : les véhicules en circulation sur les routes par personne sont plus élevés au Québec qu’en Ontario, et cet indicateur est en croissance constante. Ce poids plus grand du transport, notamment, explique pourquoi nos GES n’ont presque pas bougé depuis 30 ans, si l’on exclut l’année pandémique 2020, alors que la cible de 2030 approche à grands pas (baisse de 40 % au Canada par rapport à 2005).

Parmi les grands indicateurs absents figurent l’évolution des catastrophes naturelles, celle des budgets d’adaptation aux changements climatiques ou encore de séquestration de carbone.

Le parent pauvre est assurément la biodiversité : on sait peu de chose sur l’évolution des espèces menacées au Québec et à peu près rien sur l’évolution de la faune et de la flore, dans le contexte des changements climatiques.

On ne sait guère plus la part des sols du Québec qui est recouverte notamment d’asphalte, de béton et de bâtiments, soit le taux d’artificialisation des sols, ou encore de boisés et de milieux humides ni l’évolution de ces données. En France, par exemple, 5,6 % des sols sont artificialisés, contre 7,6 % en Allemagne et 11,7 % en Belgique.

Quel budget consacre-t-on à cette biodiversité ? Aucune idée.

« On a besoin de plus d’indicateurs pour poser des diagnostics, qui serviront à prendre des décisions », me dit l’économiste François Delorme, qui interpelle Statistique Canada et l’Institut de la statistique du Québec, entre autres.

La pauvreté de l’information est ironique dans le contexte où Montréal accueillera justement la COP15 sur la biodiversité en décembre, qui regroupera les pays qui ont signé une convention à ce sujet. Cette biodiversité a une incidence directe sur la santé de la planète et de sa population, qui a un impact sur tout le reste.

Ce que je pense de ces indicateurs ? Que l’exercice est très intéressant, mais qu’il serait davantage mobilisateur si les gouvernements fixaient des cibles et qu’ils exigeaient des gestes concrets pour les atteindre.

C’est ce que réclament les membres du G15+, qui s’inquiètent de l’intensification des changements climatiques, de l’érosion de la biodiversité, de la crise du logement et de la pénurie de main-d’œuvre.

« Nous sommes issus au Québec d’une culture singulière qui accorde une place de choix à la concertation et à la cohésion sociale. En misant sur le dialogue social, nous proposons une véritable transformation de notre société », écrivent les signataires, dont fait partie Karl Blackburn, du CPQ, Béatrice Alain, du Chantier de l’économie sociale, Denis Boldus, de la FTQ, et Colleen Thorpe, d’Équiterre.

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