Commençons par une question. Est-il normal que deux personnes qui font exactement le même travail toute leur vie, au même salaire, se retrouvent avec des revenus de retraite sans commune mesure parce qu’elles n’avaient pas le même employeur ?

Permettez, en une seconde : veut-on que ce type de disparité continue, même si des solutions existent ?

Dans la prochaine décennie, 1 million de Québécois prendront leur retraite. Et ce n’est pas tout le monde qui aura les moyens d’en profiter pour découvrir les îles grecques ou passer l’hiver au soleil. Dans bien des cas, les fins de mois seront difficiles juste en payant les comptes essentiels.

À l’heure actuelle, 39 % des aînés de la province touchent le Supplément de revenu garanti (SRG), une prestation versée aux personnes pauvres. Il n’y a qu’à Terre-Neuve-et-Labrador et au Nouveau-Brunswick que la proportion des prestataires du SRG est supérieure à celle du Québec.

Par ailleurs, le revenu moyen des personnes de 65 ans et plus est environ 20 % plus faible au Québec (40 331 $) qu’en Ontario (49 062 $) et 12 % plus faible que la moyenne canadienne (45 888 $), selon Statistique Canada (données pour 2020).

Malheureusement, ça n’ira pas en s’améliorant. Car la retraite repose de plus en plus sur des choix individuels en raison du désengagement des employeurs. Selon Retraite Québec, 45 % des travailleurs ne participent pas à un régime d’épargne collective. Et ceux qui le font n’ont pas tous accès à un régime à prestations déterminées garantissant une rente.

« Si on laisse les choix aux individus, on s’en va dans un mur », insiste François L’Italien, sociologue, coordonnateur de l’Observatoire de la retraite et directeur adjoint de l’IREC, l’Institut de recherche en économie contemporaine fondé par Jacques Parizeau.

Je lui ai demandé de me décrire le mur en question. « On s’en va vers des inégalités entre les générations et à l’intérieur des générations. » Un phénomène qui se voit déjà chez les baby-boomers, mais qui s’intensifiera, croit-il. Ce scénario est inquiétant parce que la pauvreté entraîne une série de coûts pour la société, en matière de santé et d’accès au logement, entre autres.

Avec le vieillissement de la population, « on va se retrouver, en 2040, avec de gros problèmes sociaux », prédit l’expert, vu l’asymétrie entre le nombre de personnes qui vont payer des impôts et les retraités. « Les dépenses sociales vont être assumées par un plus petit nombre de personnes et ces dépenses vont par ailleurs exploser. »

Voilà pourquoi François L’Italien et son équipe suggèrent la création du Conseil des partenaires de la retraite, un organisme indépendant qui serait voué à la question de la retraite. Son rôle serait de faire de la recherche, de conseiller le gouvernement et d’informer le grand public. Ses membres représenteraient les employeurs, les syndicats, les retraités, les jeunes, le milieu universitaire et les groupes sociaux, a-t-il expliqué mercredi dernier lors du tout premier Sommet sur la retraite.

PHOTO FOURNIE PAR L’OBSERVATOIRE DE LA RETRAITE

François L’Italien, sociologue, coordonnateur de l’Observatoire de la retraite et directeur adjoint de l’IREC

Étant donné tous les nouveaux enjeux qui émergent avec la transformation du monde du travail, cette idée doit être prise au sérieux. Des évènements ponctuels comme l’inflation qu’on vit actuellement peuvent aussi révéler certaines failles du système auxquelles il faut réfléchir en ayant une vue d’ensemble. L’idée n’est pas de déresponsabiliser les individus, mais de trouver un équilibre.

Bien sûr, les groupes autour de la table auront chacun leurs propres intérêts. Et ce ne sera pas facile d’en arriver à des consensus. Mais ces défis ne doivent pas favoriser le statu quo.

François L’Italien est convaincu qu’il est possible de travailler dans un but commun. « On a des divergences, mais personne ne veut de vieux qui fouillent dans les poubelles pour ramasser des bouteilles ou qui retournent travailler à 77 ans. »

Dans le contexte actuel, où de plus en plus de personnes ne cadrent plus dans le modèle de retraite établi à l’époque de l’homme-pourvoyeur-qui-passe-35-ans-chez-le-même-employeur, Lucie Lamarche, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM, va encore plus loin. Elle a profité du Sommet pour suggérer que la retraite fasse partie des droits fondamentaux. « Il faut écrire quelque part que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant et l’État doit être le premier répondant de ce droit, mais pas le seul. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Tout le monde doit pouvoir espérer une retraite sans pauvreté, souligne Lucie Lamarche, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM.

Ce faisant, cette prémisse devrait teinter les décisions gouvernementales en matière de logement, de santé et de revenus, croit l’universitaire. Et personne ne serait oublié, peu importe son parcours de vie.

« Ça ne marche plus, les modèles uniques. D’où l’intérêt de forcer la note, de voir tous ceux dans la marge. Une marge qui s’épaissit ! », m’a-t-elle dit. Elle cite l’exemple des immigrants arrivés au Québec en milieu de carrière qui n’auront jamais cotisé pendant 30 ans au Régime des rentes du Québec. Il y a une « ubérisation des emplois », un nombre grandissant de parcours atypiques marqués par un cumul d’emplois ou des périodes d’arrêt (pour s’occuper des enfants ou de ses parents, pour un projet spécial), énumère-t-elle aussi.

Tout ce monde doit pouvoir espérer une retraite sans pauvreté, tranche Lucie Lamarche.

« Il faut avoir la maturité collective de se dire que les personnes, en général, vont être mieux servies, plus autonomes et plus libres si on se donne de bons outils collectifs », ajoute François L’Italien, en précisant qu’il existe une foule de manières de mutualiser les risques, notamment celui de la longévité.

Quand on voit que le nombre d’aînés ayant recours aux banques alimentaires explose depuis quelques mois, il semble évident qu’une réflexion collective sur la retraite s’impose.