Même si certaines accusations envers nos grandes chaînes d’alimentation s’avèrent sans fondement, il n’en demeure pas moins que certaines augmentations de prix à l’épicerie s’expliquent difficilement ces derniers temps.

Avec le tapage causé par le scandale chez Hockey Canada, peu de gens ont eu connaissance la semaine dernière qu’Ottawa a décidé d’enquêter sur l’inflation alimentaire et sur l’abus allégué des grandes chaînes de distribution alimentaire. Cette décision prise par le comité parlementaire permanent sur l’agriculture attribuera l’examen de la situation aux membres de son comité dans les prochains mois.

Il faut d’abord saluer la décision d’Ottawa. Même si le Canada présente en ce moment le troisième taux d’inflation alimentaire parmi les plus bas au sein des pays du G7, après le Japon et la France, notre inflation alimentaire dépasse l’inflation générale depuis maintenant 13 mois consécutifs. Et les consommateurs s’en rendent compte chaque fois qu’ils visitent l’épicerie.

Mais enquêter uniquement sur la distribution et le commerce de détail constituerait une erreur, et le comité semble le reconnaître. Les Canadiens s’attendent plutôt à ce que nos parlementaires étudient l’état de l’industrie. La distribution alimentaire demeure complexe et implique plusieurs entreprises à la fois, de la ferme à la table. L’étendue de l’enquête se doit d’inclure l’ensemble de la chaîne. Plusieurs accusent les enseignes comme Metro, Loblaw-Provigo et Sobeys-IGA d’abuser de la situation et de gonfler les prix injustement. D’après l’information publiquement disponible, ce n’est pas le cas, loin de là !

Une petite évaluation toute simple, comparant les marges bénéficiaires des trois grands détaillants Loblaw, Sobeys et Metro des cinq dernières années, nous démontre que leurs résultats financiers se révèlent plutôt modestes.

Ainsi, à la fin de leurs exercices respectifs en 2021, avec au moins une bonne année de pandémie, les marges bénéficiaires de ces détaillants affichaient 3,7 % pour Loblaw, 2,7 % pour Empire-Sobeys et 4,5 % pour Metro. Les rendements restent à peu près les mêmes depuis les cinq dernières années financières. Certes, des résultats intéressants et des profits effectivement à la hausse comparativement aux années prépandémiques. Toutefois, ces rendements se retrouvent généralement sous le taux d’inflation alimentaire de l’époque ou au même niveau que celui-ci. Autrement dit, le rendement de ces chaînes a fait « du surplace » si on le compare avec l’augmentation du coût de la vie. Et l’année 2022, jusqu’à présent, ne semble pas si différente que cela.

Bien sûr, les accusations des derniers mois portent sur le slogan des « profits records ». Certes, ces 2 % ou 3 % de rendement en 2021, transposés en argent, ne ressemblent aucunement aux 2 % ou 3 % enregistrés cinq ans auparavant. Les revenus augmentent, mais les dépenses aussi. Bien que les montants augmentent, les pourcentages demeurent les mêmes.

Malgré cela, les perceptions continuent. Presque 80 % des Canadiens prétendent qu’il y a de l’abus intentionnel et ils n’ont pas tout à fait tort d’entretenir ces doutes. L’industrie a quand même déçu l’opinion publique à quelques reprises ces dernières années, surtout avec l’histoire du « cartel du pain ». Les accusations ont pleinement leur raison d’être, même si elles semblent sans fondement réel.

L’étendue de l’enquête d’Ottawa portera sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de la production au détail, ainsi que sur les salaires, une bonne approche. Si l’on découvre que des abus existent, ces derniers se retrouveront peut-être en amont de la chaîne. Pour notre laboratoire, une partie de l’inflation s’explique objectivement par certains facteurs macroéconomiques comme les chaînes d’approvisionnement ébranlées par la pandémie, le manque de main-d’œuvre et l’invasion de l’Ukraine.

Mais certains prix que nous voyons à l’épicerie s’expliquent difficilement, surtout au comptoir des viandes, dans la section laitière, et celle des poissons et fruits de mer. Aussi, on comprend mal le bien-fondé de certaines hausses de prix dans la boulangerie ces temps-ci.

En somme, durant l’enquête, le comité parlementaire devra maintenir un raisonnement sobre et vertueux, sans tomber dans l’imaginaire et le superlatif. Vendre un produit à un prix exorbitant ne constitue pas nécessairement de l’escroquerie, pourvu que les consommateurs aient du choix et que les entreprises ne tentent pas de contrôler les conditions du marché. L’augmentation des frais d’exploitation ne devrait pas non plus constituer le seul facteur attribuable à des hausses de prix. L’élasticité des prix ainsi que l’élasticité de la demande en général représentent aussi des éléments importants en distribution alimentaire. Il faut le reconnaître.

Individualiser les différences entre certains comportements abusifs et des pratiques commerciales acceptables présentera un défi de taille pour le comité. Mais l’exercice en vaut la peine, pour qu’un plus grand nombre de Canadiens puissent comprendre le fonctionnement de nos chaînes d’approvisionnement alimentaires.